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A trop prendre, on se fait prendre

Publié le 3 juin 2023
Par Anne-Charlotte Navarro
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Quand une entreprise recrute plusieurs salariés travaillant dans une entreprise concurrente, peut-on considérer qu’il s’agit d’un acte déloyal ? Dans le contexte de tension d’emploi que connaît la pharmacie, la réponse est d’importance.

LES FAITS

 

Le 4 décembre 2015, M. O., directeur technique de la société T, a démissionné de son poste. Le 15 décembre 2015, il est embauché par la société S pour un poste similaire. Les sociétés T et S interviennent dans le secteur de la production de pièces de haute précision pour l’aéronautique. Après la prise de fonction de M. O., la société T démontre que 11 salariés des 22 membres de l’équipe de M. O ont reçu de la part de la société S des propositions d’entretiens d’embauche pour un poste similaire à un salaire supérieur. La société T saisit la justice pour obtenir de la société S des dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

LE DÉBAT

 

La concurrence déloyale n’est pas strictement définie par le législateur. Cette notion a été créée par la jurisprudence. La concurrence déloyale revêt plusieurs formes pratiques, mais dans chaque cas, trois conditions doivent être réunies : un procédé contraire aux usages du commerce et à l’honnêteté professionnelle commis par l’auteur de la concurrence déloyale, un dommage subi par la victime et un lien entre la faute de l’auteur et le préjudice de la victime. En pratique, ce comportement abusif peut prendre la forme d’un dénigrement ou de l’imitation des produits d’un concurrent, de la désorganisation de sa chaîne de commandement ou de production. En l’espèce, c’est ce dont s’estimait victime la société T. A la suite de la démission de M. O, elle a fait constater par huissier que la moitié de son effectif de production avait été contactée par la société S pour obtenir un poste similaire avec une meilleure rémunération. La société T démontrait de façon objective avoir subi un préjudice du fait de l’action de la société S qui, selon elle, avait cherché à la désorganiser.

 

Le 13 janvier 2022, la cour d’appel de Versailles (Yvelines) juge la société S coupable d’actes de concurrence déloyale. Les magistrats retiennent qu’« en prenant directement contact avec des salariés de la société T et en ayant embauché cinq salariés sur un effectif de 22 personnes, la société S s’est livrée à un débauchage massif du personnel de cette société concurrente ». Estimant que la cour d’appel avait mal interprété le droit, la société S forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

 

Le 13 avril 2023, la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société S. Elle confirme la décision de la cour d’appel de Versailles (Yvelines). Les magistrats rappellent que le débauchage massif du personnel d’un concurrent qui a pour effet d’entraîner sa désorganisation constitue un acte de concurrence déloyale. Ils retiennent que si le recrutement réel n’a concerné que quatre personnes, outre le directeur technique, ces personnes composaient la totalité du service qualité, soit le responsable de ce service, le seul contrôleur qualité, le seul logisticien de production et un agent de maîtrise. Ces postes étaient importants dans la chaîne de production. Ils constatent que l’entreprise victime démontre que son activité avait été désorganisée pendant plusieurs semaines. Le fait que la société T ait délié ses collaborateurs de leur clause de non-concurrence ne suffit pas à exonérer la société S de sa responsabilité. Ainsi, le débauchage massif s’apprécie non pas seulement en nombre de salariés débauchés mais également au regard des postes occupés par ces derniers, ainsi qu’au vu de la difficulté de recrutement dans le secteur. Il importe toutefois que l’entreprise victime démontre qu’elle a été dans l’impossibilité de retrouver rapidement du personnel opérationnel.

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À retenir

Débaucher les salariés d’un concurrent peut être un acte de concurrence déloyale donnant lieu au versement de dommages-intérêts.

La victime doit démontrer que les embauches ou tentatives d’embauches désorganisent l’activité de son entreprise.

Le fait que l’entreprise victime renonce à l’application de la clause de non-concurrence envers les salariés démissionnaires n’a pas d’incidence sur la qualification.

  • Source : Cass. soc, 13 avril 2023, n° 22-12.808.