Des mains d’argent
Préparateur bourguignon, Jean-luc Ancel sculpte la ferraille. Entre ses mains, des vieux outils commencent une nouvelle vie. Plus qu’une lubie d’artiste, un trait d’union entre générations.
Ce bout de ferraille, il me le faut. Il finira en rapace, en échassier ou en pélican ». Au péage de Villefranche-sur-Saône, la cohue de voitures s’impatiente devant les caisses. Jean-Luc Ancel vient d’apercevoir un vieux carter abandonné sur la chaussée. « C’est comme une étincelle, je sais que je vais le transformer. » Jean-Luc est un sculpteur autodidacte. Ce quinquagénaire ne revendique aucune case, il crée. Impulsivement, « comme une drogue ». Le carter-pélican, vendu depuis, a fait son nid quelque part, sur un meuble ou une cheminée.
Matière première. Silence. Enfermé dans son atelier, Jean-Luc se concentre sur un objet. Vieille passoire, moulinette à persil, arrosoir… Pendant cinq minutes, un quart d’heure, il soupèse, examine. Jusqu’au déclic. Véhicule, personnage, animal, l’idée jaillit. « Ce n’est pas un don mais presque. Tout s’enclenche, ça va très vite. » Souder, marteler visser, percer, assembler, il modèle sa pièce jusqu’au soir. « Parfois, ça me réveille la nuit, cette pièce, il faut l’associer à celle-la. » Jean-Luc est un manuel « génétique », son père était menuisier, son grand-père mécanicien. Et un créatif. Les meccanos et boîte de modélisme, très peu pour lui, trop « dirigiste ». Il a besoin d’imaginer, de transformer. Il touche à la peinture, l’argile, le bois flotté, rien ne l’accroche. Jusqu’au fer. « C’est différent, ça ouvre des tas de possibilité. L’acier, l’aluminium, tous se modèlent. » La révélation vient à Tournus (Saône-et-Loire), il y a dix ans lors d’une « récup ». Des participants s’affèrent autour d’une benne de vieilles ferrailles hétéroclites avec un thème imposé. Luminaires ou bestiaire, les œuvres prennent vie en trois jours, façonnées avec quelques outils et un fer à souder. À la clé, une remise de prix. « C’est superbe, on peut rester des heures sur place pour voir la transformation. » Sitôt rentré Jean-Luc se creuse la cervelle. D’un vieux vélo, d’une tenaille, il fait une moto miniature, son autre passion. Puis deux, puis d’autres, les œuvres s’entassent sur la pelouse. Repéré par les organisateurs du festival d’art singulier Biz’art Biz’art au Vaudioux (Jura), il y expose pendant plusieurs années. Puis cinq ou six fois par an, dans sa région. « C’est le côté dingue, je vends mes œuvres alors qu’elles ne me demandent pas d’efforts. » Jean-Luc s’étonne « que ça marche ».
La patine du temps. Les matériaux contemporains ne l’inspirent pas. « Si le métal n’est pas assez torturé, s’il n’a pas assez vécu, je ne m’attarde pas. » Lui si posé, s’exalte : « J’ai une prédilection pour le métal rouillé, c’est excellent la rouille, ça prend des tons de jaune, de rouge, de marron… » Plus l’objet a vécu, plus il l’intéresse. À l’image de cette boîte de conserve, usée, piétinée, glanée comme un trophée sur un trottoir en Mauritanie et devenue carapace d’une bestiole imaginaire. Les vieux outils le fascinent. Surtout ceux restés en terre des années, offerts aux intempéries, qu’il conserve « dans leur jus pour qu’ils gardent leur âme ». Derrière la patine, il devine leur histoire. « J’ai un grand respect pour ces outils qui ont traversé les générations du père et du grand père. » Jean-Luc est attaché aux coutumes. Familiales d’abord. Proche de ses trois enfants qui ont quitté le nid, il a accompagné son père dans la maladie. « La famille, c’est le plus important pour moi. » Régionales aussi. La Bourgogne est son fief, le folklore, sa deuxième passion. Avec sa compagne Pascale, il perpétue les traditions au sein d’une association locale. En costume d’époque, capeline pour les femmes, pantalon, gilet et guêtres de velours pour les hommes, ils entretiennent le patois, les danses d’antan comme la Varsovienne, la fête des battages, les reugnes*… Jean-Luc regrette la convivialité d’antan. Et les valeurs délaissées. « À cette époque, les gens s’amusaient et dialoguaient davantage. Ils s’entraidaient. Maintenant, avec la télévision, Internet, les enfants au bout du monde… »
Subtil alliage. Jean-Luc est diplômé depuis 1976, « ces années folles où l’on était encore préparateur. Les erlenmeyers, les béchers, le sirop de Dessesartz, le lait d’amande, les phases huileuses, c’était sensationnel. Aujourd’hui, c’est subrogatoire et informatique. » Le préparateur était un « artisan d’art ». Jean-Luc ne se sent pas en phase avec l’évolution de son métier. « Si la réforme du diplôme passe, qu’on ne nous appelle plus préparateurs ! » Il se met soudain à rire : « Je vais passer pour un vieux grincheux réac, axé sur un passé désuet plutôt que sur l’avenir ! » Un tantinet nostalgique peut-être, mais rétrograde, sûrement pas ! La récup, les coutumes, l’entraide sont les fers de lance d’un retour aux valeurs essentielles, une « simplicité volontaire », courant porté haut et fort par les nouvelles générations de la vague « décroissante ». Jean-Luc n’est d’ailleurs pas réfractaire au changement. Sur un coup de tête, il a bazardé son établi sophistiqué pour des techniques plus minimalistes, intègre maintenant du bois à ses œuvres, bientôt du tissu car « il faut aller de l’avant, se diversifier ». Il se défend d’être un artiste, « c’est trop pompeux. Il faudrait un terme à mi-parcours entre charlot et artiste. Un charlot ne vendrait pas ses œuvres mais un artiste, c’est sérieux. » Un « recyclar » peut-être, comme il se nomme lui-même. Peu importe, créer est un besoin, il doit « pondre quelque chose constamment… C’est une échappatoire, une thérapie. Je me monte peut-être le bourrichon mais j’aime à penser qu’une partie de moi part vers les autres. »
* Ancienne tradition bressane qui consiste à allumer des feux dans les champs pour chasser l’hiver et préparer l’arrivée du printemps.
Portrait chinois
• Si vous étiez un végétal ? Une vigne pour la complexité des cépages, la convivialité du vin et la tradition de la terre et du patrimoine. Je suis un épicurien, attaché aux coutumes.
• Une forme galénique ? Une solution colorante et colorée qui permettrait de réaliser des aquarelles. Avec ses couleurs, je transformerais les choses.
• Un médicament ? Une aspirine effervescente, une molécule ancienne qui a prouvé son efficacité. Certaines choses en désuétude mériteraient de voir redorer leur blason. Je suis nostalgique… des préparations !
• Un dispositif médical ? Un extracteur d’oxygène pour ne pas manquer d’air. J’ai besoin de bouffées d’oxygène pour sortir de ce monde parfois pestilentiel. J’ai d’ailleurs failli mourir étouffé…
• Un vaccin ? Contre le cancer pour sauvegarder tous ceux que je connais. J’aime aider. Je suis « famille ».
• Une partie du corps ? Les deux pouces car les mains ne sont rien sans eux. Si je ne peux créer de mes mains, je ne suis rien.
Jean-Luc Ancel
Âge : 56 ans.
Formation : préparateur.
Lieu d’exercice : Cuisery en Saône-et-Loire.
Ce qui le motive : la famille et son bien-être.
![Les dispositifs de série pour abduction des hanches du nourrisson](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/01/3-FrejkacoussindabductionAM-SB-074Kids-680x320.jpeg)