Officine Réservé aux abonnés

Le libre accès sous haute surveillance

Publié le 12 juillet 2008
Mettre en favori

Certains d’entre vous ont d’ores et déjà installé des linéaires OTC devant le comptoir suite à la publication du décret et de la liste concernant le libre accès (« Journal officiel » des 1er et 6 juillet). Sur la base du volontariat, certes, mais vous serez observés, selon Roselyne Bachelot, sur votre engagement, votre capacité à donner des conseils et à faire baisser les prix. La ministre de la Santé a même présenté la démarche comme le moyen (ultime ?) d’éviter le passage de ces produits en GMS.

Mieux accompagner et sécuriser l’automédication, améliorer la concurrence sur les médicaments à prix libres. » C’est ainsi que le ministère de la Santé justifie la mise en libre accès de médicaments à prescription facultative. Libre à vous, depuis dix jours, de l’appliquer. Puisqu’il s’agit d’une démarche volontaire du pharmacien (et du laboratoire), a insisté la ministre. A voir l’effervescence dans certaines pharmacies depuis la semaine dernière, il apparaît que nombre d’entre elles étaient dans les starting-blocks. A commencer par celles de certains groupements, notamment PHR (voir encadré). Il faut dire que Roselyne Bachelot attend une forte proactivité des pharmaciens. A ceux qui pensent qu’il s’agit de la première étape vers le médicament en GMS, elle répond que « c’est la meilleure manière de les protéger ». Comprenez : il vaut mieux y aller.

350 MEuro(s) de CA, le double demain ?

Pour cela, 217 médicaments allopathiques, 12 à base de plantes et 19 produits homéopathiques sont donc à la disposition des pharmaciens (voir la liste pp. 10 à 13). Tout ceci représentant un CA de 350 MEuro(s). Une liste appelée à gonfler ? Urgo estime à 750 MEuro(s) de CA le potentiel d’une telle liste à moyen ou même court terme. Jean-Luc Audhoui, trésorier de l’Ordre, pense lui aussi que « dans un an il y aura une offre totalement différente ». « Nous sommes dans une démarche expérimentale, a cependant précisé la ministre, je ne m’engagerai pas dans un élargissement tant qu’un premier bilan n’aura pas été réalisé. » Premier bilan qui sera lancé cet automne, les pharmaciens ayant besoin « d’un temps d’adaptation », précise Roselyne Bachelot. Un temps d’adaptation bien court. « Quelques produits en fin d’évaluation seront ajoutés dans quelques mois », précise cependant Jean Marimbert. On parle d’une cinquantaine de produits. Pour un élargissement plus important, il faudra attendre l’évaluation ministérielle.

Le remboursable exclu.

Les différences notables entre la liste publiée mardi et celle que nous avions fait paraître en exclusivité en mars concernent l’ajout des produits à base de plantes et d’homéopathie (voir p. 13), mais surtout le retrait des rares spécialités remboursables. Motif officiel : leur présence sur des linéaires eût créé une distorsion de concurrence avec les autres produits, cela étant assimilable à une forme de publicité. Second motif avancé au détour d’une réponse à la presse : la crainte de voir les patients se faire prescrire a posteriori par le médecin leurs achats d’automédication.

Prix : baisse attendue.

Toute volontaire que soit la démarche, les pharmaciens sont sous haute surveillance. Que cela plaise ou non, le ministère l’annonce haut et fort, le libre accès est « un moyen d’améliorer la concurrence », d’« offrir des prix publics concurrentiels et améliorer le pouvoir d’achat des citoyens » qui sont en droit d’« obtenir le meilleur traitement au meilleur prix ». Une manière de dire qu’il n’y avait pas assez de concurrence avant… « Je suis très en observation sur cette mesure », a insisté Roselyne Bachelot à propos des baisses de prix attendues : « Je suis persuadée que le mouvement ira dans ce sens. » Hors de question, en revanche, d’accepter des accroches du style « 3 boîtes pour le prix de 2 », s’est enflammée la ministre. Reste à savoir de combien les prix baisseront. L’observatoire des prix prévu à cet effet démarrera à la rentrée.

Conseil : les pharmaciens observés.

Le libre accès, c’est aussi « améliorer l’accès des patients à une information adaptée et de qualité », c’est « leur offrir un choix éclairé et accompagné de conseils individualisés », écrit le ministère. Contresens ? Manière d’obliger le pharmacien à se montrer plus proactif dans son intervention auprès des patients ? Peu importe. Le résultat, dès lors que la mesure est effective, c’est que les officinaux seront ici jaugés sur le systématisme de leurs interventions et sur leur qualité.

Publicité

Tout le monde sera d’accord : une fois envolée la barrière protectrice du comptoir, quelle différence y aurait-il entre l’officine et un autre circuit de distribution si le conseil est absent ? Il y a fort à parier que l’officine jouera gros sur ce point, car c’est sa compétence qui sera jaugée. Une compétence dont ne doute pas un instant la ministre, évoquant « un accompagnement professionnel de haut niveau ». Même si, lors de l’évaluation du dispositif, « son impact en termes de bon usage et de sécurité sera mesuré ».

Le décret sur l’inviolabilité reste hypothétique.

Maints observateurs estimaient qu’il s’agissait de la mesure qui empêcherait le libre accès. Eh bien non. Le libre accès est bel et bien applicable immédiatement sans aucun système d’inviolabilité. Si le fameux décret prévoyant un tel système est en préparation, il n’a que très peu de chance d’être accepté par l’Union européenne, a laissé entendre la ministre de la Santé, ayant déjà été refusé une première fois. Car il n’existe nulle part ailleurs, même dans des pays autorisant déjà le libre accès. Et il obligerait l’industrie à mettre en place des chaînes spécifiques, ce qui pourrait alors passer pour discriminatoire auprès de Bruxelles.

Pas de centrale d’achat avant trois mois.

Il reste en tout cas un sérieux manque dans les textes parus au Journal officiel : le décret sur les centrales d’achat pour le non-remboursable. Ces centrales qui permettront précisément aux pharmaciens d’acheter aux meilleures conditions… et de présenter des prix plus attractifs, oeuvrant ainsi pour le pouvoir d’achat des Français, omniprésent dans le discours gouvernemental et dans l’argumentaire officiel en faveur du libre accès. Or ce décret ne paraîtra que d’ici « trois petits mois », informe Roselyne Bachelot : « Un premier projet de décret a fait l’objet de nombreuses remarques de la part des instances professionnelles. Une seconde mouture leur sera donc soumise dans les prochains jours », indiquait-elle le 1er juillet.

Tout ceci nous mène donc fin septembre. Pour peser sur les prix d’ici le premier bilan gouvernemental, il faudra donc s’en passer.

Le décret

« Le pharmacien titulaire ou le pharmacien gérant une officine peut rendre directement accessibles au public les médicaments de médication officinale mentionnés à l’article R. 5121-202. Ces médicaments doivent être présentés dans un espace dédié, clairement identifié et situé à proximité immédiate des postes de dispensation des médicaments et d’alimentation du dossier pharmaceutique mentionné à l’article L. 161-36-4-2 du Code de la Sécurité sociale, de façon à permettre un contrôle effectif du pharmacien. Ce dernier met à la disposition du public les informations émanant des autorités de santé relatives au bon usage des médicaments de médication officinale. »

Art. 2, décret 2008-64, « JO » du 1er juillet.

Le groupe PHR accède à la volonté de Roselyne Bachelot

La Pharmacie Cadet-Lafayette, dans le IX arrondissement de Paris, aux couleurs de PHR, a eu l’honneur d’ouvrir le bal du libre accès en accueillant Roselyne Bachelot le 1er juillet. Les 2 000 pharmacies du groupe ont d’ailleurs reçu un kit de mise en place : une liste des produits à exposer, une préconisation concernant la mise en place d’une zone dédiée, un kit de signalétique adaptée, des recommandations en matière de prix, de merchandising et une dizaine de fiches informatives pour les patients. « Nos fiches sont conçues autour des pathologies courantes, explique Lucien Bennatan, président-directeur général du groupe PHR. Elles sont donc complémentaires de celles de l’Afssaps. Les patients pourront prendre les unes et les autres. Mais nous espérons bien que l’équipe aura aussi le réflexe de les remettre. C’est aux pharmaciens de contribuer à combler le déficit en matière d’information santé. Il y va de notre crédibilité. Cette mesure, c’est aussi faire en sorte que l’industrie pharmaceutique crée une nouvelle classe de médicaments : les médicaments de prescription pharmaceutique. Pour moi, ce qui se vit là est aussi important que le droit de substitution. »

En parallèle de la mise en place du libre accès, PHR a démarré une campagne radio dès le 3 juillet et jusqu’au 13 au nom des enseignes Viadys et Pharma Référence. Six messages rassurants et préventifs sont diffusés quotidiennement sur Chérie FM, Nostalgie, RTL, RMC, Europe 1 et Sud Radio, en particulier sur les tranches 7-9 heures et 18-20 heures. Du lourd. « Le conseil est avant tout d’aller au plus utile, pas forcément au moins cher », conclut Lucien Bennatan.

Laurent Lefort