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« Le manager doit concentrer son attention, et celle de ses collaborateurs, sur l’essentiel : la valeur client »

Publié le 1 mars 2024
Par Carole De Landtsheer
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Coauteur de l’ouvrage Manager Sapiens*, Cyril de Sousa Cardoso est également à la tête de Polaria, une société spécialisée en management des organisations, conduite du changement et IA générative. Son credo : stimuler la motivation intrinsèque des salariés pour augmenter la performance des entreprises.

PM Le modèle de management à suivre serait celui qui fait appel à la motivation intrinsèque des salariés, que recouvre cette notion ?

CdSC Le management « mécanique », propre aux XIXe et XXe siècles, qui demande aux collaborateurs d’être les gestionnaires d’un flux, des unités de production, est fondé sur une motivation extrinsèque, liée à une circonstance extérieure, comme une récompense ou, à l’inverse, une sanction. Ce type de management, laborieux, est encore répandu mais a été singulièrement bousculé par la crise sanitaire qui a fait émerger le télétravail. De plus, les entreprises font face à des difficultés de recrutement, une réalité qui les incline à interroger les paradigmes existants. Désormais, la clé de la performance est une approche managériale par la motivation intrinsèque. Celle-ci comprend trois éléments : le sens que je trouve dans mon activité et la conviction de travailler pour quelque chose qui est important pour moi, la maîtrise de l’impact de ce que je produis, c’est-à-dire le sentiment de résultat, de progression, d’utilité, et l’autonomie dont je dispose pour effectuer mon travail. Cette autonomie est centrale et va de pair avec une zone de responsabilité.

PM Cette autonomie implique-t-elle que le manager sache déléguer ?

CdSC La délégation au travail est cruciale. Un manager inquiet qui pratique le micromanagement, en encadrant son équipe de près, en lui indiquant, par exemple, comment exécuter son travail, réduit son autonomie et sa motivation. Même chose pour un manager qui ne déléguerait que les tâches automatiques ou peu intéressantes, à faible valeur ajoutée. Quand la délégation est favorable à tous, le manager gagne du temps – une autre clé de la performance – et contribue, par la même occasion, au développement des aptitudes de ses collaborateurs. Des employés, qui atteignent des objectifs qu’on leur a délégués et qu’on valorise, seront ensuite plus engagés et plus aptes à prendre des initiatives en favorisant l’efficience collective. Ce rapport gagnant-gagnant repose, bien évidemment, sur un lien de confiance.

PM Qu’est-ce que l’intelligence collective à laquelle vous faites référence dans votre livre Manager Sapiens ?

CdSC L’intelligence collective envisage une équipe comme un groupe de personnes qui interagissent entre elles, et non comme une somme d’individualités : des salariés capables de dialoguer entre eux et de questionner, par exemple, l’organisation du travail, dans le cadre d’une amélioration continue, et de reproduire de la motivation, si nécessaire. Elle passe par des séances régulières de rétrospective collective, qui s’intéressent à la forme (et non au fond), c’est-à-dire à la manière dont nous nous organisons pour porter un projet. Ces réunions permettent de récolter les points de vue de chacun sur les erreurs, échecs, freins, obstacles qui réduisent les performances individuelles et collectives. Qu’est-ce que l’on doit changer ou expérimenter ? Nous ne pouvons nous adapter au monde qui nous entoure – par définition mouvant – que si nous nous questionnons sur nos manières de fonctionner.

PM Vous expliquez que le manager doit savoir protéger le temps des collaborateurs, que voulez-vous dire ?

CdSC Nombre d’entreprises fonctionnent à flux tendu et les salariés sont contraints de gérer leur temps dans un environnement où il s’agit, en permanence, de parer au plus pressé, par manque de moyens humains. Dans ce contexte, le manager doit savoir concentrer son attention, et celle de ses collaborateurs, sur l’essentiel : la valeur client. Il doit prioriser les tâches au regard des besoins et des demandes des clients, pour produire en continu le maximum de valeur ajoutée. Faut-il véritablement réaliser ce travail ou projet ? Possède-t-il une valeur ajoutée pour mon écosystème ? Si la réponse est oui, une personne de mon équipe a-t-elle déjà fait quelque chose sur le sujet ou souhaite s’en charger ? En dernier recours, si mon équipe ne peut pas réaliser cette tâche, le manager pourra s’en charger, à supposer qu’il ait les compétences requises. Cela implique qu’il prenne du recul et développe une vision à long terme de son travail. De la sorte, il protège également le temps de ses collaborateurs.

PM Etes-vous favorable à la semaine de quatre jours ?

CdSC Organiser son travail sur quatre jours débouche, de fait, sur un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle, joue positivement sur la motivation et l’engagement des salariés. Mais, concentrer le même temps de travail de cinq jours sur quatre est une aberration biologique. La capacité cognitive d’un individu n’est pas extensible et cette nouvelle organisation de travail doit s’interroger sur les modalités de mise en place, en intégrant les facteurs biologiques.

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* Manager Sapiens. Le manager magnifique du XXIe siècle, de Cyril de Souza Cardoso et Jean-Christophe Messina, Editions De Boeck Supérieur, 16,90 €.

BIO EXPRESS

2008

Diplômé de l’Ecole nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (ENSAI) en tant qu’ingénieur en data.

2013

Conférencier sur le programme TEDx.

2017

Création de l’association Innovation commando, dont l’objectif est de diffuser des contenus pédagogiques sur la créativité et l’innovation.

2023

Président-directeur général de la société Polaria.