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Écouter sans juger l’autre
Adopter l’empathie. Instaurer une relation avec un client nécessite de laisser son ego au vestiaire pour dialoguer sans jugement, et de limiter la sympathie, l’apathie et l’antipathie.
Communiquer, késaco ?
Transmettre réciproquement
La communication à l’officine peut se définir comme « l’ensemble des interactions qui permettent aux hommes, pharmaciens et patients, de se transmettre des informations de façon réciproque dans le but d’une dispensation de médicaments de qualité »(1). Pour comprendre ces interactions et les compétences nécessaires, il est important de prendre en compte ce qui est en jeu dans la relation.
Établir une relation de confiance
Même si certains clients souhaitent juste la délivrance de leur ordonnance, le fait d’établir une relation de qualité et de vous impliquer favorise une alliance thérapeutique dans un respect mutuel. Elle allie votre crédibilité en tant que détenteur d’informations et votre confiance en vous, et la perception du patient que vous êtes concerné par ses préoccupations de santé.
Interagir
Communiquer consiste à échanger des messages. Transmettre des informations, mais aussi en recevoir, en un mot, interagir. En vous fiant à vos perceptions, vous devez être capable de réajuster votre discours et adapter votre posture en prenant en compte les besoins, les valeurs et la culture de l’autre. Entrent en jeu :
→ des besoins de sécurité, de reconnaissance, d’estime… ;
→ des types psychologiques : l’individu estil plutôt extraverti ? Se fie-t-il plus à son intuition ou à son jugement rationnel en exigeant des preuves ?…
→ des aspects culturels : certains sont très fatalistes, croyants, pudiques, ont des codes très différents des vôtres…
Rectifier si besoin
Une bonne communication inclut des « dysfonctionnements ». D’où l’importance de conserver un regard critique et affûté sur sa façon d’interagir. « Sentir » quand son message n’a pas été bon, le reconnaître, l’exprimer à l’autre et rectifier. Si le patient manifeste son incompréhension, même sans parole, en fronçant les sourcils, dites : « Je suis désolé, je n’ai peut-être pas été très clair. Vous permettez que je reformule ? » Dans 99 % des cas, les personnes acceptent, sans être gênées de cette situation. Dire : « Je suis désolée, j’ai oublié de… Vous permettez que… » signifie que vous maîtrisez vraiment ce que vous avez dit avant et ce que vous direz après ! Et c’est rassurant pour l’autre.
Se connaître
Votre personnalité est de la partie quand vous entrez en relation. Se connaître est important pour modifier et ajuster son comportement en fonction des besoins de l’autre. Si un client est plutôt introverti et demandeur de faits objectifs, et vous, plutôt impulsif, adoptez une attitude plus réservée et des arguments factuels, avec un débit moins rapide et des gestes moins démonstratifs. Dites : « Ce médicament agit sur les centres de la douleur pour limiter le ressenti désagréable », et non : « Vous verrez, ça marche bien, faitesmoi confiance ! »
Accueillir
Nous ne le répéterons jamais assez : chaque client qui pousse votre porte doit être considéré. Offrez un regard, un sourire sur un visage ouvert et gratifiez-le d’un bonjour. Si vous êtes déjà en train de servir, levez les yeux vers la personne qui entre et, en quelques secondes, signifiez d’un regard et d’un sourire que vous l’avez vue. Vous lui montrez ainsi de l’estime, ce qui facilitera l’interaction à suivre.
Se taire !
Le patient doit parler plus que vous. L’écouter est une première marque d’empathie (voir plus loin). Vous en apprendrez beaucoup simplement en le laissant s’exprimer. Après un contact affable, avec le sourire, entrez vite dans le vif du sujet.
→ Questionner « ouvert ». « Comment ça va/Comment ça se passe avec votre traitement/ votre nouveau médicament ? » …
→ Attendre la réponse. Accordez un vrai silence de trois secondes au moins pour montrer que vous avez du temps à lui consacrer et que ce silence ne vous dérange pas. Éviter de regarder votre montre ou votre écran…
→ Accorder au patient 2 à 3 minutes pour parler. C’est le temps nécessaire pour recueillir un maximum d’informations en un minimum de temps. Si vous le coupez dans les 30 secondes, il vous faudra reprendre du temps pour aller à la pêche aux infos. Ce qui émerge très souvent en début d’entretien permet de mieux comprendre de quoi il est question.
Travailler vos freins
→ Ne craignez pas que la conversation s’éternise. Parfois vous le coupez très vite, de peur qu’il ne vous monopolise trop de temps, alors que le patient bavard de nature, sympathique, ne s’offusquera pas d’être interrompu par : « Oui, je comprends mais vu le monde qui patiente, il me semble dans votre intérêt qu’on aille dans le vif du sujet. »
→ Éviter les « conversations de comptoir ». La météo ou les résultats sportifs doivent restés anecdotiques et adaptés car le patient désire discuter du sujet qui lui importe et le concerne. Et votre temps n’est pas extensible !
→ Bannissez le « je domine ». Le diplôme, la blouse blanche, la posture derrière le comptoir renvoie à la position « haute » en communication. Le patient se sent « petit », alors inutile de rajouter un ton condescendant sous-entendant « laissez-moi parler, c’est moi qui sais »…
Opter pour l’empathie
Un temps accordé à l’autre
L’empathie, du grec ancien en, « dans », et de patheia, « ce qui est éprouvé, souffrance, sentiment » désigne, selon les dictionnaires, « la capacité de s’identifier à autrui, d’éprouver ce qu’il éprouve » ou « la faculté de ressentir les émotions d’autrui et de se mettre à sa place, sans cependant s’identifier à lui ». En fait, l’empathie consiste à mettre son ego, ses jugements et sa façon de voir les choses de côté, et offrir un temps à l’autre pour entrer dans sa problématique. La posture empathique pourrait se traduire par : « Je comprends le problème de l’autre mais je ne partage pas l’affect. »
Distinguer quatre postures
Pour mieux cerner l’empathie, il faut la différencier des trois autres postures que sont la sympathie, l’apathie et l’antipathie. Prenons un client qui confie : « Je n’arrive pas à avaler les comprimés. »
→ Sympathie : c’est « Je comprends le problème de l’autre ET je partage l’affect. » Exemple. Vous : « Moi aussi, j’ai du mal pour avaler certains comprimés. Je vais vous donner autre chose. »
→ Antipathie : c’est « Je comprends le problème de l’autre MAIS je m’oppose à sa formulation. » Exemple. Vous : « Je comprends mais vous pouvez faire un effort quand même, ce n’est pas la mer à boire d’avaler ce comprimé. »
→ Apathie : c’est « Je ne comprends même pas son problème. » Exemple. Vous : « Il est petit, je ne comprends pas pourquoi vous n’arrivez pas à l’avaler. »
→ Empathie : c’est « Je comprends le problème de l’autre ET je l’aide à trouver une solution grâce aux infos que j’ai recueillies auprès de lui. » Exemple. Vous : « Je comprends que ça puisse vous stresser de prendre le comprimé. Qu’est-ce qui vous empêche de l’avaler ? » Lui : « J’ai du mal parce que j’ai souvent la bouche sèche. » Vous : « Dans ce cas, buvez un verre d’eau avant. Ainsi votre bouche sera un peu plus humide et ce sera plus facile. »
Leurs méfaits
→ La sympathie inhibe l’autonomie. Un professionnel de santé doit veiller à renforcer l’autonomie du patient, le responsabiliser et lui donner des outils pour gérer et affronter sa maladie, son traitement et tout événement imprévu. Qui trop accompagne, ôte de l’autonomie ! L’empathie le responsabilise.
Exemple : « Est-ce qu’avec votre mode de vie, vous risquez d’avoir un problème pour prendre ce traitement ? » Le patient : « Ben oui. Il faut que je le prenne trois fois par jour aux repas et je ne mange qu’une fois. » Vous : « Réfléchissons ensemble pour vous aider à trouver une solution. Vous n’êtes pas obligé de faire trois repas, mais vous pouvez sans doute prévoir des petits goûters ? » En mode « sympathie », vous diriez : « Bon OK alors on va supprimer un médicament et on va le remplacer par un autre. »
→ Antipathie et sympathie sont stigmatisantes. L’antipathie est le fait d’éprouver un sentiment négatif envers une personne parce qu’elle nous rappelle quelqu’un que l’on n’aime pas. Pour la sympathie, l’analogie se fait avec une personne que l’on apprécie. Ces deux postures faussent la relation d’emblée car elles mettent en jeu des affects.
→ Apathie et antipathie conduisent au jugement. Dans l’apathie, on ne comprend pas le problème de l’autre, on ne se met pas à sa place. Très vite, nos valeurs, jugements ou opinions l’emportent. Ce qui peut arriver en écoutant une femme qui demande trois fois la pilule du lendemain en un mois ou un homme qui multiplie les IST et ne met jamais de préservatif…
Éviter les affects
Accepter la différence
→ Penser sans son filtre affectif. Écouter la problématique de l’autre sans juger est très difficile mais indispensable pour adopter une posture de soignant. Si votre premier réflexe est de dire non à une personne sous buprénorphine qui demande une seringue, pensez que l’objectif est la réduction des risques.
→ Proposer sans juger. Par exemple, dites à une jeune fille qui vient chercher la contraception d’urgence : « Je peux me permettre de vous poser quelques questions ? Si vous venez chercher une pilule du lendemain, c’est que vous ne mettez pas de préservatif a priori. Est-ce que vous voulez qu’on en parle ? » Toujours demander l’autorisation. « Me permettez-vous de vous apporter des informations, parce que je pense que c’est important pour vous ? ». Si non, dites : « OK, il n’y a pas de souci. Si la prochaine fois vous avez des questions, et bien je suis là. » Vous avez fait votre job et ça, c’est une posture empathique !
Acquérir la bonne attitude
Les silences, les mimiques, la position du corps, etc. sont à adopter en version empathique : bras posés sur le comptoir plutôt que pendant ou cachés, buste droit ou un peu penché en avant mais pas trop pour rester professionnel, regard posé entre les yeux de son interlocuteur, voix claire…
(1) La communication à l’officine, Thierry Wable, Éditions Le Moniteur des pharmacies, 2018.