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Et si les pharmaciens devenaient recruteurs

Publié le 8 février 2003
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Les essais cliniques sont un passage obligé pour obtenir la mise sur le marché d’un médicament. Cette étape cruciale passe obligatoirement par le recrutement de volontaires, pas toujours si faciles à convaincre. Et si les pharmaciens apportaient leur contribution ? Enquête.

Nous comptons recruter des volontaires se prêtant aux recherches biomédicales par l’intermédiaire des pharmaciens. » Rafi Mardachti, directeur d’une société de services (Universal Medica) auprès de l’industrie pharmaceutique, souhaite lancer de façon imminente ce concept pour le moins novateur. « Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle américain ? Pourquoi ne pas intégrer le pharmacien à sa juste valeur dans la chaîne de santé et faire valoir son rôle dans les essais cliniques ? », propose Rafi Mardachti.

Fort de ce principe, Rafi Mardachti a proposé son projet à l’ordre des pharmaciens. Objectif recherché : accélérer le recrutement de volontaires. Ça tombe bien ! Car, selon une étude menée par le LEEM, le développement des essais cliniques en France se heurte à des difficultés de recrutement. « Lorsque les industriels mettent en place des études cliniques, seuls 65 à 75 % des investigateurs recrutent des patients. De plus, chacun d’entre eux ne recrute qu’un petit nombre de patients : deux ou trois au lieu de huit à douze habituellement », indique Jérôme d’Enfert, président du groupe de travail « Attractivité de la France dans les essais cliniques ». Nul doute, l’accessibilité aux patients n’est pas aisée, surtout lorsque les travaux se rapportent à des maladies rares.

Vide juridique.

Le pharmacien devrait donc pouvoir bientôt communiquer les coordonnées de personnes consentantes à un centre d’essais, un comité scientifique ou un médecin. « Les titulaires intéressés devront suivre une formation préalable et soumettre aux clients un interrogatoire en guise de prérecrutement », détaille Rafi Mardachti.

Question. Peut-on mettre à profit la relation pharmacien-malade pour étoffer le fichier patients en toute légalité ? « Il n’existe aucune disposition particulière relative au recrutement des volontaires. Dans le silence des textes, il est donc possible pour des pharmaciens d’intervenir, indique Thomas Roche, avocat-conseil en matière de recherches biomédicales. Cependant, malgré l’absence de réglementation, le volontaire doit recevoir une juste information avant de donner son consentement libre et éclairé. »

Le juriste met également en garde les pharmaciens contre le risque de détournement de clientèle puisque le recrutement implique l’orientation du patient vers un praticien autre que son médecin traitant. Pour éviter ce type de malentendu, Thomas Roche conseille de soumettre le protocole au conseil de l’ordre des médecins (national ou régional). Enfin, il rappelle qu’aucun nom de spécialité ne doit être cité. Réglementation spécifique à la publicité des produits pharmaceutiques oblige.

Le « démarchage » officinal des clients concernera des volontaires sains, dans le cadre d’essais de phase 1, mais aussi et surtout des patients en vue de la réalisation des phases suivantes, bien plus difficiles à dénicher. « En phase 2, nous pouvons mettre des mois à recruter via les médecins ! », confirme Frédérique Girard, P-DG de Dermscan-Pharmascan, un centre investigateur d’essais cliniques.

Publicité

30 à 300 euros par patient.

Pour la phase 1, capter l’attention des volontaires sains est en effet facilité par la possibilité de faire de la publicité grand public : journaux, Internet (qui cible les jeunes…). Dermscan-Pharmascan a même pu communiquer par affichage dans le métro de Lyon. « Le profil type du volontaire sain correspond à l’étudiant en pharmacie ou en médecine qui souhaite gagner de l’argent de poche », indique Frédérique Girard. Risquer sa santé pour celle des autres a un prix : cela rapporte au maximum 3 800 euros par an, selon les textes.

Pour les pharmaciens qui contribueraient au recrutement, Universal Medica prévoit une rémunération par patient allant de 30 euros à 300 euros pour les pathologies les moins fréquentes. Mais les promoteurs sont-ils prêts à inclure les officinaux dans leurs protocoles ? En tout cas, Jérôme d’Enfert, directeur médical du laboratoire Aventis, ne se montre pas très enthousiaste : « Le recours aux pharmaciens me paraît plus intéressant dans les études épidémiologiques où ils joueraient les intermédiaires entre les sociétés d’enquête et les patients. »

Frédérique Girard souligne pour sa part l’absence d’intérêt scientifique d’une telle démarche. « Quand nous faisons appel aux médecins pour le recrutement, nous leur proposons toujours d’être investigateurs. C’est beaucoup plus motivant de suivre l’essai de A à Z. » C’est d’autant plus motivant qu’ils reçoivent une indemnisation du laboratoire pour chaque patient suivi (seule exception à la loi anti-cadeaux).

La fin des cobayes ?

Qui dit recrutement suppose le consentement « libre et éclairé » du volontaire sain ou du patient qui va participer à l’essai. En signant le document que le médecin lui remet, la personne reconnaît avoir été informée de la procédure et acquiert en quelque sorte le statut de partenaire. A tout moment de l’essai, elle a le droit de se retirer. Ces dispositions de la loi Huriet-Sérusclat (1988) ont été édictées dans un seul et unique but : la protection des patients. On comprend pourquoi le terme de « cobayes humains » est désormais renié par les médecins et les associations de malades… mais a toujours de l’impact dans la presse à scandales !

Toutefois, certains dysfonctionnements peuvent être dénoncés. A noter que monsieur Huriet lui-même, dans un rapport remis au Sénat le 6 avril 2001 révélait le problème… d’absentéisme parmi les membres des 46 comités consultatifs de protection de personnes participant à la recherche biomédicale (CCPPRB). Chargés de garantir la sécurité des patients à tout les stades, leur avis favorable signe le début des tests. Ils devraient en outre être particulièrement vigilants en ce qui concerne les études post-AMM (de phase 4) où parfois l’intérêt commercial (pour les laboratoires) et alimentaire (pour les médecins investigateurs) aurait tendance à passer devant celui des patients… Pour Jérôme d’Enfert, l’avantage de la phase 4 tient à la possibilité d’augmenter les connaissances du médicament sur un nombre important de patients. Cette phase permet aussi de compléter la connaissance de la tolérance des produits à travers la pharmacovigilance. « Nous pouvons, pour une indication donnée, étudier différentes approches thérapeutiques, comparer les résultats de la spécialité avec ceux d’autres produits ou évaluer la résistance à un antibiotique. Une fois la spécialité sur le marché, la phase 4 peut en fait ne jamais s’arrêter. »

La recherche de plus en plus chère.

De la découverte de la molécule à son lancement sur le marché, il s’écoule en moyenne 6 à 9 ans. Mais, paradoxalement, en dépit des économies réalisées sur les essais cliniques consécutives à la mise en place au niveau européen d’une AMM centralisée, ainsi que des plans communs existant entre les Etats-Unis, l’Europe et le Japon, le coût de la recherche et du développement d’une spécialité à l’échelon mondial ne cesse d’augmenter. En 10 ans (de 1990 à 2000), il a été multiplié par trois, passant de 300 à 900 millions d’euros. Analyse de Jérôme d’Enfert : « Actuellement, la mise au point d’un médicament innovant nécessite des études plus précises en termes de preuves d’efficacité et de tolérance. On assiste à une complexification des protocoles dans le souci de mieux protéger les patients. »

En France, le prix de revient d’une étude clinique varie en fonction de son ampleur : de 300 à 500 000 euros pour un antibiotique contre les infections osseuses testé sur un faible nombre de patients à 36 millions d’euros pour un autre antibiotique évalué sur plus de 20 000 patients. Des sommes importantes, certes, mais qu’il faut relativiser au vu des milliers de malades actuellement en impasse thérapeutique.

A retenir :

Avant de débuter un essai, le promoteur doit :

– obtenir l’avis favorable d’un comité (CCPPRB),

– soumettre le protocole au conseil de l’ordre des médecins,

– déclarer l’essai à l’Afssaps.

– Rien n’empêche légalement un pharmacien à participer au recrutement de volontaires. Pour la première fois, une société de services auprès de l’industrie envisage, moyennant indemnisation (30 à 300 euros par patient), de recourir à des officinaux pour ce recrutement.

– Le consentement éclairé doit être signé par le patient, par les deux parents s’il s’agit d’enfants.

Le patient peut refuser librement de donner son consentement et se retirer de l’étude à tout moment.

Chiffre :

1 400 essais cliniques sur les médicaments sont réalisés chaque année en France.

Plus de 200 000 patients participent chaque année à des essais thérapeutiques en France.

La part de la France dans le budget des essais cliniques mondiaux (Etats-Unis + Europe) est évaluée à 10 %.

53 % des dépenses dédiées aux essais cliniques sont consacrées aux phases pré-AMM.

Sources : LEEM, Afssaps, ARCAT.

L’Europe va bousculer la loi Huriet-Sérusclat

L’harmonisation des recherches biomédicales en Europe est annoncée depuis la directive européenne 2001/20/CE du 4 avril 2001 relative aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Sa transposition, attendue avant mai 2003, et son application, prévue en 2004, ne se feront pas sans modification de la loi Huriet-Sérusclat actuellement en vigueur. Quelques réformes sont donc pressenties :

– La disparition des notions de recherches avec ou sans bénéfice individuel direct au profit du concept bénéfices/risques, quelle que soit la phase.

– La création d’un comité d’éthique chargé d’apprécier la qualité scientifique de l’essai.

– La soumission de tous les essais à l’autorisation de Afssaps. L’absence de réponse au bout de 60 jours équivaudra à un accord pour la plupart des médicaments.

– La diminution des contraintes pour les essais sur les produits cosmétiques et les dispositifs médicaux qui suivent actuellement la réglementation du médicament.