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L’ÉPINEUX DOSSIER DE L’HERBORISTERIE
Le retour d’un diplôme d’herboristerie, supprimé en 1941, est un serpent de mer qui refait surface sporadiquement. C’est à nouveau le cas depuis qu’un sénateur du Finistère a déposé une proposition de loi en ce sens. Qu’en pensent les pharmaciens ?
Voici deux ans, Jean-Luc Fichet, sénateur PS du Finistère, est saisi par de jeunes producteurs de plantes médicinales de son département sur les difficultés de leur exercice. Il auditionne des experts sur le sujet et, le 12 juillet dernier, dépose une proposition de loi visant à créer le diplôme d’herboriste, délivré par un établissement de formation agréé par le ministère de la Santé, et à encadrer la profession par l’Afssaps. Son texte prône une filière contrôlée, depuis la culture jusqu’à la vente. « Le diplôme de pharmacien ne paraît pas adapté à la connaissance des plantes, argumente Jean-Luc Fichet. On observe une baisse de la formation en botanique, une demande croissante des patients et une pénurie médicale. Sans interlocuteur approprié, l’administration de plantes peut se révéler dangereuse, en fonction de la posologie et de la qualité de la plante. »
Cette proposition de loi a déclenché une levée de boucliers chez les pharmaciens. En tête, la présidente de l’Ordre, Isabelle Adenot : « Jamais un vendeur de plantes, même diplômé, ne sera un professionnel de santé. On veut faire croire que notre opposition marque la défense de nos prérogatives, à un moment où la société vit une crise de confiance quant au médicament. Or, il s’agit d’un problème de sécurité sanitaire que l’on ne peut brader sous prétexte de naturel. »
« On ne peut conseiller des plantes avec un diplôme au rabais »
En France, le diplôme d’herboriste a été supprimé le 11 septembre 1941, sous le régime de Vichy. La vente des plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée a alors été réservée aux pharmaciens et, par dérogation, aux derniers herboristes diplômés. La profession s’est peu à peu éteinte. Aujourd’hui, certains titulaires ont aménagé un rayon plantes dans leur pharmacie. On compte en France une dizaine d’herboristeries, obligatoirement tenues par un diplômé en pharmacie. Ce dernier n’exerçant plus en officine, il n’est plus inscrit à l’Ordre.
L’explosion de l’offre de produits dits « naturels » atteste de l’attractivité du marché. Et la libéralisation de 148 plantes médicinales, en 2008, a changé la donne (décret n° 2008-841 du 22 août 2008). La législation autorise désormais la vente libre de 180 plantes, mais les vendeurs ne doivent ni prodiguer de conseils médicaux, ni poser de diagnostic. Robert Pujol, titulaire retraité, est professeur associé à la faculté de pharmacie de Toulouse. Et botaniste passionné. Il donne une dizaine de conférences consacrées aux plantes médicinales chaque année devant des salles combles. « Je sens cependant que l’on vient écouter le pharmacien. La phytothérapie est une science et il n’y a pas de plantes anodines : ingérées de façon massive ou répétée, elles peuvent être dangereuses. J’ai fait un 3e cycle en botanique et 7 ans de pharmacie. On ne peut conseiller des plantes avec un diplôme au rabais, s’insurge Robert Pujol. J’ai vu des personnes atteintes de cancer me parler de fleurs secrètes, miraculeuses (et très chères ?!) en Allemagne, prêtes à abandonner leur traitement. Le danger vient de lobbies cultivant et commercialisant les plantes et leurs produits dérivés à des prix prohibitifs, faisant pression sur les politiques pour changer les lois en leur faveur. » Isabelle Adenot rappelle de son côté que le diplôme avait été supprimé du fait d’une dérive vers l’exercice illégal de la médecine.
« Nous ne prétendons pas soigner par les plantes »
Julien Duchesne, propriétaire d’une herboristerie dans le XXe arrondissement parisien, a fait le choix d’abandonner complètement l’allopathie. S’il trouve le terme de « radiation » « un peu raide », il reconnaît ne pas avoir de soucis juridiques avec le Conseil national de l’ordre des pharmaciens : « On s’ignore mutuellement. Il est vrai que nous ne provoquons pas. Nous ne prétendons pas soigner par les plantes mais simplement aider. Je ne dirai jamais à un client d’arrêter son traitement pour un diabète ou un cancer. J’oriente quand je suis hors de mon champ de compétences. » Si un diplôme supplémentaire ne lui semble pas une nécessité, Julien Duchesne milite, en revanche, pour une reconnaissance officielle de cet usage du diplôme via la création d’une section « pharmacien d’herboristerie et de parapharmacie » au sein du Conseil national de l’Ordre et la fixation par décret de limites et de règles déontologiques pour ces commerces. « L’Ordre devra statuer, estime-t-il, si la sortie des médicaments OTC du monopole se pose. Nous pourrons alors profiter du mouvement car nous savons que l’Ordre ne se mobilisera pas pour une poignée d’herboristes. »
Dans les faits, la proposition de loi du sénateur Fichet n’est pas inscrite à l’ordre du jour du calendrier parlementaire et ne pourra l’être, selon lui, avant le premier trimestre 2013. L’avenir de l’herboristerie, dans les conditions actuelles, paraît incertain.
L’ESSENTIEL
• Le diplôme d’herboristerie a été supprimé en 1941. Seuls les pharmaciens sont autorisés à tenir une herboristerie et à prodiguer des conseils médicaux.
• Une proposition de loi du sénateur PS Jean-Luc Fichet a été déposée le 12 juillet pour recréer le diplôme.
• L’Ordre et les pharmaciens s’y opposent pour des raisons de sécurité sanitaire.
La formation en question
Les étudiants reçoivent une formation de base en botanique, en pharmacognosie et en phytothérapie, au volume horaire variable selon les facultés, avec souvent des modules optionnels à partir de la troisième année. Une formation insuffisante de l’avis de certains. « L’enseignement en botanique – comme celui des sciences naturelles – tombe en décrépitude, alerte Robert Pujol, enseignant à la faculté de pharmacie de Toulouse et président de l’Association pour la formation continue des pharmaciens de Midi-Pyrénées. On manque de botanistes de terrain, plus personne ne sait identifier certaines plantes de montagne. » Un point de vue non partagé par Isabelle Adenot : « C’est une formation transversale que l’on retrouve pendant toutes les études. » « Homéopathie, aromathérapie, phytothérapie… Un tronc commun existe mais les étudiants ne peuvent tout faire et doivent choisir !, modère Jean-Marie Gazengel, doyen de la faculté de Caen. Et l’herboristerie n’est pas vraiment plébiscitée. »
LEXIQUE
Herboristerie
Préparation et commercialisation de plantes ou produits dérivés (gélules, teintures mères, extraits fluides). L’herboriste est capable de reconnaître, cueillir, transformer et vendre des plantes médicinales, des épices et certaines plantes dites condimentaires dont la liste est fixée aux niveaux français et européen.
Phytothérapie
Traitement des maladies par les plantes.
Botanique
Science des végétaux.
Pharmacognosie
Etude des médicaments provenant de substances végétales et animales.
![DE LA RECHERCHE À LA PRODUCTION](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/article-defaults-visuel-680x320.jpg)