Herboristerie : Stop ou encore ?
Longtemps espèce en voie de disparition, l’herboristerie française va-t-elle refleurir ? C’est en tout cas ce que réclame l’Association pour le renouveau de l’herboristerie. Un des arguments avancés par certains herboristes est de couper l’herbe sous le pied de leurs homologues allemands et italiens tentés de venir exercer en France.
En France, la vente au détail des plantes médicinales (1) relève du monopole des pharmaciens d’officine et des rares herboristes diplômés encore en exercice. Mais le jeu des acquisitions-associations (2) a permis à quelques « vraies » herboristeries d’avoir toujours pignon sur rue, comme par exemple à Paris, place de Clichy, à Montparnasse ou dans la rue Saint-André des Arts.
Michel Pierre, auteur avec Michel Lis de Secrets des plantes (éditions Proxima), s’est associé avec le titulaire de l’Herboristerie du Palais-Royal en 1970. « J’ai eu la chance d’être préparateur à la campagne. Nous fabriquions des médicaments. Arrivé dans une pharmacie parisienne, le métier ne consistait plus qu’à délivrer des spécialités. Une annonce « Herboristerie à vendre » a changé ma vie. Dans cette boutique, je me suis ressourcé et j’ai pu exercer ma passion pour les plantes médicinales en mettant au point une gamme de phytocosmétiques. » Ici, 20 à 30 préparations de plantes sèches sont réalisées quotidiennement pour des pharmaciens.
A Cannes, la petite herboristerie familiale Nature et Collections a ses fidèles. Au fil des années, la mère, herboriste diplômée, a transmis au fils tout son savoir. Toutefois, afin de respecter la législation, il a choisi de se limiter aux plantes autorisées hors officine mais en sélectionnant ses fournisseurs. A Montpellier, c’est une pharmacienne qui prépare des mélanges de plantes pour les clients de l’herboristerie La Quintessence, dirigée par une herboriste.
A Toulouse, Betty, une herboriste certifiée Imderplam (lire ci-dessous) et ARH, exerce ses talents à la pharmacie de la Croix verte devant des casiers à l’ancienne. « J’herborise et fais les reconnaissances. Suivant les demandes des clients, en collaboration avec les pharmaciens, j’adapte ou propose des tisanes à partir d’un stock de 500 plantes en vrac. » Plus loin, teintures mères, huiles essentielles, gélules et compléments alimentaires occupent aussi un large espace. Une vingtaine de personnes travaille ici. La réception des plantes et des poudres, le contrôle et le mélange sont rigoureux, précise le titulaire Bernard Risse, qui aime à rappeler qu’à l’origine la pharmacie de la Croix verte était une… herboristerie. « Mais l’herboriste a épousé une pharmacienne et c’est devenu une officine. » Bernard Risse constate que les ventes de plantes en vrac ont tendance à augmenter. « Le conseil est important, mais, globalement, les clients lisent sérieusement les ouvrages de phytothérapie et savent ce qu’ils veulent. »
Dans son officine montpelliéraine, Thierry Dumont développe également la phytothérapie. Ce qui prédomine pour lui : « Aimer et bien connaître mon métier, car le conseil prend du temps. Du temps pour les clients, mais également dans la conception et la gestion d’un stock adapté. » Dans des boîtes en carton, 400 variétés en vrac sont gardées à l’abri de la lumière. Sauge, menthe, prêle, camomille, tilleul, verveine, anis vert, badiane de Chine, oranger en feuilles et boutons, aubier de tilleul et boldo restent les plus vendues. Aussi doit-on savoir conseiller et gérer car la conservation dépasse rarement deux ans. « Il faut adapter la formule, personnaliser, individualiser et préparer un mélange extemporané », poursuit Thierry Dumont, qui avoue que la rentabilité est indirecte. « Quand vous conditionnez, les gens apprécient. Au-delà de l’efficacité, cette personnalisation justifie le rôle du pharmacien », avance Jean Schies, cotitulaire de la pharmacie de l’Europe à Paris. Dans son officine, la phyto est au premier plan avec de nombreuses gélules et teintures mères mais aussi quelque 150 variétés de plantes sèches.
Guy Tranain, installé à Pont-Saint-Esprit (30), propose en plus de ses 300 plantes en vrac un éventail de jus biologiques, de compléments phytoalimentaires et d’huiles essentielles. « Chaque année, nous organisons deux herborisations avec nos clients. En plus de la cueillette et des reconnaissances sur le terrain, nous alternons les thèmes : plantes à huiles essentielles, baies sauvages, plantes médicinales… » Selon lui, les formations concernant la phytothérapie agréées par l’Ordre sont rares, ce qui n’inciterait pas les officinaux à remettre à jour leurs compétences et à se recentrer sur l’herboristerie.
Mais au fil du temps, de nombreux officinaux, par manque de temps ou de conviction, ont délaissé les plantes en vrac, il est vrai pas toujours faciles à stocker et à conserver. Il faut dire aussi qu’après les infusettes et les gouttes buvables, l’arrivée des gélules – formulation pharmaceutique adaptée au mode de vie moderne – a bouleversé les habitudes en proposant des doses standardisées excluant la saveur et l’odeur désagréables de certaines tisanes.
Un marché bridé par l’ambiguïté des réglementations
Ce désintérêt progressif des officinaux pour les simples est-il opportun au moment où la vogue du naturel conquiert de plus en plus de consommateurs ? Pire, il semble redonner le moral aux « herboristes », une profession pourtant condamnée depuis 1941… Ainsi, l’Association pour le renouveau de l’herboristerie milite pour le rétablissement du diplôme supprimé et propose déjà un enseignement alliant botanique et phytothérapie (en fait un certificat de phytologue-herboriste en deux ans). « Notre idée est de coexister avec le monde pharmaceutique sans s’affronter. Nous souhaitons que les magasins de diététique puissent développer les plantes à côté des compléments alimentaires et des cosmétiques sous la direction de véritables conseillers en produits naturels ayant suivi un enseignement de qualité », poursuit Patrice de Bonneval, pharmacien et président du Syndicat national de l’herboristerie. Quant à l’Office national interprofessionnel des plantes à parfums aromatiques et médicinales, il estime que le marché présente un fort potentiel mais qu’il est bridé par l’ambiguïté des réglementations.
« Le sujet de l’herboristerie est d’abord une affaire de pharmaciens », renchérit Jacques Fleurentin, président de la Société française d’ethnopharmacologie, dont l’action vise à « renforcer la plante médicinale dans son statut de plante-médicament. Il s’agit au niveau européen de se rapprocher de la norme française et de donner un statut clair à la plante médicinale afin que seuls soient classés : épices, condiments, compléments alimentaires, des produits végétaux non toxiques dépourvus d’action thérapeutique notable. » De son côté, le Pr Paul Susplugas, responsable du DU de phytothérapie et aromathérapie de la faculté de pharmacie de Montpellier, n’a eu pour le moment aucune information relative à l’éventuel rétablissement du diplôme d’herboriste. Mais il a un point de vue tranché concernant l’aromathérapie : « Je suis partisan de son maintien dans le giron pharmaceutique. L’utilisation des huiles essentielles doit être rationnelle. »
Pour Michel Pierre, de l’Herboristerie du Palais-Royal, « l’exclusivité de la vente des plantes en pharmacie ne se justifie pas car la plupart des officinaux n’ont pas le temps de faire simultanément et correctement le métier d’herboriste ». Alors autant travailler en bonne intelligence car, selon lui, la menace est ailleurs : « Si l’on ne réévalue pas rapidement la question, les herboristes et les pharmaciens français vont se faire doubler par les herboristes européens. Les Allemands, au nombre de 5 000, ou les Italiens, à peine moins nombreux, peuvent demander à s’installer. Il faut que des pharmaciens, des préparateurs et des professionnels bien formés en herboristerie puissent s’installer. Cela ne peut qu’augmenter la qualité et la sécurité quand l’on voit que sur certains marchés des mélanges à risque sont parfois proposés. » Un domaine qui demande une constante vigilance. Actuellement, des études cernent par exemple une probable relation entre la consommation régulière de bourrache et de consoude et un effet cancérogène.
Les pouvoirs publics doivent-ils suivre le modèle italien ?
Thierry Dumont se déclare favorable à ce que « dans les limites relatives à la toxicité, au contrôle, au niveau de la dispensation, le diplôme d’herboriste revienne ». Pour lui, un bac scientifique et des études de deux à trois ans en fac de pharmacie, associant botanique, phytoaromathérapie et toxicologie, devraient permettre à des non-pharmaciens d’exercer, comme par exemple des préparateurs. Finalement un cursus ressemblant de près à celui du diplôme disparu depuis 1941, époque où 4 500 herboristes tenaient boutique.
« Au lieu de créer un marché extensible, les officinaux doivent développer correctement cette activité », avance Jean Schies. Bertrand Borra, titulaire à Guéret (23), rappelle que le monopole a pour but d’assurer la protection de la santé publique. « Mais les connaissances à mémoriser sont toujours plus pointues et nous n’avons pas plusieurs cerveaux. Alors, dans le contexte européen, si demain des pharmaciens peuvent ouvrir une herboristerie, cela jouera en faveur de la qualité et de la sécurité. » En Italie, la liberté d’installation existe à condition de posséder l’un des diplômes suivants : biologiste, pharmacien, médecin ou herboriste.
(1) Hormis les 34 plantes en vente libre sous conditions d’abstention de mélanges et d’allégations thérapeutiques.
(2) Il s’agit d’associations avec des herboristes diplômés et/ou la gestion d’une herboristerie sous la caution d’un herboriste diplômé.
Des formations de qualité
Le Pr Annick Delelis, qui dirige l’enseignement de botanique pharmaceutique à Lille, observe un intérêt croissant pour les plantes médicinales. Conséquence, les facultés adaptent les enseignements. « Nous avons à Lille un DU d’ethnobotanique appliquée mais aussi un diplôme d’études universitaires de sciences et techniques santé-environnement. Ce DEUST présente une option phytologie en deuxième année. » Dans l’éventualité d’une harmonisation européenne rétablissant un diplôme d’herboriste, les étudiants pourraient accéder à cette fonction à l’intérieur comme à l’extérieur d’une officine en assurant une dispensation de qualité. Et pour ceux que la culture des plantes médicinales intéresse, une troisième année est possible via une licence professionnelle agriculture et environnement.
Des diplômes plus « classiques » existent dans d’autres facultés de pharmacie comme le DU de plantes médicinales et phytothérapie de Lyon (04 78 77 70 07), le DU de phytothérapie et de plantes médicinales de Montpellier (04 67 54 80 93), le DU de connaissance et dispensation du médicament d’origine végétale de Paris-V (01 43 29 12 08) et enfin le DU de plantes médicinales et médicaments de phytothérapie de Toulouse (05 61 55 66 30).
A signaler également les enseignements de l’Association pour le renouveau de l’herboristerie (01 43 58 66 48), à Paris, ou en province de l’Imderplam, (04 67 29 60 05) ou encore de l’Ecole lyonnaise des plantes médicinales (04 78 30 84 35).
Mauvaises graines !
En France, hormis les 34 plantes en vente libre sous conditions d’abstention de mélanges et d’allégations thérapeutiques, la délivrance des plantes médicinales relève de la compétence du pharmacien. Mais par le truchement des herbes dites « aromatiques », cette gamme s’étend largement alors même que l’aromathérapie peut se révéler dangereuse et que l’automédication se trouve facilitée par de nombreux ouvrages en vente libre.
Par ailleurs, les magasins de diététique, les parapharmacies, les pseudo-herboristeries, les grandes surfaces, les sociétés de ventes par correspondance, mais aussi quelquefois les vendeurs sur les marchés proposent de plus en plus de compléments alimentaires qui sont en réalité des produits phytothérapiques.
Certaines plantes comme le boldo et la valériane, qui relèvent strictement du monopole se retrouvent dans des ces soi-disant compléments alimentaires. Mais elles ne sont pas les seules à passer au travers des mailles de la réglementation. Achillée millefeuille, bouleau, chardon-Marie, cyprès, ginkgo, ginseng, kola, marronnier d’Inde, orthosiphon, prêle, vigne rouge…, en veux-tu, en voilà !
Les allégations thérapeutiques sont à peine déguisées derrière les termes « vertus », « confort » et « bien-être », surfant la vague du « bio ». Et pour ceux qui s’intéressent à l’astrologie, d’après un laboratoire présent en officine (!), les Béliers ont besoin d’Eschscholtzia, les Taureaux d’échinacée alors que la passiflore serait excellente pour les Gémeaux et le ginseng pour les Scorpions…
Enfin, pour compliquer le tout, la législation varie suivant les pays européens et la toute récente directive européenne est loin de clarifier les règles pour les produits concernés (voir page 12). S’avérera-t-elle pour autant suffisante ?
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