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ROXANA HEIDENREICH INVITE SES PATIENTS À DÎNER
« Que ta nourriture soit ton médicament », disait Hippocrate. Roxana Heidenreich met ce précepte en pratique. Loin des discours sur l’interdit, la pharmacienne éduque ses patients au bien-manger lors d’ateliers culinaires.
Ils souffrent de diabète ou de troubles cardiovasculaires mais ont répondu, le 4 mai dernier, à l’invitation de leur pharmacienne pour faire bonne chère autour d’un « menu santé » alléchant : velouté de fenouil au seigle, salade de chou chinois, escalope de poulet, mousse au chocolat et au tofu, gâteau aux figues et aux noisettes, le tout arrosé d’un bon vin. Un menu que les patients ne se contentent pas de déguster mais qu’ils ont préparé ensemble. En fin de repas, la chef d’un soir leur rappelle la consigne : « Dosez votre glycémie demain ! » Certains s’effraient : « Avec tout ça, elle va être au moins à 5 ! » Pas de mauvais réveil cependant. Le taux est normal et les convives, étonnés, sont tout prêts à regoûter du chou chinois, qu’ils ne connaissaient pas jusque-là…
Cuisiner avec ses patients et leur faire découvrir l’importance du repas du soir dans le maintien de l’équilibre glycémique est l’expérience originale menée par Roxana Heidenreich, pharmacienne à Conflans-sur-Lanterne, petite ville située à 20 kilomètres au nord de Vesoul, en Haute-Saône. Sa conviction est qu’« on peut se faire plaisir en mangeant même si on est diabétique ». Pour le démontrer, elle a choisi la mise en pratique, autour de la préparation commune d’un repas équilibré. Ses ateliers culinaires annuels prolongent une démarche d’éducation thérapeutique du patient (ETP) qu’elle initie en 2008. Au comptoir, elle discute alors avec ses patients diabétiques et leur propose d’intégrer un programme d’ETP : 6 séances en soirée, suivies 6 mois plus tard puis une fois par an d’une séance de réévaluation sur le mode « depuis la dernière fois qu’avez-vous mis en œuvre ? ». « Cela restait néanmoins encore abstrait, trop théorique, analyse Roxana. Et la théorie, tout le monde en fait : une diététicienne ou un coache nutritionnel, Internet ou les guides pour diabétiques, qui vous disent ce qu’il ne faut pas faire. »
Abstrait et théorique, sauf que la confiance est là. Roxana s’est impliquée, entraînant à l’occasion ses patients dans des randonnées dans la région. Lors d’une séance d’ETP, une diététicienne invitée concocte avec les patients une recette de mousse au chocolat sans sucre « toute bête ». « Ils étaient ravis et j’ai compris qu’il leur fallait du concret. » Roxana a un « déclic » et propose aux participants ces ateliers culinaires et thérapeutiques. Le premier repas a lieu chez un des participants, les suivants dans une salle municipale, Roxana s’occupant de la logistique et les frais étant partagés entre les participants.
Un réseau interprofessionnel où chacun recrute ses patients
Roxana Heidenreich n’aurait pu réaliser ce programme sans le réseau Gentiane Diabète en Franche-Comté qui lui alloue un forfait pour l’élaboration et l’animation. La pharmacienne a précédemment suivi par correspondance un DU de nutrition en 2004. Cherchant à le mettre en pratique avec les clients de l’officine, elle rencontre les professionnels du réseau avec lesquels elle se forme à l’ETP : « J’ai acquis des notions de psychologie sur l’annonce et l’acceptation de la maladie chronique et me suis formée sur le comportement et la motivation des malades », explique-t-elle. Le réseau se compose de médecins, de diététiciennes, d’un pédicure-podologue et d’un éducateur sportif. Chaque professionnel recrute ses patients et les programmes d’ETP sont animés par les différents professionnels du réseau. Toujours en duo, et avec un protocole strict, les première et cinquième des six séances sont coconduites par un médecin. « Il s’agit d’un programme de santé réalisé par des professionnels de santé, appuie Roxana. Ma préoccupation constante est de me demander : “Qu’est-ce que moi, pharmacienne, avec toutes mes connaissances, je peux apporter au patient ?” Je pars de leur savoir pour aller au fond des choses avec eux. » Pour chacune de ces soirées, la pharmacienne choisit le message qu’elle veut faire passer et établit un menu avec des ingrédients sélectionnés pour étayer son argumentation.
Le réseau a besoin d’un autre médecin et de professionnels
Roxana Heidenreich se dit la première étonnée du succès de ses ateliers : « J’adore préparer les repas et les gens ont immédiatement été ravis. Faire la cuisine pour les patients peut paraître réducteur ! C’est un autre métier que celui de pharmacien… Et pourtant, c’est le moyen de faire passer des messages essentiels de santé. » Lesquels ? D’abord, qu’être diabétique n’est pas le bannissement des plaisirs de la table : « manger c’est d’abord prendre soin de soi, de sa santé, ce n’est pas juste remplir l’assiette… ». Ensuite, que les aliments sont des nutriments : protéines, lipides, glucides… Le but de cet atelier étant de « reconnecter les deux ». « Le discours est trop souvent restrictif, illustre Roxana. On dit aux gens : vous mangez trop de chocolat, donc 100 % de lipides. » La pharmacienne dénonce aussi l’abstraction des doctrines alimentaires : « On conseille de manger moins salé mais d’augmenter les doses de potassium. Oui, mais comment ? »
Le potassium est justement le thème du soir. Roxana explique à ses invités son importance pour l’organisme, notamment pour les hypertendus. Elle déroule une liste d’aliments contenant du potassium alimentaire et qu’elle recommande de consommer régulièrement tout en faisant varier les sources. On en trouve ce soir-là, dans le fenouil, les noisettes et le chocolat. Le seigle apporte des glucides, le chou chinois des folates et le tofu des acides aminés essentiels. Roxana Heidenreich donne des petites astuces pour cuisiner sans matière grasse, faire cuire un gâteau au bain-Marie ou préparer une mayonnaise sans huile. Elle fait circuler les aliments afin que chacun puisse décrypter les étiquettes nutritionnelles et en profite pour conseiller d’utiliser de la cannelle sans modération pour son action hypoglycémiante.
Alors, tous à table avec Roxana Heidenreich ? La pharmacienne aimerait recruter un nouveau groupe, former des confrères à la démarche… Sauf que les budgets de Gentiane Diabète en Franche-Comté ne sont pas reconduits pour 2012. Et que Roxana, pour ses séances, a impérativement besoin d’un médecin et d’autres professionnels.
Tout le monde est installé. Roxana Heidenreich s’est chargée de faire les courses le matin même. L’atelier peut commencer.
Roxana Heidenreich en 6 dates
• 1992 : diplôme de pharmacien à l’université de Bucarest en Roumanie.
• 1999 : équivalence du diplôme de pharmacien à l’université René-Descartes/Paris-V.
• 1999 à 2006 : adjointe à Paris, Marseille et en Alsace.
• 2006 : installation à Conflans-sur-Lanterne et diplôme universitaire « Diététique et maladies de la nutrition » de l’université de Rennes.
• 2007 : formation à l’éducation thérapeutique du patient diabétique.
• 2007 : premier atelier d’éducation thérapeutique.
• 2012 : obtention du DU « Micronutrition et alimentation santé » de l’université de Dijon.
Si vous avez envie d’essayer
Les avantages
• Se sentir utile.
• Aller jusqu’au bout de ses convictions même si c’est atypique.
• Proposer un service local et inédit.
• Fidéliser les patients.
• Etre dans le rôle d’éducateur de santé du pharmacien.
Les difficultés
• Chronophage.
• Nécessite de l’organisation : invitations, salle, matériel, menu, courses, Bien organiser la préparation des aliments.
• Il n’est pas facile de faire connaître la démarche.
Ses conseils
• Se former à la nutrition.
• Choisir un ou deux messages clés.
• Ne pas se disperser, sinon le message ne passera pas.
• Sélectionner des recettes en relation avec le message.
• Acheter de bons ingrédients, si possible bio.
• Donner des solutions concrètes.
• Ne pas oublier le plaisir de manger et la convivialité.
• Ne pas avoir peur de paraître ridicule ou de s’abaisser.
• Ne plus être dans l’« interdit ».
• Ne se lancer que si l’on aime faire la cuisine
L’AVIS DES PARTICIPANTS
Ils sont une douzaine, patients et conjoints, à participer aux rendez-vous annuels qui suivent les sessions d’éducation thérapeutique. Loin de la « terreur des interdits alimentaires », loin de la maladie et des traitements aussi (« On garde ça pour l’officine…? »). Et ça marche : les patients de Roxana sont stables depuis qu’elle les suit et s’essaient, de retour chez eux, à la préparation des plats de Roxana. « Ces dîners m’ont permis de découvrir de nouvelles manières de cuisiner et des recettes que je réutilise à la maison », rapporte Gabrielle Vieillard, dont le mari est diabétique. Marie-France Marquet utilise volontiers le cuit-vapeur et apprécie que Roxana « nous motive à nous retrouver pour marcher ensemble tous les mercredis à 19 heures ».