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Soyez les explorateurs de votre métier

Publié le 1 octobre 2018
Par Peggy Cardin-Changizi
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Le médecin explorateur, Jean Louis Etienne, célèbre pour ses expéditions en Arctique et en Antarctique, nous invite à tenter ce que nous croyons impossible. cette quête d’explorer au plus profond de nous ce qui nous empêche d’oser inventer notre vie et de croire en nous au bout du compte est, en réalité, un appel au renouvellement de soi. « c’est en l’audace de chacun que revit l’espoir ! », répète-t-il inlassablement. Et à 72 ans, ce grand monsieur ne compte toujours pas raccrocher les crampons.

Médecin spécialiste de nutrition et de biologie du sport, Jean-Louis Etienne a participé à de nombreuses expéditions en Himalaya, au Groenland, en Patagonie, ainsi qu’à la course autour du monde à la voile sur Pen Duick VI avec Eric Tabarly. En 1986, il est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours.

« Pharmacien Manager ». Lors d’expédition en équipe, quel manager êtes-vous ?

J-L. E. Je me définis souvent comme le grand coordinateur. Cela ne signifie pas que je suis un chef d’expédition autoritaire, mon objectif étant plutôt d’apporter une vision globale. Lorsque j’ai réalisé la course autour du monde avec Eric Tabarly, il dirigeait en silence et parlait peu. Mon tempérament est assez ressemblant.

P.M. Quels sont, pour vous, les qualités d’un bon manager ?

J-L. E. Il faut, avant tout, savoir écouter et laisser à chacun une part de responsabilité. Ensuite, le manager doit interroger, regarder, suivre, encourager… Mieux vaut entraîner son collaborateur à progresser, que le bloquer sur sa crainte ou ses compétences. On ne repousse pas ses limites, on les découvre. Nous avons tous des compétences, que nous ignorons tant que nous ne les avons pas exercées. On n’est pas jugé bon manager par une autorité apparente. L’autorité s’impose par la compétence.

P.M. Quelles qualités recherchez-vous chez vos partenaires d’expédition ?

J-L. E. Dans mon domaine, je m’entoure de gens passionnés, pour qui l’engagement dans une expédition est un rêve. Pour recruter une équipe, je regarde d’abord leur parcours pour juger de leur expérience, de leurs compétences et de leur motivation. On ne peut pas tricher avec la motivation profonde. Quelque fois sur le terrain c’est plus difficile que prévu. Il faut donc tester cette détermination.

P.M.Quels genres de décisions avez-vous dû affronter seul ?

J-L. E. Lors d’expédition en solitaire, on prend 100 % des décisions tout seul. C’est intense, voire même grisant. Quand on s’engage dans un passage délicat, il ne faut pas faire de faux pas. Ça demande un niveau de concentration pointu et une grande maîtrise du lieu. Au pôle nord, par exemple, on peut passer sur des glaces qui sont fraîchement regelées, donc fragiles. Avec l’expérience on apprend à lire la couleur, à mieux les appréhender au son du bâton… Ainsi, vous devenez de plus en plus audacieux. En équipe, il faut savoir maintenir la motivation au niveau de l’engagement. Dans une situation difficile, où l’équipe commence à douter, il faut trouver les mots pour faire remonter la motivation initiale à la surface.

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P.M. Quels conseils donneriez- vous à un jeune qui se lance dans une création d’entreprise ?

J-L. E. A mon avis, c’est déjà une chance précieuse que de vouloir mener un projet professionnel, car cela signifie qu’il y a des idées et de l’envie. Devenir son propre patron, c’est une voix d’apprentissage et d’enrichissement. La progression dans la vie s’effectue par seuil. Au début, il y a l’excitation du projet. Puis, il faut tout assimiler, se faire connaître… Et après il faut encore tenir, résister à la tentation de l’abandon. L’abandon de quelque chose qui vous a animé à un moment donné est une frustration. Ma devise : « Faites une partie du chemin, la vie fera le reste pour vous. »

P.M. Est-il nécessaire d’être audacieux pour entreprendre ?

J-L. E. Entreprendre, c’est inventer sa vie. Mon aventure à moi est d’organiser des expéditions dans des grands espaces. Mais, monter une entreprise c’est être un aventurier un explorateur. Je dis tout le temps, soyez les explorateurs engagés de votre temps. C’est une prospection perpétuelle : Regarder autour de soi, chercher des opportunités, créer de nouvelles choses…

P.M.Votre vie professionnelle n’a finalement rien à voir avec votre profession initiale de médecin, y a-t-il une méthode pour oser entreprendre ?

J-L. E. L’entrepreneuriat est une succession d’envies. J’ai commencé par une formation professionnelle de tourneur-fraiseur et cet apprentissage a été, pour moi, comme un premier job. Après mon Bac, j’ai étudié la médecine, puis j’ai été interne en chirurgie. Mais depuis tout petit, je voulais participer à des expéditions. La médecine m’a justement permis de réaliser ce rêve. Par exemple, la course autour du monde avec Tabarly, je l’ai faite parce que j’étais médecin. Cette notion d’explorateur, je l’ai mise en œuvre juste après le pôle Nord. Avant j’étais équipier. Au pôle Nord, j’étais le Boss. J’avais trouvé les moyens techniques et financiers pour atteindre ce but.

P.M. Quel est votre regard sur le métier de pharmacien ?

J-L. E. Lorsque j’effectuais des remplacements de médecin généraliste dans des petits villages, la pharmacie était souvent le seul commerce qui restait au cœur des villages. Le pharmacien est devenu un relai de santé, car il est souvent long et difficile d’obtenir un rendez-vous chez le médecin. Le pharmacien est une porte d’entrée à l’information à travers la pathologie. D’où l’importance de son conseil.

P.M.Quels conseils donneriez-vous à un pharmacien qui souhaite entreprendre ?

J-L. E. Soyez des explorateurs de votre métier. Le pharmacien doit explorer l’étendue de ses compétences, telles que sa connaissance des plantes ou des champignons. Il peut aussi réaliser des enquêtes épidémiologiques, en repérant certaines maladies avec les prescriptions, les rejets de certains médicaments, les effets secondaires…

P.M. En tant que médecin spécialiste de la nutrition et de la biologie du sport, souhaitez- vous que les pharmaciens améliorent leur connaissance sur les marchés de la nutrition et du sport ?

J-L. E. Se forger une culture sur la médecine du sport et de la nutrition n’a rien de compliqué. J’ai passé mon DESS de nutrition en un an. Un pharmacien peut faire de même et ainsi proposer des conseils nutritionnels à sa patientèle. C’est un rôle qu’il peut jouer car il est le premier contact santé de beaucoup de personnes.

Médecin-explorateur

Médecin spécialiste de nutrition et de biologie du sport, Jean-Louis Etienne a participé à de nombreuses expéditions en Himalaya, au Groenland, en Patagonie, ainsi qu’à la course autour du monde à la voile sur Pen Duick VI avec Eric Tabarly. En 1986, il est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours.