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Le sens du commerce
Implantée au cœur d’une zone de bureaux, la Pharmacie Château Villiers propose toute l’année des tarifs bas, des promotions et des produits de grande distribution. Négociateur décomplexé, le titulaire Bruno Fellous a un objectif : faire de son point de vente une « destination prix ». Visite.
Se focaliser sur la baisse du chiffre d’affaires de la Pharmacie Château Villiers serait réducteur. Certes, en 2012 l’officine a dû faire face au départ de 1 000 salariés jusqu’ici installés dans des bureaux tout proches. Reste que la marge et la part hors ordonnances progressent dans cette officine située dans un quartier d’affaires de Levallois-Perret, en limite ouest de Paris. L’activité sur la para et l’OTC est passée entre 2008 et 2013 de moins de 20 % à plus de 45 % du chiffre d’affaires. Ici, le titulaire, Bruno Fellous, s’appuie d’abord sur son intuition et son bon sens. Il négocie drastiquement pour décrocher des prix « parmi les plus bas de Paris ». Cela lui vaut quelques jalousies et inimitiés dans la profession, mais jusqu’ici ça marche. Quand le jeune pharmacien cherche une affaire à reprendre, il a l’intime conviction que la Pharmacie Château Villiers est sous-exploitée. « J’habitais non loin de là. J’ai senti le potentiel », explique Bruno Fellous. Quand il reprend l’officine en 2008, elle génère environ 2,8 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 8 % en parapharmacie…
Verrouiller la clientèle
Une des premières actions mises en œuvre affiche la couleur sans détour. Le titulaire, volontiers provocateur, achète dans un supermarché E. Leclerc une dizaine de produits qu’il référence lui aussi dans sa pharmacie. Il place le ticket de caisse dans ses rayons, juste devant les produits concernés. Objectif : montrer que ses tarifs sont moins élevés qu’en grande surface. Le décor est planté. La clientèle va vite ressentir le nouveau positionnement.
Rapidement, l’officine étoffe son offre en parapharmacie. Sans réaliser d’étude de marché, le titulaire achète les marques dont il « sent » qu’elles se vendent bien. Il entre ainsi les cosmétiques Darphin, Eucerin, Weleda, SVR…, mais aussi Lierac, Roger & Gallet, Furterer, Skinceuticals… Et élargit les gammes existantes. Le nombre de références augmente à marche forcée. Le critère de choix est clair : le produit se vend ou pas. Pragmatique, Bruno Fellous garde les marques à succès et aux marges suffisantes, et stoppe les autres après les avoir écoulées à coup de promotion. Il assure seul toutes les commandes. « Il faut être négociateur, connaître les produits, ne pas avoir d’affect avec les commerciaux. » Le « cow-boy » – comme certains l’appellent – est intraitable. Certains Les délégués pharmaceutiques savent que le couperet peut vite tomber. Delarôm et L’Occitane sont par exemple vite sortis des linéaires de la Pharmacie Château Villiers.
Choyer les bébés
Reste que Bruno Fellous a du « flair ». Il prend dès son installation le parti pris d’attirer les mamans, avec notamment des consommables à forte rotation comme les lingettes et laits infantiles. Les vitrines ont beaucoup aidé à communiquer sur cette offre qu’il propose à des prix très concurrentiels. « Proposer les produits du quotidien permet de verrouiller la clientèle. Aujourd’hui, le consommable est très important dans le commerce. Cela répond à un énorme besoin. » Plus original, l’officine engrange, par l’intermédiaire de son groupement Leader Santé, les marques de grande distribution qu’elle vend moins cher. Elle cherche à se différencier avec des produits jusque-là absents des officines.
C’est ainsi que le point de vente accueille depuis janvier 2010 les couches Pampers et plus récemment, les petits pots Blédina. Le coton Lotus, mais aussi la mousse à raser Gillette ou encore les serviettes hygiéniques Vania ponctuent les rayons. Objectif : entretenir l’achat d’impulsion. L’assortiment issu de la grande distribution n’est pas acheté directement aux laboratoires comme Procter & Gamble, mais provient d’accords passés sur les marchés parallèles. Cibler les produits du quotidien et afficher des prix bas est une chose. Le faire savoir largement en est une autre. D’autant que si la Pharmacie Château Villiers ne souffre d’aucune concurrence proche, le quartier dans lequel elle est située (des bars-restaurants, un traiteur, une banque…) n’invite ni à la balade ni au lèche-vitrines. C’est le seul commerce des alentours où les salariés des bureaux du quartier peuvent venir flâner. La clientèle vient pour se dépanner et pour faire une bonne affaire. Elle peut butiner comme dans un magasin de déstockage… Car ici les ruptures sont courantes. La clientèle sait qu’elle peut rater un produit si elle attend. « Je vends les gels douche FreeSens 3,90 €. Les gens le savent. J’en commande tous les trois mois, j’écoule tout en trois semaines. Certains me demandent de les mettre de côté par carton entier », explique le titulaire, qui, sans le vouloir, a su créer l’envie et la crainte de la « pénurie ».
Communiquer avec une enseigne
Si le bouche-à-oreille fonctionne, il nécessite du temps. Or Bruno Fellous est plutôt d’un naturel impatient. « Je suis un sprinteur et non un coureur de fond », reconnaît-il. Pour accélérer son développement et légitimer sa politique de prix bas, l’officine rejoint en septembre 2009 le tout jeune groupement Leader Santé, « qui vend de la croissance aux pharmaciens ». « Les prix ne suffisent pas. Il faut communiquer dessus et rassurer les gens qui entrent en associant la politique de prix à la démarche d’une enseigne. »
Pour que la Pharmacie Château Villiers devienne une « destination prix », Bruno Fellous donne de sa personne. Non seulement il retrousse ses manches pour ranger les cartons qui s’entassent parfois dans ses allées – par exemple à l’arrivée d’une palette de Pampers -, mais il s’implique dans le groupement, notamment sur les questions de négociation, de communication et d’assortiment. L’intégration chez Leader Santé est immédiatement visible par les clients quand l’officine adopte la façade maison. A partir de ce moment-là une nouvelle clientèle découvre la pharmacie. A l’extérieur, le slogan « Les pharmaciens qui soignent aussi les prix » donne le ton. La vitrine grise égayée d’un code-barre coloré détone par rapport aux façades habituelles des pharmacies. Mais, dans la boutique de 155 m2, tout en profondeur, presque rien n’a changé.
Sans budget pour son intérieur, le titulaire expérimente quelques petites modifications. Au début, une étagère est ajoutée sur les linéaires, rehaussés à l’occasion pour ajouter du facing. Au centre, les gondoles sont également redressées. Au-dessus des linéaires a été ajoutée une signalétique claire (« Beauté », « Bébé/Maman », « Nature », Médicaments », et « Conseil ») respectivement rose, bleu, vert, orange selon les codes Leader Santé. Dommage qu’elle ne soit pas toujours respectée et que l’on trouve par exemple les solaires dans le rayon « Nature »…
Afficher les promotions
De part et d’autre de l’entrée se répartissent les rayons bébé et beauté. Deux allées centrales mènent au fond au niveau des comptoirs. Les six postes de délivrance sont organisés autour d’une sorte d’agora sur parquet, en forme de cercle, où trône un présentoir orange empli d’articles en promotion. Le long des deux files d’attente, des produits s’entassent en vrac dans des bacs soldeurs inclinés. En fait, en plus d’adapter son assortiment au succès des ventes, la pharmacie ajuste son merchandising en fonction de la météo et des circonstances. Si le soleil revient d’un seul coup, l’implantation est revue en quelques heures. Les solaires bénéficient alors d’une double implantation, dans le rayon cosmétique et tout au long d’une descente près de l’entrée. De la même manière, les présentoirs amovibles sont mis en avant ou reculés selon les événements (gels hydroalcooliques en cas de gastroentérite, masque en cas de grippe…). L’objectif est d’exposer les bons produits au bon moment, en temps réel. « Plus vous montrez, plus vous vendez », résume le Bruno Fellous.
Aucun panneau ne signale cependant le contenu des gondoles. C’est au client de « trouver son bonheur ». A l’opposé, les étiquettes, elles, jaunes et estampillées au nom de l’officine, collées sur chaque produit, se démarquent dans le dédale de l’offre. Les diverses promotions sont également très visibles. Pas de doute : le client a l’impression qu’il fait une bonne affaire. Le parti pari : proposer un tarif de lot nettement plus avantageux que le prix unitaire. Le volume assurerait ainsi un effet boule de neige. Pour les promotions, le titulaire s’appuie surtout sur les opérations de son groupement. Une campagne sur une quinzaine de produits fait l’objet d’un flyer tous les mois et demi (Leader Promo). Un « produit du mois » est relayé sur le point de vente par des affiches. Des stop-rayons indiquent les produits de GMS à prix cassés (Leader Market).
Instaurer une ambiance
Côté management, l’équipe bénéficie là aussi d’une sorte de « coaching intuitif ». Les quatre adjointes du départ ayant petit à petit quitté le navire, leur a succédé un staff que Bruno Fellous connaissait de ses précédentes expériences. Il faut dire qu’à 41 ans, l’entrepreneur a déjà travaillé avec des dizaines d’équipes. D’abord comme stagiaire dans 15 pharmacies pendant ses études. Puis comme titulaire de 2001 à 2007 dans trois pharmacies parisiennes installées sur des lieux à passage et très commerçants (rue des Petits-Champs, rue de Passy…). Avec à chaque fois cette volonté de faire vite évoluer la situation. « Ma façon d’exercer est très pro et très rock’n roll. Je connais les clients. Ils savent que c’est « Bruno le pharmacien » et non « Monsieur le Pharmacien ». Ici on fait beaucoup de psychologie de comptoir. On ne dit jamais non à un client. Au comptoir, je dégoupille les problèmes, résume-t-il. J’indique aux salariés que nous sommes parmi les moins chers de Paris et que je souhaite le rester. Ils peuvent conseiller les produits qu’ils souhaitent, sans honte, car ici on ne vole pas les gens. »,
Fils de commerçant, Bruno Fellous ne ressent pas le besoin d’établir un plan de formation. Il préfère se former et former à l’école de la vie : apprendre en visitant les pharmacies à l’étranger, dans les autres commerces, dans les émissions de télévision… Il souhaite que l’équipe conseille – chacun à sa manière – en fonction des besoins exprimés. Point de challenge pour vendre telle ou telle ligne. « Je déteste ça, c’est de la vente pipée. Quand je conseille un produit à un client, je lui mets trois produits en main. Après, c’est à lui de choisir. Si une marque a bien réalisé son travail – fait de la publicité, communique auprès des médecins… -, le client la reconnaît. »
Pragmatique, Bruno Fellous reconnaît ses limites et n’hésite pas à orienter ses clients vers l’un de ses salariés, en fonction de la spécialité de chacun (les produits pour bébé, l’aromathérapie, l’orthopédie…). Avec la clientèle, le ton du titulaire est volontiers familier (« Ta mère va bien ? Ça fait longtemps qu’on t’a pas vu »…) peut-on entendre au comptoir. Toute l’équipe travaille sur un fond musical qui ajoute à l’ambiance décontractée de l’officine. Là aussi, on s’adapte à l’actualité. Après la mort de Mickael Jackson, la musique du chanteur a raisonné ici pendant 15 jours d’affilée.
La gestion « au feeling » et à la bonne humeur fonctionne jusqu’à maintenant. Optimiste, le titulaire espère donner un nouvel élan à l’officine en aménageant l’intérieur selon les codes de Leader Santé. L’aventure du groupement – « entre copains » au début – se poursuit. Aujourd’hui, Leader Santé compte une centaine d’officines. Et essaime son concept au-delà de la capitale.
Pharmacie Château Villiers à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine)
→ Equipe : 1 titulaire, 2 adjoints, 4 préparatrices, 1 rayonniste, 1 secrétaire, 1 élève préparatrice.
→ Surface totale : 188 m2
→ Surface de vente : 155 m2
CommunicationChiffres clés*
→ CA 2012 : 3,5 M€ (- 8 % versus 2011)
→ Marge 2012 remise génériques incluse : 27,5 % (+ 1,5 point)
→ Trafic : 500 clients/jour
→ Panier moyen* : 22,7 €
→ Répartition :
• 55 % de médicaments remboursables
• 20 % de médication familiale
• 25 % de parapharmacie
→ Groupement : Leader Santé
→ Enseigne : Leader Santé
* Déclaratif
Se faire connaître par le web
Bruno Fellous a participé activement à l’une des premières campagnes de Leader Santé sur le Net. Chaque officine du groupement devait participer à un concours de lipdubs, ces clips promotionnels chantés en play-back par les collaborateurs. Le temps d’un tournage, le quadra extraverti a troqué ses vêtements de marque contre un blouson de cuir. Il a ainsi imité le chanteur d’Aerosmith arrachant sa chemise et hurlant le tube de hard rock Walk this way. La vidéo, qui met également en scène l’équipe et ses blouses blanches, assure le buzz sur YouTube.
Quid de l’e-commerce ? Si Bruno Fellous ne croit pas tellement aux ventes des produits d’officine sur Internet, il connaît les vertus du web pour se faire connaître. La Pharmacie Château Villiers est présente sur le site 1001pharmacies.com. Un site marchand est en préparation, géré par un groupe d’investisseurs
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