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Travailler sous influence
Aborder le sujet des substances psychoactives. Quand les signes alertent sur la consommation de psychotropes par un collègue, une approche en douceur et parler de soi ouvrent l’échange.
Une réalité sociétale
Une consommation avérée
Alcool, cannabis, héroïne, cocaïne ou médicaments psychotropes, les substances psychoactives sont présentes dans les sphères privée et professionnelle. Elles influencent les sensations, le comportement, les perceptions ou la conscience. Et peuvent stimuler, anesthésier et/ou modifier l’état de conscience, voire les trois.
→ Un risque d’addiction. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 10,6 millions des 18-75 ans (24 %) ont des consommations d’alcool supérieures aux recommandations (plus de 10 verres par semaine) et environ 8 % ont consulté un centre spécialisé ; 3 % des 18-64 ans ont un usage problématique du cannabis ; 1,6 % des adultes consommeraient régulièrement de la cocaïne ; 21 % des plus de 15 ans ont eu un remboursement de médicament psychotrope dans l’année.
→ Les travailleurs aussi. 6,5 % des travailleurs boivent quotidiennement de l’alcool, 18,1 % ont des alcoolisations importantes au moins une fois dans le mois (plus de six verres en moins d’une heure), 10,2 % consomment au moins une fois par an du cannabis et 5,6 % de la cocaïne.
Du simple usage à l’addiction
L’important n’est pas tant la substance que la façon de gérer son usage, d’où le terme préféré de pratiques addictives pour parler de la consommation de substances psychoactives, qui revêt plusieurs comportements.
→ L’usage simple : consommation occasionnelle ou régulière sans dommage à court terme, mais qui, selon les conditions, peut devenir à risque.
→ L’abus ou usage nocif : consommation répétée responsable de complications sur la santé, les relations…
→ La dépendance, ou addiction, correspond au désir puissant et permanent de continuer la consommation d’un produit malgré les complications constatées sur la santé, les relations sociales, la famille, le travail…
Les facteurs favorisants
Une personne consomme des substances psychoactives en fonction de trois facteurs, qui interagissent.
→ La vulnérabilité personnelle : dépression ou autre pathologie psychiatrique, événements de vie (deuil, divorce, accident grave…), traits de caractère…
→ Les environnements professionnel, scolaire, familial et social.
→ Le produit. Nicotine, cocaïne, héroïne, médicaments psychotropes à très courte demi-vie favorisent la dépendance.
Le travail en pâtit
Protecteur ou inducteur
Avoir un emploi constitue un facteur protecteur par rapport aux addictions, mais certains contextes sont à risque. Les risques psychosociaux, les horaires atypiques, le travail isolé, les pots en entreprise, les séminaires et le télétravail favorisent le plus la consommation de substances psychoactives.
Les risques psychosociaux sont des situations de travail où sont présents, combinés ou non, du stress (déséquilibre entre les contraintes et les ressources pour gérer une situation), des violences internes (conflit entre collègues, harcèlement…) et externes (insultes des clients…).
Consommer nuit
Une substance psychoactive peut altérer le bien-être, la sécurité et la santé, agir sur les performances professionnelles, avec baisse de la qualité du travail, absentéisme, soucis avec ses collègues ou les clients, détérioration de l’ambiance, risque de conflits, voire d’accidents : tomber d’un escabeau, se blesser avec un objet coupant… jusqu’à la perte de l’emploi.
Repérer
En urgence
Un collègue présentant un trouble du comportement, agité, incohérent, peut faire courir un danger à lui ou à un client.
→ Alerter vite le titulaire et assez discrètement pour ne pas effrayer les clients.
→ Mettre le collègue en sécurité en disant « Je m’inquiète pour toi. Tu n’as pas l’air d’aller bien. Viens ! » Le conduire dans le bureau du titulaire ou dans le back-office. Tentez de savoir s’il a pris quelque chose. Une personne intoxiquée de manière aiguë a un risque augmenté de suicide. Attention ! Cette personne peut aussi avoir une tumeur cérébrale engagée, faire un virage maniaque ou une hypoglycémie sévère, qui ressemble à une ivresse.
→ Alerter les secours, au 18 ou au 15, en disant qu’une personne a un trouble du comportement.
→ Ne jamais ramener un collègue chez lui sans avis médical.
En post-urgence
Au retour du salarié, le titulaire aura un entretien avec lui et demandera au médecin du travail de le voir.
→ L’écrit est très important. Le titulaire expliquera par écrit à la médecine du travail ce qui s’est passé, en disant qu’il est inquiet pour la sécurité et la santé du salarié. Il demandera s’il y a nécessité d’aménager les mesures de prévention. L’écrit permet d’étayer une éventuelle demande d’aménagement de poste, etc.
→ Un accompagnement, non une sanction. Chacun essayera d’exprimer ce qui s’est passé. Le titulaire évoquera ce que cela a provoqué au sein de l’équipe. Vous pouvez dire : « Je me suis inquiété. Comment vas-tu ? »
→ Demander un rendez-vous à la médecine du travail pour en parler (voir entretien).
Mon collègue est addict
Ouvrir l’échange
Prenez la personne en aparté. « Je sens que tu ne vas pas bien. Est-ce qu’il y a un problème ? » À bannir : « Va te faire soigner ! », « Tu devrais… »
Parler de soi
→ Exprimez votre ressenti : « Cela me fait peur de te voir aussi mal », « Cela me fait de la peine de te sentir aussi irritable ».
→ Évoquez vos limites : si votre collègue a connaissance d’erreurs répétées qu’il a faites : « Je ne suis pas à l’aise de corriger tes erreurs en plus de mon travail. C’est une responsabilité supplémentaire pour moi, j’ai peur de me tromper ». S’il n’en a pas conscience, faites-le-lui remarquer, sans juger, qu’elles entraînent pour vous une charge de travail et de stress.
→ Demandez son avis : « Comment puis-je t’aider à te sentir mieux ? »
→ Si la conversation s’oriente vers l’addiction, dites « Peut-être pourrais-tu en parler avec ton médecin traitant ou du travail. Il pourrait t’aider ou t’orienter… »
S’informer
Des outils sont disponibles sur ces sites.
→ addictaide.fr
→ inrs.fr/risques/addictions/ce-qu-il-fautretenir.html
→ inrs.fr/metiers/oira-outil-tpe.html pour guider les TPE et PME dans leur obligation d’évaluation des risques.
Avec l’aimable participation de Yann Botrel, hypnothérapeute et addictologue (69), et de Philippe Hache, expert d’assistance médicale à l’INRS.
entretien“La bienveillance est essentielle”
Philippe Hache, expert d’assistance médicale à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Est-ce que le travail fait consommer des substances psychoactives ?
Depuis les années 1990, on sait que certaines conditions de travail favorisent les consommations d’alcool et de drogues : risques psychosociaux, horaires atypiques… Travailler à l’extérieur plus de la moitié du temps, porter des charges lourdes, etc. augmentent la consommation d’alcool. Selon les études de la cohorte Constances, menée par l’Inserm auprès de 250 000 personnes environ, travailler au contact du public tous les jours, dans un métier de santé, de commerce ou administratif, accroît les prises de substances psychoactives quand cette situation est stressante.
Que doit faire l’entreprise ?
Quand un salarié est en difficulté, ou pour éviter que des salariés aient des difficultés avec des pratiques addictives, l’entreprise doit d’abord agir sur les facteurs qu’elle pourrait engendrer : inscrire le risque Pratiques addictives dans le Document unique, optimiser la prévention sur les risques psychosociaux, les troubles musculo-squelettiques, les horaires atypiques… Et informer les salariés sur ce qu’il faut faire quand on voit un collègue en difficulté avec un produit. On doit être dans une attitude bienveillante et savoir orienter vers le médecin du travail.
Comment repérer les conduites addictives ?
Quelqu’un de dépendant est la partie émergée de l’iceberg. Il a du mal à travailler. Il est souvent absent ou en retard, ou fait des erreurs, ou s’absente dans la journée, et revient dans un moins bon état avec des explications non convaincantes. En revanche, ceux qui sont dans l’usage nocif ne sont pas forcément visibles parce qu’ils gèrent plus ou moins bien les difficultés. D’où l’intérêt que la prévention s’adresse à tous les salariés. Ainsi, on évite que la personne dans un usage nocif ne bascule un jour dans la dépendance.
De quelle façon procéder ?
Il faut reprendre le schéma général d’organisation de la prévention dans l’entreprise. Il est conseillé de se tourner vers le service de santé au travail, dont l’une des missions est de conseiller l’employeur, les salariés et leurs représentants en termes de prévention des consommations de substances psychoactives sur le lieu de travail et de contribuer à l’évaluation des risques. Il aide à mettre en place un plan de prévention, à apprendre comment en parler… Il faut que les salariés sachent ce que ce service peut leur apporter.