A la conquête de l’espace
L’officine vit une véritable course au mètre carré. L’espace, vecteur de confort d’achat, est aussi une demande très forte du consommateur. La tendance actuelle des agenceurs est de conserver une dimension humaine à l’officine tout en exploitant au mieux les opportunités commerciales qu’offrent les grands espaces. Reportages dans trois pharmacies qui ont réagencé leur espace en tentant d’appliquer ce principe.
Il y a encore quelques années, les pharmacies avaient une surface de vente moyenne inférieure à 50 m2. La course à l’espace est donc un phénomène récent. « Sous l’impulsion d’un certain nombre de concepteurs qui ont pris en compte la cherté du mètre carré loué, mais aussi en raison de la délocalisation de certaines tâches vers les enseignes et les réseaux qui ont induit une diminution des surfaces en arrière-boutique, les surfaces de vente se sont agrandies », analyse Dominique Deloison, directeur général du groupement Forum Santé.
Jean-Pierre Auchecorne, d’Interdesign, spécialiste de l’aménagement de grands espaces de pharmacie (plus de 200 m2 à la vente) constate lui aussi cette tendance : « Nous allons de plus en plus vers des espaces ouverts avec une absence complète de vitrines, une totale transparence, de grands axes de circulation, de larges accès libres hérités de la consommation en hypermarché… Aujourd’hui, le confort passe par l’espace et l’ouverture sous toutes ses formes : utilisation de produits verriers en cloisons, fluidité dans le passage d’un univers à l’autre. » L’espace ouvert à l’américaine débarque en France dans la gestion des grands espaces. « Nous sommes également sortis de la période minimaliste sobre, au profit d’une ambiance chaleureuse frisant l’intimiste, grâce à la sonorisation, l’utilisation judicieuse de la lumière, le choix de matières chaudes, la verdure… »
Espace de liberté.
Le décor est planté. La grande surface de pharmacie d’aujourd’hui est donc un lieu spacieux, confortable et lisible, avec une segmentation claire des univers. Un espace de liberté aussi, apportant une réponse immédiate à une clientèle qui ne veut pas attendre. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle passe peu de temps à l’officine. En fait, elle souhaite optimiser le temps utile.
Patrice Coupechoux, de Mobil M, parle quant à lui de véritables « parcours de santé », ouverts, clairs, marqués par la présence de rideaux de lumière muraux ou par des zones ponctuelles sans présentation (effets des matières, images tout en hauteur, affiches, compositions géométriques lumineuses). Il recommande également un marquage au sol (surfaces plastifiées de tons variés) et au plafond (décors en aplat en forme de vague…), des « éléments surprise », en rupture avec les références habituelles, comme des tables, des lampes sur pied, un bar à maquillage, des bacs interchangeables (soldeurs)…
« L’avantage des grandes surfaces est de donner au pharmacien la possibilité d’exprimer pleinement dans l’espace sa ou ses spécialités, ajoute Jérôme Gaubert, responsable merchandising et conseil en agencement chez Plus Pharmacie. Ce qui implique toujours de rechercher les attentes des consommateurs et une étude de concurrence en amont. » Sur ce point, Jean-Pierre Auchecorne a constaté que les clients s’identifiaient de plus à plus à des concepts. Autrement dit, ils rentreront de plus en plus difficilement dans des magasins qui ne correspondent pas à leur image.
Les groupements ont été des précurseurs en matière d’exploration de nouveaux espaces. « Notre impératif a toujours été de « nettoyer » l’officine de toute pollution visuelle publicitaire ou architecturale, de la rendre « propre », lumineuse et structurée en univers colorés, de réaliser un système de repérage multiple visuel et verbal », indique Dominique Deloison. Quant aux nouveaux concepts de bergeries de Forum Santé, constituées de postes assemblés en cercles, ils ont évolué vers une structure en hélice ouverte à trois pales, séparés de deux mètres, pour une meilleure confidentialité. Ces « minipharmacies » comprennent une zone de conseil, des produits de premières délivrance, un poste informatique…
Forum Santé peut annoncer des croissances de CA, après travaux, de 25 à 40 %. Et de citer en exemple la pharmacie de Claye-Souilly : 480 m2 à la vente, 30 postes d’accueil répartis en une douzaine d’hélices comprenant un concentré de produits saisonniers (OTC et para) changeant tous les mois, un automate de délivrance desservant quatre points de chute, 50 % de linéaires développés consacrés à la médication familiale. « Dans la version 2003 du concept Forum Santé qui sera mise en place dans la pharmacie du centre commercial Evry-II, l’automate délivrera aussi la médication familiale de façon à ne plus stocker en linéaire et à permettre le maintien d’une exposition impeccable, peut-être avec des boîtes factices », indique Dominique Deloison.
Repérage et circulation.
3 % des adhérents du groupement Giphar disposent d’une grande surface de vente. Pascal Tabonnet, directeur du merchandising, met lui aussi l’accent sur la nécessité d’assurer au client le maximum de liberté dans ses achats plaisir. Les clés : une segmentation par catégorie de besoins et une identification signalétique à trois niveaux, tout en redonnant légitimité et image d’expertise au pharmacien sur l’ensemble de l’espace de vente. « On s’éloigne de la pharmacie clinique pour entrer dans l’ère de la vraie proximité chaleureuse : carrelage avec zone de différenciation, parquet au sol, meubles en bois à formes souples, couleurs chaudes… »
L’enseigne Viadys, un concept du groupement Pharma Référence mis en application dans deux officines (et 14 prochainement) par l’agence Dragon Rouge, fait beaucoup parler d’elle avec ses trois zones identifiables dès l’entrée (« L’ordonnance », « L’armoire à pharmacie », « Le soin au jour le jour »), une signalétique explicite (« Soulager les douleurs du dos », « Retrouver la souplesse du cou », « Améliorer les troubles féminins »…), une absence de PLV, des lampadaires au plafond et sur les comptoirs, une borne d’autodiagnostic, un comptoir de délivrance assise, de la confidentialité (une pièce pour les clients et des comptoirs distants), et enfin 50 % de l’exposition consacrée à la médication familiale. Avec un recul de cinq mois, les résultats sont probants : 21 % d’augmentation de CA sur le non-vigneté avec des pointes en phytothérapie (+ 107 %), en soins du pied (+ 86 %) et pour les crèmes mains (+ 441 %). Pharma Référence note également 3 % de nouveaux clients, fidélisés à 95 %.
L’aménagement de surfaces supérieures à 170 m2 implique cependant le respect d’un certain nombre de règles : permettre un repérage, une autonomie de la clientèle et une circulation aisée, bien choisir les sites de présence de l’équipe et multiplier les sites d’accueil pour ne pas créer de goulets d’étranglement (surtout lorsque la fréquentation par jour est supérieure à 1 500 clients). Ceci selon le principe reconnu qu’un client qui attend n’est pas réceptif à d’autres messages.
Sur le plan économique, qui dit grande surface, dit aussi démultiplication du stock et donc immobilisation et risque supplémentaire de le voir se défraîchir. La gestion du stock en flux tendus devient indispensable et quelques astuces d’agencement permettent de le minimiser. Armand Lepot, de Média6-Actis Agencement, évoque notamment la diminution de la profondeur des étagères, passée en quelques années de 35 à 24 cm. « Il ne faut jamais perdre de vue, rappelle Yves Dulorier, de la même société, que plus on a de ventes assistées dans un commerce de proximité, plus le CA augmente. D’où la multiplication des comptoirs éclatés et des plots de parapharmacie. Nous en avons mesuré la performance avec notre outil Mag-Traffic qui a révélé 25 % d’actes d’achat supplémentaires autour des comptoirs avancés dédiés à la para, à condition d’une présence permanente d’un membre de l’équipe. »
Les grands espaces ne vivent et ne s’animent donc que par la présence de collaborateurs. « Le conseil, et donc celui qui le prodigue, doit toujours être à portée de regard », précise Jean-Pierre Auchecorne. Plus la surface est importante et plus il est difficile de gérer dans le temps la présence du personnel dans les différents sites. Christian Billet, de Boisson et Partners, évoque l’utilisation de l’informatique (logiciel Pro-Accueil de Savroly) afin d’analyser l’activité de chaque poste pour une gestion prévisionnelle du personnel par zones en fonction des jours et des heures d’affluence.
La multiplication des postes de délivrance induit aussi une multiplication des caisses et des risques de vol. Chez Forum Santé, les caisses ont été équipées de serrures inviolables avec code d’accès numérique et clés à lecteur optique.
La gestion des zones tièdes ou froides se fait par l’association étroite entre l’architecture (accessibilité visuelle de chaque univers et attractivité de chaque zone par des ambiances différentes, gondoles-ronds-points d’orientation), l’éclairage, le merchandising (jeu subtil entre produits d’appel et de plus faible rotation), l’animation murale (mobilier à glorifieurs, écrans…) et la présence humaine. Ivon Boquet, de CQFD, préconise l’installation systématique d’un pôle d’accueil et de conseil visible de tous les espaces, qui doit se distinguer par sa couleur et sa forme. Une chose est sûre, la grande surface de pharmacie se veut de plus en plus à l’image de ses clients, et donc de moins en moins à l’image de son titulaire.
Pharmacie des Facultés (Montpellier) : « Conserver un côté humain »
Vincent Thuin, titulaire de la pharmacie des Facultés à Montpellier, a transféré son officine il y a tout juste un an, passant de 80 à 270 m2 de surface de vente. L’agencement a été réalisé par Boisson et Partners pour un coût de 650 Euro(s) par m2. « L’important pour moi était de conserver à la surface de vente un côté humain : on peut facilement tomber dans l’aspect « hall de gare ». J’ai donc veillé à ne pas sous-évaluer le budget de l’éclairage et à adopter un projet évolutif dans le temps. Le concept est somme toute classique, avec une ligne de comptoir au fond de l’officine et la parapharmacie à droite en entrant. Des gondoles centrales éclairées, du mobilier métallique modulable avec joues en bois et une signalétique aimantée interchangeable ont été disposés dans l’espace, avec une circulation diffuse et libre pour ne pas perturber la clientèle. Je pense que nous n’avons pas fait d’erreurs. Nous nous sommes même permis quelques animations architecturales comme par exemple une alternance de carreaux mats et brillants au sol. Le plus difficile est de gérer la croissance en maintenant la qualité de service. »
Pharmacie Saint-Fargeau (Paris) : « Améliorer la proximité avec le client »
Jacqueline Guichaud, titulaire de la pharmacie Saint-Fargeau et adhérente du groupement CEIDO, en est à son cinquième agencement en 18 ans. Le dernier a déjà trois ans mais un automate a été installé en septembre 2002. « Sur une grande surface de vente, l’automatisation apparaît comme une espèce d’aboutissement incontournable en termes de rationalisation du travail des rayonnistes. Mais pour l’instant, il a généré beaucoup de perturbations dues au repositionnement des stocks, au changement de mentalité pour l’équipe et à une nouvelle gestion du temps libre avec le client. Il faut au moins deux mois d’adaptation. »
Quant à l’espace de vente (140 m2), il a évolué vers une plus grande proximité avec le client à tous les niveaux (écrans plats sur le comptoir, postes distants, comptoirs sur pieds comme des tables de bar…). De même, l’éclairage est de plus en plus important et de mieux en mieux étudié.
Les écueils à éviter
Attention aux linéaires muraux à perte de vue, un peu fatigants pour le regard et qui n’offrent pas de ruptures visuelles. « Les linéaires uniformes, sans joues, tendent à faire accélérer le consommateur. Or notre but est au contraire de le maintenir le plus longtemps possible en contact visuel avec les produits. Il faut donc ralentir sa progression au moyen de pôles d’attraction divers », explique Jean-Pierre Auchecorne (Interdesign). Et de comparer le « bon » linéaire à un bon éclairage : il est faut savoir garder des zones commercialement inutiles, mais attractives, qui impriment un rythme à l’espace, tout comme il est impératif en termes d’éclairage d’alterner points forts et luminosité douce pour véhiculer une certaine convivialité et mettre en scène l’exposition des produits.
Le centre de l’officine est un espace peu commerçant car essentiellement passant. D’où l’option de certains agenceurs d’y placer les comptoirs tout en aménageant autour des « univers plaisir » qui incitent à la déambulation. Cette structure implique généralement (à l’exemple de la pharmacie du Carré à Sénart) l’acheminement des médicaments par automate pour ne pas multiplier les déplacements du personnel. Mais nous sommes loin de la désormais traditionnelle bergerie : « Ce concept induit un manque de clarté dans l’offre qui se répète de façon identique en deux ou trois endroits. On a constaté par ailleurs que la zone d’exposition murale à l’arrière de la bergerie restait une zone tiède ou froide, donc peu fréquentée », assure Jean-Pierre Auchecorne.
A ces critiques, Christian Billet (Boisson et Partners) ajoute le manque d’exposition : pour ne pas réduire la visibilité dans l’espace, les produits ne peuvent être exposés à plus d’un mètre cinquante de hauteur, une zone peu vendeuse. On peut éviter ces écueils grâce à des colonnes d’exposition tournantes, mais qui entravent tout de même la visibilité… Un certain nombre de concepts – telle la pharmacie alvéolaire (ou en marguerite) – pour grande surface de pharmacie, testés par le passé, sont déjà en voie de disparition ou remis en cause. Leur point faible : une multiplication des zones froides – malgré leur esprit « shops in the shop » (« magasins dans le magasin ») – et surtout des sens de circulation imposés, lesquels, selon Christian Billet, constituent une entrave à l’achat. Les clients, d’expérience, ne reviennent pas en arrière s’ils ont oublié quelque chose, de peur de perdre leur tour. Certaines officines pilotes essaient de contourner cette inconvénient en mettant en place un système d’encaissement unique en sortie, façon GMS. Les pharmaciens délivrent uniquement l’ordonnance, le client peut ensuite faire des achats complémentaires avant d’arriver en caisse.
Comparatif
Le prix moyen du mètre carré est logiquement révisé à la baisse lors de l’agencement de grandes surfaces de pharmacie :
– de 1 200 à 2 000 Euro(s) le m2 (pour un aménagement brut de décoffrage) selon Interdesign ;
– de 1 000 à 1 400 Euro(s) le m2 selon CQFD ;
– de 800 à 1 500 Euro(s)
le m2 selon Média6-Actis Agencement ;
– de 1 100 à 1 500 Euro(s) selon Mobil M.
Pharmacie de l’Europe (Reims) : « Convivialité et clarté de l’offre »
Françoise Bouché et Isabelle Lambert, titulaires de la pharmacie de l’Europe à Reims et adhérents du groupement Pharmactiv, souhaitent réagencer prochainement leur 160 m2 d’espace public. Le projet a été confié aux Ateliers Durand qui misent sur la cohérence générale de l’architecture et des ambiances, façon Nature et Découvertes, avec un zonage au sol (gazon synthétique pour la phytothérapie, moquette-jeu pour l’espace enfants, pierre ou parquet ailleurs), ainsi que des éléments attractifs originaux dans chaque espace soutenus par de grands visuels en partie haute.
Les titulaires ont opté pour des couleurs chaudes : sycomore et bois teinté chocolat en partie basse des meubles, teintes crème et ivoire plus haut. « Nous ne voulons ni de bleu, ni de vert, ni d’aluminium, trop froids, expliquent les titulaires. L’important pour nous est la convivialité, la clarté de l’offre, qui est très fouillis à l’heure actuelle, et la confidentialité, assorties d’une certaine modernité dans les éclairages et les linéaires muraux. » Le dernier agencement de la pharmacie de l’Europe datait de 1991.
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