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Alors, heureux ?

Publié le 1 juin 2024
Par Sana Guessous
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Installés dans des zones rurales où l’accès aux soins n’est pas toujours facile, trois pharmaciens nous ont ouvert les portes de leurs officines. Chacun a mis en place des solutions innovantes pour mieux servir sa patientèle et assurer la viabilité de son enseigne. Portraits de ces couteaux suisses inventifs et comblés.

 

A Trélissac (Dordogne), la pharmacie Les Garennes s’apprête à vivre un chantier d’envergure. Les travaux, qui démarrent en juin, porteront la superficie de l’officine de 420 à 750 m2. « Nous allons créer cinq salles de consultation pour y développer le suivi complet des patientes atteintes de cancer du sein », explique la pharmacienne titulaire, Patricia Ducroquet-Audouin, 47 ans. Un accompagnement bienvenu : en Dordogne, 60 % des Périgourdins sont confrontés à de graves difficultés d’accès aux soins. « Quand ces femmes sortent de l’hôpital, les informations sont très morcelées. En outre, l’hôpital le plus proche qui prend en charge ces pathologies se trouve à Bordeaux (Gironde), à 120 km de chez nous. Quant aux médecins traitants, ils sont souvent débordés et n’acceptent plus de nouveaux patients. La situation est très complexe ». Patricia Ducroquet-Audouin et son équipe servent donc de relais. Pour faciliter l’accès aux soins de sa patientèle, elle compte par conséquent regrouper dans un seul espace un choix varié de prothèses mammaires, capillaires, de lingerie spécialisée et de soins dermatologiques. A terme, ces salles de consultation serviront également à mener des bilans de prévention aux âges clés de la vie.

 

Après ses études à Paris et trois années d’exercice en banlieue parisienne, la pharmacienne a élu domicile en Dordogne. « Je voulais vivre à la campagne et me rapprocher de ma famille » Un choix gagnant : à une dizaine de kilomètres de Périgueux, son officine achetée en 2014 avec des associés, emploie désormais 23 personnes. Elle est l’une des plus fréquentées de cette zone semirurale. « Notre taille nous permet de posséder des stocks importants. Les patients n’ont donc jamais besoin de revenir trois fois pour obtenir leurs médicaments. Dans ce contexte de pénuries, nous mettons également tout en œuvre pour pallier les manques, quitte à appeler le médecin pour changer de traitement. Les gens apprécient beaucoup cette aide », se réjouit Patricia Ducroquet-Audouin. Pour pallier le manque de prescripteur, la pharmacienne a installé une borne de téléconsultation dans son officine. « Certes, il s’agit d’une solution de dépannage, mais dans le contexte actuel, elle est indispensable. Pour les angines, par exemple, le médecin prescrit un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) que nous allons proposer au patient dans la foulée. » Jamais en manque d’idées, Patricia et ses confrères veulent aujourd’hui monter une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) pour diversifier et accroître le réseau de soins. Ils ont de l’énergie à revendre !

 

Pharmacienne adjointe, Anne Chwilkowski exerce à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), à la pharmacie Couvreur. La ville de 19 000 habitants est située dans l’un des départements français les plus sinistrés en matière médicale. En effet, la Seine-et-Marne compte 65 praticiens pour 100 000 habitants. « Sur le territoire, les médecins sont saturés. Ils ne prennent pas de nouveaux patients. » Pour répondre aux attentes des personnes désireuses de soigner leurs petits maux autrement et élargir l’offre de soins, elle a développé la pratique de la naturopathie au sein de l’officine. « Cette activité est aussi une ressource économique supplémentaire permettant de faire face au déficit de prescription, mais aussi à la baisse du prix des médicaments. » Tout en s’attaquant à la crise aiguë, Anne cherche à comprendre le problème de fond afin d’établir un bilan personnalisé. Au-delà des conseils alimentaires, d’hygiène, de sport, les produits naturels recommandés par Anne Chwilkowski peuvent être achetés à la pharmacie Couvreur, où « il n’est pas impossible qu’un jour on aménage un local réservé à mes consultations. » Anne a également formé les membres de son équipe à cette pratique. « Leur adhésion et celle de ma titulaire est massive. Cette spécialité répond à des besoins. En outre, elle nous permet de nous différencier. Nous apportons une écoute particulière et des recommandations inédites pour les patients sur le territoire », assure celle qui considère toutefois son apport comme complémentaire : « Je ne dis jamais aux patients d’arrêter leurs traitements. » Anne Chwilkowski s’est très tôt intéressée aux plantes et à leurs vertus. « J’ai commencé à les étudier pendant ma formation et j’ai approfondi mes connaissances au fil des années. » Outre son diplôme de pharmacie obtenu en 2001, elle a réalisé quatre formations diplômantes en 2023, en alimentation thérapeutique, en micronutrition, en phytothérapie et en aromathérapie. Avec l’accord de sa titulaire, elle exerce aussi à domicile ou se rend chez les patients pour des consultations de naturopathie. Une approche novatrice et peut-être un débouché d’avenir pour la pharmacie.

 

Didier Roche officie à Rieux (Morbihan) où demeure un seul médecin travaillant à mi-temps depuis la fin de la pandémie du Covid-19. Une maison médicale a récemment ouvert à 5 km de la commune bretonne, mais l’accès aux soins reste difficile. A l’instar de 73 autres pharmacies, le titulaire s’est vu proposer, en 2022, par l’union régionale des professionnel de santé, la mise en place de consultations d’Orientation dans le système de soins (Osys) au sein de son officine. « Ces entretiens ne se substituent pas à une consultation avec le médecin. Ils offrent plutôt une prise en charge des affections bénignes lorsque l’accès à un médecin est difficile », explique le pharmacien. Si le dispositif Osys ne règle pas le problème de la désertification médicale, il offre une prise en charge qui est accueillie avec soulagement par les patients. Autre avantage : il permet au pharmacien de jouer à plein son rôle de conseil. Maux de tête, de gorge ou de dos, cystites, douleurs au ventre ou encore piqûres de tiques sont des sujets traités dans un espace confidentiel. « Les patients sont très contents. Ils se sentent sécurisés par cette démarche très cadrée. Grâce à un protocole fondé sur des arbres décisionnels, nous pouvons, selon les cas, proposer des médicaments sans prescription ou un test rapide d’orientation diagnostic puis les orienter si besoin vers le médecin ou plus rarement vers les urgences. »  Quoi qu’il en soit, le travail collaboratif bat son plein. « Après la consultation Osys, nous adressons un compte rendu au médecin, il peut être complété par une discussion. » Cette coordination permet à ce dernier de proposer un meilleur suivi lors de sa consultation suivante avec le patient. Faute d’effectif, Didier Roche n’effectue qu’un ou deux entretiens Osys par semaine. « Ce n’est pas énorme, mais proposer cette solution rapide et efficace aux patients est une satisfaction personnelle. »

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