Rural gagnant
En transférant dans une maison de santé, Corine Lambert a assuré la pérennité de son officine en milieu rural profond. Installée à Varennes dans la Meuse, elle a diversifié son offre – du rayon véto à l’herboristerie – pour répondre aux besoins de tous.
Varennes-en-Argonne. Ce village de 700 âmes à 35 km de Verdun, aux confins des Ardennes et de la Marne, compte dans l’histoire de France. C’est là qu’en juin 1791 Louis XVI, en fuite avec sa famille, fut arrêté. Mais ça, c’est du passé. Aujourd’hui, le roi s’est fait voler la vedette par… la maison médicale des Vignes des côtes, qui trône à l’entrée du bourg. Fondé il y a cinq ans, l’immense bâtiment à la façade style « tôles ondulées » propose une quinzaine de places de parking. Loin de l’officine « vieillotte » ou « croquignolette » de village, la pharmacie Lambert occupe l’une des extrémités de la structure, à la suite d’un transfert en 2009. « Plus qu’un transfert, cette cohabitation avec d’autres professionnels de santé est une renaissance », assure la titulaire Corine Lambert. La pharmacie ne jouxte pas une dizaine de cabinets médicaux et paramédicaux par hasard. « Fille du pays », Mme Lambert s’est battue auprès de sa commune pour l’ouverture d’une maison médicale. Elle s’est démenée pour la création d’un pôle de santé (la maison médicale plus un médecin et un ostéopathe des environs) sur le secteur Varennes-Montfaucon, qui regroupe 13 professionnels. Présidente de ce pôle, Corine Lambert s’est impliquée dans un but bien précis, « attirer des jeunes professionnels pour maintenir un tissu de santé en milieu rural profond ». C’est elle-même qui a déposé le projet de maison de santé à l’ARS. Un projet de prise en charge du diabète et de l’AVC qui a été validé. Pour elle, l’enjeu de l’interpro est d’assurer un service de santé publique… et la pérennité de son entreprise. Pari déjà partiellement gagné. Le chiffre d’affaires de l’officine TTC a progressé de près de 20 % en cinq ans (et de 27 % entre 2009 et 2013).
Comptoir véto
Comme tous les autres professionnels de la maison médicale, la titulaire a signé un bail avec la commune qui loue les différentes cellules. Celle de l’officine s’étend sur 190 m2, dont 100 m2 d’espace de vente accessible facilement depuis le parking, quand il fallait emprunter des escaliers pour accéder à l’ex-pharmacie, alors située au cœur du village, rachetée par Corine Lambert en 1990. Le point de vente actuel se veut agréable et clair, avec ses baies vitrées donnant sur la rue et sa dominante de blanc. L’agencement, signé Fuchs, est simple : meubles blancs, colorés de marron dans le bas, avec étagères transparentes. Dès l’entrée, se dégage une touche féminine : les linéaires forment des courbes. Surtout, la signalétique non conventionnelle des univers attire l’œil : fleurs pour la cosmétique, flacons pour l’automédication, bambous pour le bien-être… Ces dessins ont été imaginés par la titulaire. En entrant, on trouve sur la droite l’espace parapharmacie, qui dispose d’une caisse. Puis on arrive aux trois comptoirs (séparés) principaux avant d’accéder au rayon vétérinaire. Bien identifié visuellement par des dessins de chats et chiens, il forme un corner, avec au centre son propre poste de délivrance. Cette spécialisation gonfle le panier moyen de l’officine à 55 €. Il faut dire que les produits vétérinaires représentent 8 % du CA de la pharmacie. C’est beaucoup, mais peu en regard des 20 % du CA que dégageaient les ventes du secteur jusqu’au printemps 2013. Ainsi, la mise en examen d’un vétérinaire, principal prescripteur de la pharmacie – en matière d’antibiotiques pour les animaux – a privé Corine Lambert des ordonnances que lui ramenaient les éleveurs. « J’ai perdu 60 % de mon activité vétérinaire sur l’animal de rente », regrette la titulaire d’un DU de pharmacie rurale et vétérinaire. D’où une baisse de CA de 7 % sur le dernier exercice… Militante pour le découplage entre la prescription et la délivrance d’antibiotiques destinés aux animaux (qui priverait les vétérinaires de vente), la trésorière de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO) défend bec et ongles l’expertise pharmaceutique. Loin de baisser les bras sur le véto, elle mise plus que jamais sur la prise en charge des animaux de compagnie, entre autres, avec un rayon complet de petfood.
Entretiens en nombre
Autre spécialisation : le MAD dont le rayon, au fond de l’officine, ne passe pas inaperçu. Logique dans une région où la population, vieillissante, doit faire près de 100 km pour accéder à un CHU. Corine Lambert et son équipe sont investis au chevet des patients, en collaboration avec le reste de la maison médicale. « Nous nous rendons presque tous les jours au domicile des malades pour évaluer les besoins. Si nous ne pouvons pas y satisfaire directement, nous faisons appel aux autres compétences. ». Actionnaire d’une société de matériel médical – Médical Service 55 – avec une vingtaine de confrères nord-meusiens, la pharmacienne se fournit auprès de ce prestataire. Actuellement, elle réalise 3 % de son CA rien qu’avec la location de matériel pour le MAD ! Et du MAD à la fourniture des EHPAD, il n’y a qu’un pas franchi depuis longtemps. La pharmacie gère 110 lits, répartis en deux établissements. Le médicament des EHPAD gonfle le CA de 10 %.
Répondre aux besoins de toute la population dans une région « loin de tout », c’est la volonté de Corine Lambert, qui a voulu un rayon bébés très fourni, avec une aire de jeux et un banc. L’équipe ne se contente pas d’exposer des produits, elle organise un suivi de la jeune maman. Concrètement, les préparatrices proposent des entretiens avant et après la naissance (médicaments de la femme enceinte, alimentation du nourrisson, vaccination…). A la pharmacie des Vignes des côtes, les entretiens ne s’arrêtent pas là. Dans l’espace de confidentialité, derrière le rayon diététique, se déroulent aussi des entretiens sur le sevrage tabagique et des « consultations » diététiques. En tout, avec le dépistage glycémique du diabète, ce sont trois à six entretiens qui sont organisés par semaine. Sans compter les entretiens pharmaceutiques (35 sur les AVK en un an).
Interprofessionnalité
« Le médicament ne fait pas tout dans un traitement, l’alimentation et l’activité physique comptent aussi », observe Corine Lambert. Elle a d’ailleurs fait l’acquisition de podomètres qu’elle compte proposer à la vente ou à la location. L’idée ? Monter un projet avec le kiné voisin pour sensibiliser les patients aux dangers de la sédentarité. A la maison médicale des Vignes des côtes, la complémentarité entre professionnels de santé n’est pas qu’un concept argué pour correspondre à un discours politique. Il y a des actes. Ainsi, Corine Lambert s’apprête à ralentir les entretiens nutrition, bien que l’une de ses préparatrices ait un BTS diététique. « Je ne souhaite pas faire de la concurrence à la diététicienne qui vient d’arriver à la maison médicale ». De même, elle a stoppé la délivrance de semelles orthopédiques quand un podologue a rejoint le pôle de santé.
Tous les mardis midi, les locataires de la maison de santé déjeunent ensemble, et une soirée tous les deux mois, ils se réunissent pour une formation ou pour discuter autour d’un thème. « Nous partons du principe que nous devons trouver une solution à toute demande des patients. Et cette solution ne passe pas forcément par un seul médecin ou pharmacien ». Une démarche interprofessionnelle qui se ressent et qui permet à la pharmacie de recruter des nouveaux clients, en particulier des Ardennais. Le slogan « Votre santé notre priorité » annonce les convictions dès la vitrine. Et des moyens sont mis en œuvre pour prendre soin des gens. A commencer par donner à l’équipe l’expertise suffisante. Chacun de ses salariés a une spécialisation. Ainsi, les préparatrices sont des pros de la diététique et de la femme enceinte; un jeune pharmacien nouvellement intégré a suivi le DU d’orthopédie; l’autre adjoint est responsable de la qualité.
Objectif qualité
La pharmacie des Vignes des côtes est certifiée Iso 9001/QMS Pharma depuis trois ans. « La démarche qualité a harmonisé notre discours au comptoir et nous avons abordé cette étape tous ensemble dans un objectif de performance. Car ici, nous ne vendons pas, mais nous dispensons. » Ses compétences, l’équipe les met aussi à profit d’autres professionnels de santé. « Il nous arrive régulièrement d’organiser des formations comme la prise en charge du patient diabétique pour le personnel des EHPAD alentour », rapporte la titulaire.
Sans surprise, Corine Lambert n’a pas la fibre marketing. Elle l’annonce – et le revendique même – sans ambages « Je ne pousse pas à la consommation. Je ne me sens pas du tout commerciale. » Il n’empêche, c’est une vraie « manageuse ». Exigeante au niveau du recrutement (les préparatrices ont une double compétence), elle sait où elle va. « Avec la certification, les fiches de poste sont claires », observe-t-elle. Ne perdant pas de vue le service aux patients, elle n’oublie pas non plus la santé économique de son entreprise. Pour pallier la perte des revenus vétérinaires, elle a déjà pris des initiatives. Ainsi, elle a pris le virage du « conseil au naturel ». Elle mise sur l’aromathérapie et, depuis septembre, sur les cosmétiques bio (voir encadré p. 32) et l’herboristerie en vrac. Dans cette officine très « santé publique », la part de la parapharmacie est de 13 % ! Preuve que les gens qui viennent avec une ordonnance consomment aussi de la para « à prix correct ». Corine Lambert se bouge et, par ses fonctions de conseiller ordinal et présidente de pôle de santé, est amenée à s’absenter de l’officine. Elle s’est organisée pour être bien secondée. Exemple probant, elle délègue toutes les commandes, chacun de ses collaborateurs étant responsable d’un rayon. Les réunions d’équipe mensuelles peuvent être l’occasion pour un salarié de rétrocéder des connaissances fraîchement acquises. La masse salariale reste maîtrisée malgré la présence de deux adjoints (dont un à temps partiel) pour un CA qui dépasse à peine 1,5 M€. Corine Lambert n’a pas remplacé un collaborateur parti à la retraite l’année dernière. Une « aubaine » dans un contexte de baisse du CA.
Éducation du patient
La recette du service de qualité aux clients porte ses fruits. Sur le dernier exercice, la part du CA hors vétérinaire décolle de 8 %. Si la marge globale, elle, baisse d’un point en raison de la chute des ventes vétérinaires, la répartition des ventes a de quoi assurer une rentabilité correcte. En effet, dans cette officine, où l’orientation « santé publique » transpire, le 2,1 ne représente que 64 % du CA. Merci le MAD ! L’avenir ? Corine Lambert l’aborde – encore et toujours – sous le signe d’un meilleur suivi du patient. En espérant être rémunérée dans ce sens. Elle débute une formation sur la gestion et le management d’une maison de santé pluriprofessionnelle, à l’ICN Business School. Et va mettre en place l’éducation thérapeutique du patient, avec les infirmières voisines. Une salle dans la maison de santé a été aménagée à cette fin. « Une convention est en cours avec la MSA de Reims dans le cadre d’ateliers du bien-vieillir, pour nous permettre de recevoir des indemnités. » Un pas de plus vers la pharmacie de demain en milieu rural.
Pharmacie Lambert
Varennes-en-Argonne (Meuse)
→ Équipe : 1 titulaire, 1 adjoint à temps plein, 1 adjoint à temps partiel, 3 préparatrices, 1 femme de ménage.
→ CA TTC à fin mars 2014 : 1,55 M€ (- 7 % versus n – 1, + 18,4 % depuis le transfert en 2009).
→ Marge (remise génériques incluse) à fin mars 2014 : 29,64 % (- 1 point).
→ Coût des travaux en 2009 : 155 000 €
→ Surface totale : 190 m2
→ Surface de vente : 100 m2
→ Fréquentation moyenne : 90 clients/jour
→ Panier moyen TTC
• Au global : 55 €
• Ordonnances : 58 €
• Hors ordonnances : 15 €
→ Répartition des ventes
• 64 % de médicaments remboursables
• 12 % de MAD et OTC
• 13 % de parapharmacie
• 8 % de produits vétérinaires
• % de location de matériel médical
→ Groupement : Pharmactiv
Cosmétique naturelleNouveau levier
Une perte sèche de 7 % sur une activité vétérinaire génératrice de marge qui représentait 20 % du CA, ça fait mal ! Corine Lambert entend trouver de nouveaux leviers de croissance, comme celui de la cosmétique naturelle. « Je veux offrir à ma clientèle de la cosmétique de qualité », annonce- t-elle. Et d’y mettre les moyens en s’informant avec précision sur les composants des produits (INCI). Elle a lu de A à Z le célèbre ouvrage La Vérité sur les cosmétiques, de Rita Stiens. « Je veux être sûre que ce que je vends n’est pas nocif. Désormais, mes connaissances sur les ingrédients me permettent de faire la différence avec les parapharmacies. » Côté gamme « secures », elle vient de référencer la marque bio Dr. Hauschka, distribuée habituellement dans les quartiers « bobos ». Et elle a déniché un savonnier chez qui elle achète en direct les produits lavants (Ma savonnette de Marseille). Ces savons « naturels » sont estampillés du tampon de la pharmacie.
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