Sous le soleil
« Le Moniteur » a demandé à Olivier Pauvert et François Rouiller, deux pharmaciens écrivains, d’imaginer la pharmacie du futur. Ils nous livrent deux nouvelles qui n’ont rien à envier aux grands auteurs de science-fiction. De « Sous le soleil » et de « Facteur humain », quel avenir vous sied le mieux ? Bonne lecture.
L’homme laissa tomber un morceau de sucre dans la tasse et alla siroter son café à la fenêtre. Le soleil brûlant de février dardait ses premiers rayons sur la campagne bretonne. D’ici une heure, la température deviendrait insoutenable. Il regarda la pendule et se dit qu’il ferait mieux de se dépêcher s’il ne voulait pas ouvrir son officine en retard.
Yves était pharmacien. Il avait hérité de la charge par son oncle, mort au comptoir dans un attentat, une douzaine d’années auparavant. Le ministère européen des Economies de santé avait exigé qu’avant d’ouvrir il validât quelques formations, au nombre desquelles « Rudiments pharmaceutiques » et « Gestion du petit commerce ». Il avait obtempéré : on l’avait inscrit à l’Ordre.
Il reposa sa tasse vide sur la table en bois, mit son chapeau de paille et prit son revolver, qu’il glissa à sa ceinture. Il sortit et bloqua la porte de sa cabane à l’aide d’une bûche. Au moins ses quelques victuailles seraient-elles à l’abri des chiens errants. La luminosité était impressionnante, le ciel d’une curieuse couleur aigue-marine qui ne tarderait pas à virer au blanc. Il se mit en route, l’officine n’était pas toute proche. Ses godillots de cuir soulevaient la poussière du chemin et laissaient des empreintes lunaires et nettes. Il regarda les collines nues, la rocaille, les arbres morts, le lointain tremblotant, et se dit qu’à part cette jolie couleur de ciel, l’élévation du taux de CO2 avait eu bien des effets néfastes.
Aujourd’hui était un jour particulier : il aurait probablement un client, une vieille, moitié infirmière, moitié rebouteuse, qui lui avait commandé de la teinture de jusquiame sans qu’il sût ni ce qu’elle voulait en faire, ni ce qu’on pouvait en faire. Le cyclomoteur du grossiste passerait vers 9 h 30. Il hâta le pas. La vieille était venue l’avant-veille, avait attaché sa mule devant la boutique, pris sa Winchester et poussé la porte. Elle portait une cartouchière en bandoulière. Elle l’avait salué d’un mouvement de tête. Le pharmacien avait écrasé sa cigarette et lui avait demandé ce qu’elle voulait : « Teinture de jusquiame » avait-elle maugréé. Il avait noté. Elle était repartie sur sa mule, au petit trot, soulevant des volutes de sable jaune que le vent brûlant emportait comme des flammes. Au soir, il avait télégraphié sa commande. Il n’était pas rare qu’il restât plusieurs jours sans voir un quidam ni la moindre caravane marchande. Alors il s’asseyait sous le porche, mettait les pieds sur la balustrade et se contentait d’attendre en rêvant. Son oncle avait été prospère, à Rennes, autrefois. Puis était venu le temps du « travailler-plus-pour-gagner-plus ». Comment faire ? Il ne pouvait pas travailler plus. Le climat changeait, mais beaucoup étaient trop occupés par leurs ARTT pour en avoir cure. Les gouvernements se diluèrent, remplacés par une lointaine technocratie qui ne tarda pas à prôner le « travailler-plus-pour-gagner-moins », qu’il n’eut aucun mal à mettre en pratique.
Le monopole disparut, l’université ferma, les campagnes dépérirent, l’économie décrut et l’Etat fit faillite. La pauvreté rendit les gens acariâtres et son oncle en fit les frais. Il fut pris à parti par un groupuscule extrémiste de consommateurs frustrés, se réclamant de la mouvance Qui Choisir : ils choisirent l’oncle et firent sauter sa pharmacie. Trente kilos de plastic : on retrouva des comprimés et des petits morceaux de viande dans tout le quartier.
Le pharmacien marchait sur le bas-côté pierreux. Il vit deux vaches mortes et une troisième qui ne passerait pas la journée si on ne lui portait pas de l’eau rapidement. Il s’arrêta pour souffler, il avait chaud. Il était presque rendu. Un bruit familier le fit se retourner au moment même où un gros 4×4 faisait halte à sa hauteur. La vitre teintée s’abaissa : « Salut potard, fit le conducteur, un homme blond et bronzé vêtu d’une chemise légère. – Salut toubib. Tu fais ta tournée ? – Eh oui, tout le monde m’appelle, j’ai reçu des médicaments chinois, j’en ai un plein coffre ! Tu ne peux pas imaginer le succès, depuis le temps que mes patients n’ont pas eu de vrais génériques. Allez, je te laisse, rapport à la clim’ qui tourne. Dis donc, il fait drôlement chaud dehors. Pense à t’hydrater, hein ? »
La voiture repartit en trombe. Le pharmacien resta debout sans mot dire, pensa une insanité et se remit à marcher. L’officine était à présent toute proche, isolée sur le bord de chemin : pas de problème de stationnement. Ne restait au bourg qu’un bistrot entouré de quelques maisons blanches. Yves avait pu ouvrir sa pharmacie grâce au microcrédit, et l’on venait parfois lui chercher quelques philtres ou potions qui l’aidaient à rembourser. Devant l’officine, René La Poivrasse dormait à même le sol, non loin d’une bouteille vide. Combien en avait-il sifflé avant qu’il ne tombât là, devant la boutique ? Le pharmacien le traîna à l’ombre du bâtiment et regarda les tombes rudimentaires qui bordaient l’officine. Il compta. Huit. Huit monticules. Huit sépultures. Huit croix en bois. Elles lui étaient si familières qu’il arrivait à en oublier le nombre. L’éolienne grinçait au-dessus de lui : il aurait un peu de courant aujourd’hui. Il restait un fond d’eau boueuse dans l’abreuvoir, qui tiendrait bien la semaine s’il n’avait pas trop de clients. Puis il déverrouilla la grille et entra. Il poussa les contrevents en bois, vérifia la charge des batteries et démarra l’ordinateur, un vieux modèle à écran plat qui fonctionnait encore sous Windows. Il sortit son fond de caisse de sous le plancher, mit un coup de balai, installa le crachoir et fit réchauffer un fond de café sur le réchaud à huile du préparatoire.
Il regarda dehors. Personne ne venait. Alors il entreprit de fabriquer des cartouches. Il avait le temps. Il avait le matériel.
Une heure s’était écoulée. Les munitions s’alignaient sur la paillasse. Il regarda sa montre : le livreur était en retard. Peut-être avait-il été débordé ? Peut-être avait-il crevé ? On l’interpella depuis la porte. C’était le facteur, un homme bourru à la moustache épaisse et blanche, qui faisait également percepteur et garde champêtre. Il lui remit quelques lettres. « T’as pas vu mon livreur ? » demanda Yves en retournant les enveloppes, comme pour essayer de deviner ce qu’il y avait à l’intérieur. « Bah ! Si tu veux parler du type qu’on a pendu au réverbère sur la route de Plougastel, alors si, je l’ai vu. Ils lui ont pris son cyclomoteur. T’auras pas de livraison aujourd’hui. »
Yves releva la tête : voilà qui tombait bien mal. Le facteur ajouta : « Les routes sont de moins en moins sûres, avec tous ces brigands. Il y aurait encore des arbres qu’on aurait des forêts de Bondy partout. Heureusement, moi j’ai la solution. » Ce faisant, il écarta le pan de sa veste, découvrant un truc à faire pâlir l’Inspecteur Harry. Le facteur fit un clin d’oeil au pharmacien, tourna les talons et disparut dans la lumière.
Yves arpenta l’officine de longues minutes durant. Que faire ? Il était inquiet : des ennuis se profilaient à grands pas. Il avait promis la jusquiame, et les vieux n’étaient pas commodes. Son oncle lui avait raconté l’âge d’or des vignettes orange, des ordonnances bizones et de la couverture maladie universelle. Les malades étaient gentils et courtois. Ils avaient de la considération pour les gens instruits et les professions médicales. Mais les choses avaient changé, la faute aux déremboursements et au changement climatique. Les clients étaient mauvais, braillaient sans cesse et dégainaient pour un rien. Yves, lui, n’était pas du genre à brailler, ni même à prévenir avant de tirer. Si la vieille se montrait d’humeur chafouine, les choses risquaient de très mal tourner.
Il resta donc posté à la fenêtre, aux aguets. L’enfer n’était rien à côté de la chaleur de l’après-midi. Soudain il l’aperçut. La vieille arrivait. Elle descendait le coteau poudreux troublé d’ondulations. Il boutonna sa blouse, alla derrière son comptoir, vérifia que son arme était bien chargée et retira le cran de sûreté. Il avait une AK47 sous la caisse, au cas où, mais bon, ce n’était qu’une vieille et il risquait d’en mettre partout. Il ferait ça proprement, et l’enterrerait avec les autres, derrière la pharmacie, à côté de l’inspecteur. Il ne se laisserait pas faire.
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