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« Un monde du travail à inventer pour les malades »
Le cancer survient chez beaucoup de femmes encore en activité professionnelle. Arrêt maladie ou poursuite du travail, chacune fait des choix selon son état de santé et le sens que représente son métier. Les entreprises doivent composer et chercher des solutions.
« Ma santé, mon futur, ma féminité, le cancer m’a tout pris mais il était hors de question qu’il me prenne aussi mon activité professionnelle », revendique Isabelle Guyomarch, fondatrice de la marque de cosmétiques Ozalys.
Le travail participe à l’identité
Notre société est profondément structurée par l’activité professionnelle, caractérisée par sa force socialisatrice et intégratrice. Travailler participe fortement à la construction d’une identité. Elle serait même, pour certains auteurs, le seul support « au sentiment d’utilité et de reconnaissance sociale de l’individu »
Concilier travail et cancer
Cinq ans après le diagnostic de cancer, une personne sur cinq n’est plus en activité. Selon l’étude CanTo 2019, 21 % des femmes qui ont eu un cancer du sein n’ont pas repris alors que les traitements sont achevés depuis un an. Parmi ces femmes, 74 % étaient en arrêt maladie, 9 % à la recherche d’un emploi et 17 % se trouvaient dans une autre situation. La moitié des patientes avec un cancer du sein est en âge de travailler. Si de plus en plus de femmes expriment l’envie ou le besoin de travailler durant leur traitement, seules 31% y parviennent
Conserver des liens
La salariée n’est pas tenue de parler de son cancer à son employeur, mais une longue absence suscitera des interrogations auxquelles il peut être judicieux de répondre. Anne-Sophie Tuszynski estime que « l’activité professionnelle mérite d’être intégrée au parcours de soins. Même si les patientes sont les premières décisionnaires de poursuivre ou non leur activité, l’entourage professionnel de proximité peut lui apporter des solutions ou la rassurer. » Un avis que partage Isabelle Guyomarch : « La loi française est telle que la relation de la salariée malade avec l’entreprise cesse dès que celle-ci est en arrêt maladie. Dès lors, la seule réaction de l’entreprise est de compenser l’absence et de s’organiser. Cela doit aller au-delà, en brisant les tabous, en établissant d’autres liens d’échange. » Les conditions du maintien des liens « doivent être fixées entre la salariée et l’entreprise, pour éviter tout malentendu », estime Anne-Sophie Tuszynski. Ainsi, la salariée sait qu’elle peut compter sur son entreprise et celle-ci peut prendre des nouvelles sans penser la déranger : « Il doit y avoir un maintien du contact dès l’annonce, pour une mise en confiance de la salariée, puis par la suite, pour favoriser le retour au bureau. Ce peut être simplement lui proposer de venir prendre un café avec ses collègues. Confronter les expériences des unes et des autres peut aider », considère Isabelle Guyomarch.
Le maintien ou le retour à l’emploi se heurte à de nombreux freins. Ceux-ci sont liés « aux conséquences directes de la pathologie – séquelles, effets indésirables persistants –, mais aussi à un manque d’anticipation et d’adaptation des conditions de travail. Le cancer reste trop souvent un sujet tabou ou mal connu dans l’entreprise »
Se réinsérer et se penser guérie
Continuer à travailler ou retravailler après une période d’arrêt facilite le sentiment de se sentir guéri. Parmi les femmes atteintes d’un cancer du sein, celles qui pensent travailler moins bien qu’avant et celles ayant cessé leur activité ont deux fois moins de chances de se dire guéries. Pour certaines, « s’oublier dans le travail » met de côté la maladie. Ce « travail thérapie » déconstruit l’identité de malade mais, en parallèle, il peut manquer du temps pour intégrer la maladie à sa biographie et « activer les logiques de préservation de soi »
Si le diagnostic a été communiqué à la médecine du travail, un entretien est prévu pour le retour à son poste. « Dans les faits, un salarié sur deux ne le fait pas et quand il le passe, il arrive souvent tard par rapport à la date de reprise, parfois quinze jours avant. Il vaut mieux l’anticiper. Il est possible de le programmer trois mois avant la date de reprise hypothétique, informe Anne-Sophie Tuszynski. C’est à l’initiative du salarié, qui a la meilleure visibilité. Ma conviction est que le retour au travail se prépare quasiment au moment de l’annonce. » Ceci afin de mettre en place, le cas échéant, un mi-temps thérapeutique, un aménagement, voire un changement de poste.
Un des objectifs de la stratégie nationale de santé 2018-2022 vise à prévenir la désinsertion professionnelle ou sociale des malades. L’une des priorités est de développer l’accompagnement des travailleurs et des entreprises. « Dans le cancer, il y a aussi un après. Par exemple, l’altération des fonctions cognitives, dont on parle moins, est difficile à appréhender quand on revient au travail », rappelle Isabelle Guyomarch. Il y a tout un monde du travail à inventer afin de l’adapter à la vie des malades.
(1) Travailler après un cancer du sein. Enjeux, contraintes et perspectives, sur le site cainr.info.
(2) Enquête Calista, 2012.
(3) Quel modèle pour favoriser le travail avant ou après un cancer, Pascale Levet, article publié par The Conversation France.
Chiffres et coût du cancer
→ En 2018
* , 177 400 nouveaux cas de cancers ont été recensés en France chez les femmes : sein (33 %, 58 500 cas), colorectal (11 %, 20 100 cas), poumon (8,5 %, 15 100 cas)* …→ 10 % des cas de cancer du sein touchent les femmes de moins de 35 ans et près de 20 % avant 50 ans. Près de 50 % de ces cancers sont diagnostiqués entre 50 et 69 ans et environ 28 % après 69 ans.
→ Le coût du cancer en France
** s’élève à 18,3 milliards d’euros en 2017. Auxquels il faut ajouter 9,7 milliards, qui prennent en compte les pertes de production liées aux décès prématurés (771 millions) et la perte de richesse qui découle d’un décès précoce lié au cancer.(*) Panorama des cancers en France , 2021, Inca.
(**) Le coût du cancer en France : une forte hausse, étude économique, Astères, février 2020.
3 questions à… Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de Cancer@Work “Le cancer est une opportunité pour refaire naître des liens”
Qu’est-ce que Cancer@Work ?
J’ai fondé cette association loi 1901 en 2012 après avoir été touchée par un cancer. C’est un club d’entreprises engagées – une centaine aujourd’hui – visant à mieux concilier maladie et travail. Nous avons quatre missions : engager les dirigeants dans l’action pour faire exister la maladie au travail par le biais d’une charte, partager et échanger les bonnes pratiques, mesurer les attentes des actifs et l’impact des actions au sein de l’entreprise et assurer un soutien d’insertion ou de réinsertion après la maladie.
En quoi le cancer perturbe la vie professionnelle des femmes ?
Le cancer du sein (et des organes génitaux, NDLR) touche des femmes en âge de travailler, en comparaison de celui de la prostate qui survient plus tard dans la vie masculine. La maladie entraîne une difficulté à se maintenir dans l’emploi ou à en trouver un, même si elle peut être l’occasion de voir les choses sous un angle nouveau. À titre personnel, j’ai attendu l’âge de 39 ans et un cancer pour fonder deux entreprises.
Que se passe-t-il en entreprise pour les patients ?
Depuis dix ans, le vocabulaire a changé. On parle plus facilement du cancer que de « longue maladie ». Les mentalités évoluent. Le cancer est une opportunité pour refaire naître des liens, et regarder son impact d’un œil nouveau. Il faut valoriser les entreprises qui agissent en faveur des salariés atteints de cancer, pour créer une dynamique et ne plus ignorer cette maladie. On peut aussi voir les choses sous un angle plus pragmatique. Un salarié qui conserve une activité, c’est moins de coûts pour l’entreprise, mais aussi une économie pour le système de santé.
![Cancer : l’accès aux soins de support progresse](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/aa7c8ab0da510f878e78a21c49804-680x320.jpg)