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Cherche salariés désespérément

Publié le 27 octobre 2001
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Les titulaires en recherche de personnel sont en pleine crise de nerfs. La litanie des témoignages désabusés en témoigne. Le turnover des salariés entre officines maintient pour l’instant le système à flot. Une fluidité tout artificielle.

Pharmacie cherche préparateurs, étudiants ou pharmaciens CDD oct.-nov.-déc. », « Pharmacie Strasbourg cherche pharmacien assistant, poste évolutif, 35 h », « Pharmacie cherche 2 préparatrices diplômées ; 35 h bon coef. », « Pharmacie cherche pharmacien 6e année validée à temps partiel »… Ce florilège de petites annonces n’a pas été relevé dans la presse professionnelle mais dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace.

Pour trouver la denrée rare, le salarié, la surenchère va bon train à l’officine. « On se pique entre nous des salariés. Ce n’est pas bon pour la profession, tout ça », estime André Sournia, installé à Ille-sur-Têt, une bourgade de la plaine du Roussillon, qui a dû débaucher une préparatrice chez un confrère. Pour trouver une rayonniste, il a passé un contrat de formation d’un an, jusqu’à obtention du BP, avec quelqu’un qui y avait échoué. Quant au poste d’assistant, il a fini par trouver une consoeur qui venait de vendre son officine. Mais qui le quitte dix mois plus tard pour en avoir racheté une… « C’est dramatique, on n’en trouve pas ! », lâche-t-il.

Jean-Marc Veryepe, à Saint-Venant, à 60 kilomètres de Lille, a eu lui aussi les pires difficultés à remplacer son assistante partie vers Toulouse, et il a décidé de « mettre le paquet » : « Nous avons proposé tous les horaires possibles, sans le samedi, sans le mercredi, etc. Nous avons eu extrêmement de mal. Grâce à un ami, nous avons trouvé une Lilloise qui fait le déplacement, nous nous sommes résolus à proposer un temps plein à 35 heures pour sécuriser cet emploi. Elle ne travaille pas tous les samedis et a un coefficient 550 plus une indemnité RTT.»

Tous les moyens sont bons

Emmanuel Bay, à Tourcoing, a dû y mettre la méthode : « Aujourd’hui, face à une demande plus importante que l’offre et à la disparition des candidatures spontanées, j’ai entrepris d’anticiper et de structurer mes demandes, et aussi de payer une prime mensuelle à tous mes employés sur le chiffre d’affaires du mois précédent. »

Mais c’est souvent la résignation ou le dépit qui l’emportent. Patricia Benoit, titulaire dans le centre commercial Dravemont, à Floirac, dans la banlieue est de Bordeaux, a dû ainsi remplacer une préparatrice partant en congé maternité. « Nous travaillons à dix, dont deux assistants, et quand j’ai cherché quelqu’un, j’ai passé des annonces partout où j’ai pu et je n’ai eu qu’une seule réponse ! Je m’en suis contentée, je n’avais pas le choix. » Installée depuis dix-sept ans, elle est convaincue que ce malaise est récent.

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Chercher en dehors des frontières

A une heure et demie de Perpignan, Geneviève Perrié a quant à elle passé tout l’été sans assistant seule avec une préparatrice et une aide-préparatrice, sept jours sur sept. « En raison du départ de mon assistante qui s’est installée, je cherchais un temps complet, ou au moins pour un remplacement. Impossible à trouver ! J’ai eu un seul coup de téléphone, malgré une recherche plus qu’active. J’ai fini par trouver par relations, mais après l’été. Il y a quelques années, on voyait défiler les étudiants à partir de Pâques pour l’été. Depuis trois ou quatre ans, c’est fini, plus personne ! A Barcelone, il y a plein d’étudiants sur le marché… »

Mais l’importation de diplômes étrangers, comme chez les infirmières par exemple, ne convainc pas tout le monde. Même en Alsace, région on ne peut plus frontalière, où nul ne croit à la solution du recrutement de professionnels étrangers. La langue est citée comme obstacle dans cette région pourtant largement bilingue. Alors que faire ? « A Perpignan, en ville, pas trop de problème. Mais dès qu’on est à plus de 40 ou 50 kilomètres aller-retour, ça devient impossible, déplore André Sournia. Ce n’est pas près de s’améliorer car les étudiants s’orientent de plus en plus vers l’industrie. Le plan de carrière offert actuellement à nos assistants n’est pas extraordinaire. Même si l’on est passé du coefficient 400 à 500 dès l’embauche, depuis quatre ou cinq ans… »

Pour Michel Pimbel, responsable du syndicat du Haut-Rhin, « la situation va se détériorer avec le passage aux 35 heures. Alors, certains vont sans doute réduire les horaires d’ouverture s’ils ne peuvent embaucher… Il y a donc un risque de diminution du service rendu au client ».

Le bonheur est dans le pré… parateur !

Françoise Chabernaud-Leflon, pharmacien-inspecteur de Bretagne, constate elle aussi que « le Finistère, rural, semble avoir plus de difficultés à trouver des assistants car la fac est à Rennes ». Mais au-delà des explications avancées, temps partiel omniprésent, numerus clausus insuffisant, elle s’interroge sur le statut de l’assistant : « Dans certaines pharmacies, on fait comprendre aux gens qu’il sont des « sous-pharmaciens » ! Chez les dentistes, on parle de collaborateur, et non d’assistant… »

Guy Collet, exerçant à Dinard, est lui au contraire très remonté : « Aujourd’hui, on n’essaye même plus de trouver… Les jeunes ne veulent plus travailler autant que nous, quand ils sortent de la fac, ils ont l’impression que tout leur est dû. Il n’y a plus que le « moi je » : « je dois gagner tant », « je veux mon mercredi », « je veux mon samedi », « je veux mon week-end », etc. Un exemple pour vous montrer l’évolution de l’état d’esprit : un préparateur demande dès le début un statut de 400-450, c’est pas du tout prévu ! »

Seulement voilà, « il est plus facile de trouver un assistant qu’un préparateur », comme l’analyse Bernadette Gross, titulaire à Mertzwiller (Alsace). Tout en précisant que « nombre de responsables d’officine ne veulent plus prendre d’apprentis, jugés presque aussi chers que des assistants et absents la moitié du temps ». A Sierentz, au sud de l’Alsace, Christiane Gerber est tout simplement heureuse d’avoir trouvé une préparatrice (qui a quitté une officine plus éloignée de son domicile…). A quoi tient le bonheur…

Paroles d’assistants : « J’ai beaucoup d’offres »

Bernadette Santoni, assistante remplaçante près de Saint-Malo, trouve du travail sans chercher… « J’ai beaucoup d’offres en tant que remplaçante ou assistante, ce qui montre bien qu’il y a pénurie. Aujourd’hui les gens n’ont donc pas forcément envie de s’isoler en zone rurale, surtout avec une famille. »

Paroles d’assistants : « Les titulaires n’ont pas trop le choix »

Pour Sébastien Renard, président de l’Association des étudiants de la faculté de Lille, les étudiants ne peuvent que se féliciter de l’afflux actuel de demandes : « Nous avons compté jusqu’à 140 annonces pour le Nord-Pas-de-Calais. Une majorité d’étudiants travaille – jusqu’à 80 % – un samedi par semaine. Les pharmaciens n’ont pas trop le choix. Question rémunérations, on voit pour la première fois cette année des majorations accordées aux étudiants. Nous constatons aussi un gros développement des agences d’intérim, il y en a trois sur Lille. Les étudiants de troisième ou de quatrième année sont plus qualifiés que les « majorettes », ils ont des acquis, de la rapidité de compréhension. »

Paroles d’assistants : « Rivalités, bavardages et jalousies »

Dany Nguyen, assistante à Paris, affirme qu’au début de ses études le travail officinal représentait pour elle une sorte de « feu sacré ». Cet élan s’est estompé peu à peu devant les désagréments d’une vie officinale « trop répétitive » quittée depuis peu. « C’est pour moi un univers en huit clos, où j’ai connu rivalités, bavardages et jalousies. Qui commande, qui a les responsabilités ? Les fonctions des employés ne sont pas les mêmes de par la variété des diplômes, mais la proximité au sein de l’équipe et le type d’activité presque identique (la délivrance au comptoir entre autres) ne rendent pas les choses faciles. Dans une officine où la place et les responsabilités de chacun sont clairement définies et comprises par chacun, le travail peut se faire correctement. C’est, je pense, trop rarement le cas. »

« Rester près de la fac »

« Il est de notoriété publique que les étudiants ne veulent pas s’éloigner de la ville-faculté », explique Pierre Bertolino, inspecteur de la pharmacie pour le Nord-Pas-de-Calais. « Ici, leur mobilité s’arrête à la périphérie de Lille », résume Patrice Devillers, président du syndicat des pharmaciens du Pas-de-Calais, qui confirme que « les titulaires en milieu rural ont beaucoup de mal à trouver un assistant ». J.-L.D.