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Même pas peur de Leclerc
Pouvoir vendre des médicaments, Michel-Edouard Leclerc n’en démord pas. Des autotests aussi. Vendre toujours plus. Comme le montre sa dernière campagne publicitaire diffusée sur fond d’enquête sectorielle sur la distribution du médicament menée par l’Autorité de la concurrence. Il est loin d’avoir gagné.
C’est bien sur fond d’enquête sectorielle que Michel-Edouard Leclerc (MEL) lance depuis fin août une nouvelle offensive contre le réseau officinal. Les recommandations du très attendu rapport de l’Autorité de la concurrence sur la distribution du médicament doivent en effet être publiées d’ici janvier prochain. Abolir le monopole officinal, l’idée avait déjà été formulée en 2013 par cette institution, soutenant à l’époque une directive européenne visant à libéraliser la vente des médicaments pour faire baisser les prix. Cette idée, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, ne la partage pas. Le 14 février dernier, lors du gala annuel de l’Association des pharmaciens juifs de France, il expliquait ne pas être favorable à la libéralisation « à outrance » du monde de la pharmacie. « La pharmacie est bien davantage qu’un commerce, c’est un lieu de vie », affirmait-il. Evoquant sa loi Pacte pour la croissance et la transformation des entreprises, le ministre confirmait alors qu’il n’y aurait dans le projet de loi « aucune disposition sur la pharmacie ». Ce texte sera examiné fin septembre à l’Assemblée et la promesse semble bel et bien tenue.
Riposter tous azimuts
« Leclerc nous chante la même ritournelle depuis 20 ans, espérant trouver un ministre complaisant pour marcher sur les plates-bandes de notre ministre de la Santé », dénonce Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il a d’ailleurs porté l’affaire devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour que Leclerc cesse la diffusion de ses messages. « Il instrumentalise des pharmaciens qui ne sont pas présents dans ses boutiques. »
C’est précisément sur ce terrain que se place l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), en assignant le 23 juillet dernier Le Galec, la centrale d’achats de MEL, pour fausses allégations et publicités mensongères. Dans la procédure engagée, ce collectif de groupements demande au juge d’établir par voie d’expertise l’emploi ou non d’un pharmacien dans chacune des parapharmacies Leclerc, et ce sur une plage horaire de 60 heures par semaine. D’ores et déjà, l’UDGPO a démontré par voie d’huissier que 5 d’entre elles n’employaient aucun pharmacien diplômé. « En établissant une photographie exhaustive du nombre effectif de diplômés dans les parapharmacies Leclerc, cette expertise prouvera que sa publicité est mensongère », souffle Laurent Filoche, président de l’UDGPO. Lors de la procédure de référé devant le juge, « Le Galec a avoué que, a minima 15 % des parapharmacies Leclerc fonctionnaient sans docteurs en pharmacie », ajoute-t-il.
Les pharmaciens d’officine peuvent aussi compter sur un soutien inattendu : celui des biologistes médicaux. Les mêmes qui, en février dernier, déploraient la prolifération des autotests en officine et des Trod (tests rapides d’orientation diagnostique) « sans contrôle fiable ni information suffisante du grand public » se sont publiquement opposés, le 14 septembre, à la revendication de l’enseigne de distribution Leclerc de pouvoir vendre des autotests… et des patchs nicotiniques, réclamant que « la qualité des soins et la santé des patients ne [soient] pas sacrifiées sur l’autel du profit commercial ».
De son côté, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) devait rencontrer, mi-septembre, le conseiller en charge du médicament au sein du cabinet de la ministre de la Santé, afin de demander la confirmation du soutien d’Agnès Buzyn au système actuel de distribution des médicaments. « Ce rendez-vous a été reporté à la fin du mois », annonce Philippe Gaertner, président de la FSPF. Probablement en raison de la rentrée chargée d’Agnès Buzyn, accaparée par la réforme du système de santé présentée le 18 septembre à l’Elysée. Quoi qu’il en soit, son soutien, la ministre l’a affirmé le même jour au micro de RMC : « On ne peut pas en permanence hurler sur les effets secondaires des médicaments […] et se dire qu’on va acheter tout et n’importe quoi dans des grandes surfaces sans le conseil d’un pharmacien. » Les esprits grincheux feront remarquer qu’Agnès Buzyn évoque le pharmacien et non la pharmacie. Une nuance qui peut avoir son importance. En oubliant qu’elle ajoute, sourire en coin : « Je ne pense pas que des grands supermarchés dont je ne citerai pas le nom soient en capacité de nous aider pour la santé publique. »
Consolider ses remparts
« Les paradigmes sont ébranlés depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, il faut toujours se préparer à faire face au changement et à toute éventualité de brèche dans le monopole. Pour cela nous avons des remparts tels que les nouvelles missions, les services, le dossier pharmaceutique pour traquer le risque iatrogénique, la démarche qualité et la certification… Plus le pharmacien sera irréprochable dans son acte de dispensation, plus il se rendra incontournable »,estime Laëtitia Hible, présidente de Pharma Système Qualité, qui compte près de 2 500 pharmacies certifiées ISO 9001 QMS Pharma. Lucien Bennatan, président du groupe PHR considère d’ailleurs que Leclerc « n’a pas les moyens d’assurer un service pharmaceutique, cela lui coûterait trop cher ». Les titulaires mesurent en effet le coût que représente l’emploi de pharmaciens salariés sur des plages horaires de 60 heures par semaine. Les centres Leclerc ont beau disposer d’un réseau de 264 parapharmacies et d’un site d’e-commerce pour un chiffre d’affaires annuel de 400 millions d’euros*, chaque magasin franchisé devrait être peu enclin à entamer sa rentabilité.
Rester sur ses gardes
Prudence est mère de sûreté. Philippe Gaertner invite lui aussi à ne pas baisser la garde : « Il faut toujours rester d’une vigilance extrême et ne pas sous-estimer le nouveau rapport sectoriel de l’Autorité de la concurrence. Et continuer à développer nos atouts que sont la qualité, la sécurité et la traçabilité, ils permettront de maintenir le monopole. » Gilles Bonnefond estime que ce rapport « ne servira à rien si l’Autorité de la concurrence ne sait pas prendre du recul, notamment par rapport à la décision de la Suède de retirer le paracétamol des supermarchés. » Et si elle ne prend pas en compte les chiffres rectifiés de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui montrent que la consommation des médicaments non remboursables est en baisse de 12 % sur 10 ans. N’en déplaise au pionnier de la défense du pouvoir d’achat des Français, le reste à charge des ménages sur le poste médicaments a lui aussi diminué de 1,2 point sur la période 2002-2016. « Ces résultats corrigés font sauter l’argument prix de Leclerc et montrent que les pharmaciens n’incitent pas à la consommation mais au bon usage », remarque Gilles Bonnefond.C’est aussi et surtout un argument factuel à opposer aux militants de la dérégulation du marché des médicaments non remboursables.
« Il faut aussi appuyer là où ça fait mal, sur le portefeuille », lance Laurent Filoche qui mise beaucoup sur le procès intenté par l’UDGPO. En cas de victoire, il a déjà prévu d’inviter tous les pharmaciens à proximité des hypermarchés Leclerc à rejoindre l’UDGPO pour engager une class action, « histoire de récupérer une partie des sommes correspondant aux ventes indues réalisées en trompant les consommateurs sur la présence de pharmaciens ».
* Source : Agence de presse médicale.
À RETENIR
• Conseil supérieur de l’audiovisuel, assignation en justice… La profession riposte à la nouvelle campagne publicitaire de Michel-Edouard Leclerc sur les autotests et patchs nicotiniques.
• Elle peut compter sur le soutien des représentants du secteur de la biologie médicale (internes , hospitaliers et libéraux) et sur celui de la ministre de la Santé, qui a réaffirmé son soutien le 18 septembre .
• Les pharmaciens attendent cependant avec appréhension les conclusions de l’enquête sectorielle de l’Autorité de la concurrence sur la distribution du médicament.
REPÈRES
Par françois pouzaud – Infographie : FLORIANE WATTEAU

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