Emploi : vague de démission en pharmacie

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Emploi : vague de démission en pharmacie

Publié le 14 mars 2022
Par Yves Rivoal
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En janvier dernier, la Fédération nationale Force Ouvrière des métiers de la pharmacie a relevé des démissions et des reconversions en cascade chez les adjoints et préparateurs en pharmacie. En fait, la réalité du terrain est plus ambiguë.

« Le nombre d’appels de salariés sur le point de démissionner et nous demandant de les aider à négocier la rupture de leur contrat de travail a été multiplié par quatre ces derniers mois », assure David Brousseau, secrétaire fédéral adjoint FO Pharmacie. Un ressenti qui n’est pas partagé par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Ordre national des pharmaciens. « Nous avons plus de 1000 mouvements par mois, mais nous ne sommes pas toujours informés des raisons de demandes de radiation ou de modifications d’inscription, confie Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D représentant les pharmaciens adjoints d’officine. Nous pourrions même avoir l’impression que le contraire est en train de se produire. L’année dernière, nous avons enregistré un grand nombre de demandes de pharmaciens, qui, ayant quitté l’industrie pharmaceutique, se reconvertissent vers l’officine. Nous observons également depuis cinq ans un retour de flamme pour la filière officinale chez les étudiants en pharmacie. En 2021, 60 % des nouveaux inscrits à l’Ordre l’étaient en section D. Enfin, l’an passé, une centaine de pharmaciens (ne) s qui avaient arrêté de travailler pendant plusieurs années ont demandé à être réinscrits à l’Ordre, après avoir suivi un diplôme universitaire (DU) de remise à niveau des compétences proposé dans les 24 facultés de pharmacie de France. En temps normal, le nombre de demandes n’excède pas la dizaine… ».

Une fuite des talents

Du côté des préparateurs, le constat formulé par FO Pharmacie semble recueillir plus d’échos. « C’est vrai que les retours du terrain depuis le début de l’année font état de beaucoup d’arrêts de travail pour cause de burn-out, confie Brandon Mesnager, porte-parole de l’Association nationale des préparateurs en pharmacie d’officine ANPPO. Et lorsque nous avons lancé le sujet de la reconversion sur notre page Facebook, 70 confrères indiquaient le lendemain qu’ils étaient sur le point de démissionner. Sans aller jusqu’à parler d’hémorragie, il semble que nous soyons confrontés à une fuite des talents, et celle-ci concerne aussi bien les préparateurs expérimentés que les apprentis ». Même son de cloche de la part de Frédéric Aula, fondateur de la plateforme de recrutement Club Officine. « En sondant des préparateurs sur plusieurs groupes Facebook sur les raisons qui les avaient conduits à changer de métier, j’ai ressenti une vraie vague de mécontentement. Le problème n° 1, étant le salaire, les rémunérations proposées aux préparateurs étant jugées insuffisantes. Le second motif est le manque de reconnaissance de la part du titulaire, qui arrive juste devant la question des horaires, le burn-out ou la dépression, et l’agressivité des clients. Les préparateurs ayant quitté leur emploi à cause de la vaccination obligatoire sont, eux, très rares ». Le manque de perspectives constitue aussi pour de nombreux préparateurs une source de démotivation d’après Brandon Mesnager. « Les seules possibilités d’évolution qui nous sont offertes, c’est d’effectuer une année d’études supplémentaire pour pouvoir intégrer la pharmacie hospitalière, ou d’être admis en 2e ou 3e année de pharmacie pour devenir pharmacien. Mais cela implique de reprendre les études pendant trois ou quatre ans. On peut donc comprendre les envies de départ ».

La reconnaissance, c’est sacré !

« Si la profession veut éviter une fuite des talents, il faut engager d’urgence une réflexion autour de la revalorisation de la grille des salaires de la convention collective », estime David Brousseau, secrétaire fédéral adjoint FO Pharmacie. « Si nous ne le faisons pas, les départs risquent d’être de plus en plus fréquents et les difficultés à trouver du personnel qualifié aussi », craint le syndicaliste. Cette revalorisation commence d’ailleurs à s’imposer aux titulaires. « La balance entre l’offre et la demande penche en ce moment en faveur des salariés. Les rémunérations minimales conventionnelles étant très insuffisantes, le contexte actuel contraint les titulaires à proposer des salaires supérieurs ». Pour éviter les départs, il faudra aussi donner des signes de reconnaissance aux préparateurs. « Au début de la pandémie, nous n’avions pas le droit aux masques, ni au dispositif de garde d’enfants à l’école, alors que notre métier figure pourtant bien dans la liste des professions de santé, regrette Brandon Mesnager, le porte-parole de l’ANPPO. Il serait temps que les pouvoirs publics nous considèrent et nous doter d’un statut officiel de professionnels de santé ».

Des reconversions protéiformes

La plupart des projets de reconversion se concentrent dans l’univers pharmaceutique. « Beaucoup choisissent de rejoindre la pharmacie hospitalière, attirés par une rémunération plus confortable, des horaires plus souples, l’absence de contact avec la clientèle, et la perspective de recentrer leur métier sur le médical et d’abandonner une dimension commerciale à laquelle ils n’ont jamais adhéré à l’officine », énonce Frédéric Aula. Sans surprise, l’industrie pharmaceutique constitue une autre terre d’accueil privilégiée. « Certains préparateurs deviennent délégués en laboratoire, confirme le fondateur de Club Officine. J’ai, par exemple, une amie qui, après avoir démissionné à la rentrée de septembre, a suivi une formation courte, puis intégré un laboratoire où elle vend des autotests en pharmacie ». D’autres font le choix de quitter la profession, mais en restant dans la sphère de la santé et du bien-être. « Des pharmaciens adjoints adoptent le statut d’autoentrepreneurs pour proposer leurs services aux organismes de formation spécialisés en pharmacie, note David Brousseau. On voit également de plus en plus de préparateurs ou de pharmaciens se former dans les écoles de naturopathie dans l’optique d’ouvrir leur cabinet, tout en gardant un mi-temps à l’officine le temps de se lancer ». « Les professions paramédicales constituent le troisième débouché naturel, ajoute Frédéric Aula. Des préparatrices deviennent secrétaire médicale où décident de reprendre des études pour devenir infirmière ou auxiliaire puéricultrice ». Enfin, certains font le choix de changer complètement de voie. « Nous avons des collègues qui partent vers la comptabilité, la gestion ou le traitement du tiers payant », constate Brandon Mesnager. Cette désaffection, si elle devait se confirmer, serait en tout cas une très mauvaise nouvelle pour la profession, estime Jean-Luc Sicnasi, le président de 3S Santé. « Dans un contexte où les officines manquent de personnel, et ont toutes les peines du monde pour recruter, une vague de départs ne ferait que renforcer la pénurie de candidats ». Pénurie qui est désormais généralisée. « Depuis le début de la crise sanitaire, beaucoup de pharmaciens et de préparateurs de Paris et d’ÎIe-de-France sont partis s’installer en province, attirés par une qualité de vie bien meilleure, des logements moins chers, et des salaires à peine moins élevés, constate Jean-Luc Sicnasi. Résultat : cette région autrefois très dynamique en termes d’emploi est désormais elle aussi frappée par le manque de candidats ».

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