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La para au débarras ?
Ils ont osé ! Pour se recentrer sur leur cœur de métier, des titulaires ont bravé les codes de la profession en laissant tomber la dermocosmétique. Ils expliquent leur choix, leur stratégie et l’impact de cette décision sur leur activité.
Les officinaux qui ne proposent pas de parapharmacie ne sont pas légion. Titulaire à Antony, Jean-Pierre Bader est de ceux-là. « Lorsque j’ai repris l’officine en 1981, la parapharmacie représentait déjà une petite part du CA, se souvient-il. Alors, lorsque j’ai décidé de refaire la pharmacie en 2003, je l’ai abandonnée totalement. Avec une surface de vente de 20 m2, je n’avais pas l’exposition suffisante ni les moyens de lutter sur les prix. Et puis, ni moi ni mon assistante étions très à l’aise pour conseiller la cosmétique. »
A la tête de la Pharmacie Centrale à Mulhouse, Bertrand Lego a, lui, opté pour cette stratégie de rupture en 2005, lorsqu’il a repris seul l’affaire, autrefois dirigée par ses parents. « J’ai toujours considéré que je suis plus performant sur mon cœur de métier, et que d’autres circuits comme la grande distribution, les réseaux de parapharmacies ou Internet seront toujours plus forts que moi sur le marché de la cosmétique », explique celui qui avait aussi constaté le manque d’appétence de sa clientèle pour ce type d’offre.
Quant à Barbara Le Boënnec, lorsqu’elle a racheté en 2011 la Pharmacie Tolstoï à Villeurbanne, a elle aussi franchi le Rubicon. « Après avoir décroché un MBA à la Manchester Business School, j’ai étudié le concept de Jean-Patrice Folco, raconte-t-elle. Il se trouve que j’étais en phase avec son principal constat qui est de dire que dans le mode d’exercice de la pharmacie aujourd’hui, mieux vaut investir son temps et son énergie sur les patients chroniques porteurs d’ordonnance que de se battre sur la parapharmacie où la guerre des prix a fait plonger les marges. »
AGENCEMENTS détonants
Cette stratégie, Barbara Le Boënnec la revendique clairement sur son point de vente de 50 m2 qui a été entièrement repensé lors de la reprise (voir Pharmacien Manager n° 145). Et ce, sans investir le moindre centime dans l’agencement puisque la titulaire s’est contentée d’enlever des meubles pour faire place nette. « Pour ne faire entrer dans la pharmacie que des porteurs d’ordonnance, il n’y a aucune publicité et aucune communication en vitrine », explique-t-elle. A l’intérieur, inutile de chercher des meubles, des présentoirs ou des gondoles. Il n’y en a pas. Seuls quatre fauteuils ont été disposés devant les comptoirs. L’offre est exposée sur quatorze descentes où l’on retrouve les marques leader de l’OTC. « Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une seule descente pour la dermocosmétique, avec quelques produits Avène et La Roche-Posay à connotation médicale puisqu’ils sont prescrits pour soigner l’acné, l’eczéma ou les peaux sèches », confie Barbara Le Boënnec. Chez elle, l’ordonnance représente 93 % du CA.
On retrouve ce même refus de communiquer en vitrine chez Bertrand Lego qui laisse lui aussi respirer son point de vente de 120 m2, avec seulement deux gondoles et un présentoir. Sur les descentes positionnées le long des murs, la parapharmacie est là encore réduite à sa plus simple expression avec une seule tablette de 80 cm où sont exposés quelques produits Bioderma et Eucerin. Jean-Pierre Bader est, lui, allé encore plus loin ne présentant ni parapharmacie ni produits OTC. « Pour bien faire comprendre aux patients que notre unique métier est de délivrer des ordonnances, j’ai opté pour un agencement qui privilégie la décoration, avec des pots, des bocaux et des affiches qui rappellent la pharmacie d’autrefois », décrit-il. Chez lui, les murs blancs sont dotés de renfoncements où sont présentés les pots d’antan… et une collection de papillons ! « Au début, les gens rentraient pour demander s’il s’agissait d’une vraie pharmacie. » Il n’empêche, Jean-Pierre Bader a vu son CA progresser de 30 % la première année qui a suivi la mise en place de son concept sans para.
LEVIERS de compensation
Pour compenser l’absence de cosmétiques, Bertrand Lego a développé l’expertise de son équipe sur les médecines douces et sur les produits sans gluten qui bénéficient à eux seuls de quatre descentes et d’un comptoir. « Il s’agissait d’une demande forte de la part de la clientèle, confie le titulaire. J’ai donc investi dans la formation pour qu’une de mes préparatrices décroche deux DU, en phytothérapie et aromathérapie. Je possède moi-même un DU en micronutrition et en orthopédie. »
Pour attirer la clientèle qu’elle visait, les malades chroniques porteurs d’ordonnance, Barbara Le Boënnec a décidé de consacrer du temps à ses patients, en moyenne vingt minutes pour chacun d’entre eux. « En investissant dans l’écoute, l’équipe a instauré une véritable relation de confiance qui nous permet de générer aujourd’hui des ventes associées sur les trois quarts des ordonnances, sans que l’on pousse à la consommation », assure la pharmacienne qui n’a pas été effrayée par la chute de 17 % de sa fréquentation la première année. « Cette baisse était logique et programmée puisque l’on ne voulait plus faire entrer dans l’officine les clients qui venaient pour acheter du dentifrice ou du shampooing. Aujourd’hui, nous avons retrouvé sensiblement le même niveau de fréquentation qu’avant, avec une typologie de clientèle qui a évolué dans le sens souhaité puisque les plus de 60 ans sont passés de 26 à 35 % de la clientèle. » Des seniors qui génèrent aujourd’hui 60 % du CA sur l’ordonnance, contre 20 % auparavant. Barbara Le Boënnec a également enregistré une hausse de son panier moyen de 35 à 46 €, son CA passant, lui, de 980 000 € en 2010 à 1,2 M€ en 2014.
Dans l’officine de Bertrand Lego, le CA (2,5 M€ TTC) a mécaniquement baissé du fait de la baisse des prix sur les médicaments et de la montée en puissance des génériques, mais la marge a progressé de 2,5 %. « Le nouvel agencement a aussi généré au départ une augmentation de la fréquentation qui s’est aujourd’hui stabilisée », constate-t-il. Et, grâce à son positionnement, n’a pas été impacté par l’installation d’une Pharmacie Lafayette dans sa rue fin 2014.
Témoignages
Barbara Le Boënnec
Titulaire de la Pharmacie Tolstoï (Villeurbanne)
Bertrand Lego
Titulaire de la Pharmacie Centrale (Mulhouse)
POUR ALLER + LOIN
→ « Les modèles économiques en pharmacie : comment améliorer sa rémunération actuelle et future » de Jean-Patrice Folco, paru chez Omniscriptum en 2012. L’officinal expose sa thèse privilégiant les ordonnances pour patients chroniques.
10,1 %
En valeur, c’est en moyenne la part des ventes des produits au taux de TVA de 20 % dans une officine, selon KPMG en 2015.
AVIS D’EXPERT« Réserver 15 à 20 % de la surface de vente à la dermocosmétique »
Mettre la cosmétique au débarras, un choix iconoclaste ? Pas tant que cela pour Aurélie Paquier. « Lorsque l’on regarde la rentabilité de la surface de vente, il est effectivement aujourd’hui beaucoup plus intéressant de mettre en avant les médecines alternatives et la diététique comme le sans-gluten, qui génèrent beaucoup plus de marge additionnelle. Un constat qui vaut aussi pour l’orthopédie, la contention et le matériel médical à destination des seniors. » De là à dire qu’il faut mettre la parapharmacie totalement au placard, il n’y a qu’un pas qu’Aurélie Paquier se refuse de franchir « Lorsque l’on intervient dans une officine, nous recommandons en général de réserver entre 15 et 20 % de la surface à la dermocosmétique, avec une approche rationnelle qui privilégie une sélection de marques très ciblées correspondant à une typologie de besoins, et sur lesquelles le pharmacien peut encore contrôler sa marge », conclut-elle.
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