L’OPTIQUE EN VUE DANS LA PHARMACIE
Depuis près de trois ans, Serge Vilmus, titulaire de la pharmacie des Quatre-Nations, a créé un espace optique pour proposer de nouveaux services et développer son activité.
D’emblée, les affiches en vitrine donnent le ton : « Votre opticien est dans la pharmacie ». Dans l’officine, des publicités pour de grandes marques de montures côtoient celles des produits de cosmétologie, d’hygiène et de certains médicaments en vente libre. Plus loin, face aux comptoirs où s’activent pharmaciens et préparateurs, un « mur de lunettes » s’offre aux regards des clients, qui découvrent, tout à côté, un espace consacré à l’optique. Depuis près de trois ans, la pharmacie des Quatre-Nations à Epinal (Vosges) a en effet élargi sa palette de services en proposant, en plus de la délivrance de soins ophtalmiques (collyres, pommades et produits d’entretien de lentilles), des prestations totales en optiques (lunettes, lentilles…).
Cette décision répond à la volonté du titulaire de satisfaire à un double objectif : repositionner le pharmacien au centre du système de santé et trouver de nouveaux relais de croissance.
« La baisse régulière des marges sur les médicaments et la parapharmacie conduit à réfléchir à de nouvelles prestations pour maintenir nos résultats et développer nos activités », explique Serge Vilmus. Et de préciser que la rencontre avec François Menge, président de la société Unilens’ à Suresnes (Haut-de-Seine), créateur du concept Carré de l’Optique, a contribué à sa décision d’ouvrir un espace voué à l’optique.
Il bénéficie ainsi de l’assistance de cette société, qui gère plusieurs magasins d’optique en région parisienne et se développe en accompagnant, moyennant le versement de royalties (5 % du chiffre d’affaires généré par cette nouvelle activité) les pharmaciens qui le souhaitent dans l’implantation d’un espace consacré à la vision. Les équipes d’Unilens’ installent le mobilier et les équipements nécessaires, forment le personnel de l’officine et, lors du lancement du corner, participent à la campagne de communication.
« Alors que l’ouverture d’une boutique d’optique nécessite un investissement de l’ordre d’un million d’euros, la création d’un corner au sein d’une officine ne mobilise “que” 50 000 à 80 000 euros », révèle Serge Vilmus.
Intégrer un opticien dans l’équipe
« L’embauche d’un opticien diplômé est bien entendu obligatoire, puisque nous n’avons aucune formation en la matière », insiste le praticien spinalien. Ce dernier rappelle d’ailleurs que « jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les pharmaciens vendaient des lunettes. Cette pratique a été progressivement abandonnée au bénéfice des opticiens, dont les enseignes se multiplient ». Il a donc recruté Aurélien Louet, qui travaillait à Paris chez un franchisé, tenté par cette expérience qui s’avère positive. « La pratique diffère peu de celle d’un magasin d’optique “traditionnel”, mais c’est beaucoup plus animé car il y a un passage de clientèle important », indique Aurélien Louet, soulignant qu’il se sent parfaitement intégré à l’équipe de l’officine. « Nous échangeons sur nos métiers et je suis capable aujourd’hui d’orienter les clients de la pharmacie vers les bons interlocuteurs en fonction de leurs besoins. De même, mes collègues peuvent répondre à certaines interrogations concernant la vision, par exemple faire un “prédiagnostic” de myopie, et peuvent effectuer quelques petites réparations comme revisser une monture », déclare l’opticien. Pour la fourniture des verres correcteurs, Aurélien Louet travaille, comme la plupart de ses concurrents, avec un des plus grands groupes mondiaux, à savoir Essilor, et propose autant les grandes marques de montures que des fabrications originaires du Jura.
Le jeune opticien relève qu’il s’instaure un réel rapport de confiance avec les clients, alors que celui-ci lui semble absent dans les magasins d’enseigne. « Le port de la blouse contribue sans doute à cette relation. Il “médicalise” mon travail, qui n’apparaît plus comme un simple acte commercial. D’ailleurs, je consacre une partie de mon temps au conseil auprès des clients. Je propose ainsi régulièrement des tests de vue », explique Aurélien Louet. Pour élargir ses compétences, et dans le même temps l’offre commerciale de l’officine, il suit actuellement une formation lui permettant de répondre aux besoins des patients dans le domaine de la « basse vision ».
« Nous sommes très peu d’opticiens à avoir cette qualification qui est pourtant en adéquation avec la demande de la clientèle, qui souhaite des conseils pour acquérir du matériel adapté – loupes électroniques, lampes à éclairage froid, appareils à grosses touches… », remarque-t-il.
Une façon d’être encore plus au cœur du système de santé
Cette approche correspond à la « philosophie » de Serge Vilmus et de son épouse, Mélanie, également pharmacienne et avec laquelle il est associé.
« Nous souhaitons constituer un pôle de santé, replaçant ainsi le pharmacien au centre du système de soins et de prévention », affirme le praticien, installé depuis vingt-cinq ans dans la préfecture des Vosges (40 000 habitants), département dont il est originaire.
Ainsi, en plus des offres classiques (homéopathie, orthopédie, diététique, dermo-cosmétique, parapharmacie…), la pharmacie des Quatre-Nations propose régulièrement des réunions d’information animées par des spécialistes sur des thèmes particuliers, en adéquation avec les préoccupations de la clientèle. « Nous avons récemment organisé un atelier à destination des futures mamans, portant sur l’allaitement, indique Serge Vilmus. Face aux attaques que subit notre profession, nous devons lui redonner ses lettres de noblesse en montrant qu’il ne s’agit pas simplement de vendre des médicaments, mais que nous sommes là aussi pour conseiller et informer. »
A son ouverture, le Carré de l’Optique s’est adressé aux seuls clients de l’officine qui l’ont accueilli naturellement tant « ils font confiance à leur pharmacien en tant qu’acteur de santé, et ils ont donc transféré cette confiance vers notre opticien », souligne Serge Vilmus. Progressivement le bouche à oreille a joué, et des personnes qui ne fréquentaient pas l’officine sont venues uniquement pour l’optique, dont certaines qui sont devenues des habituées.
Cette activité représente aujourd’hui 5 % du chiffre d’affaires annuel, qui s’élève à près de 5 millions d’euros. Ce qui explique que déjà une dizaine d’officines – la dernière en date étant celle du centre commercial Saint-Sébastien à Nancy – aient été séduites par ce concept qui suppose de disposer d’une surface de vente de l’ordre de 20 à 25 m2, auxquels il faut ajouter une salle d’examen, et éventuellement un atelier.
« Nous avons une activité en progression régulière, quasi identique au magasin d’optique franchisé installé de l’autre côté de la place », se réjouit le pharmacien, qui précise réaliser une marge d’environ 60 % sur l’optique. La pharmacie des Quatre-Nations occupe 800 m2 sur quatre niveaux et emploie une vingtaine de personnes (pharmaciens titulaires et adjoints, opticien, esthéticiennes, préparateurs et collaborateurs en back office). Elle enregistre une fréquentation moyenne de 500 clients par jour. « Outre la place nécessaire, le niveau de fréquentation est l’autre critère à analyser avant d’installer un corner optique. Il doit être au minimum de 300 clients quotidiennement », détaille le praticien d’Epinal. Il souligne également l’obligation d’avoir un stock élevé (800 paires de montures) pour être crédible et répondre à toutes les demandes.
Le parcours de Serge Vilmus
• 1980 Diplômé de la faculté de pharmacie de Nancy
• 1987 Installation
• 1990 DU d’orthopédie
SI VOUS AVEZ ENVIE D’ESSAYER
Les avantages
• Le renforcement du rôle d’acteur de santé du pharmacien.
• Le développement et la fidélisation d’une nouvelle clientèle.
• La présentation d’une offre de services et de produits complémentaires à l’offre officinale. Qui plus est, cette offre est originale pour le moment
• L’augmentation du chiffre d’affaires et l’amélioration de la marge de l’officine dans un secteur concurrentiel mais en croissance forte.
Les inconvénients
• Il faut disposer d’une surface de vente d’au moins 25 m2 et de locaux annexes pour installer un atelier et une salle d’examen.
• La fréquentation quotidienne de l’officine doit atteindre au minimum 300 clients pour que le corner optique soit rentable.
• Il faut pouvoir stocker au moins 800 montures.
Le conseil
• Se baser sur l’expérience et le savoir faire des spécialistes de l’optique.
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