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La GMS starise l’officine

Publié le 6 juin 2009
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En l’espace de deux ans, la pharmacie est devenue un véritable eldorado pour les marques de la grande distribution. Mais pas seulement. Les acteurs nés dans les instituts de beauté ou dans les magasins bio lorgnent aussi sur la croix verte. Mais pourquoi une telle ruée ? Explications.

Souvenez-vous. Les marques Canderel et Slim-Fast furent, dans les années 90, les premières à faire des infidélités au circuit pharmaceutique. Puis ce fut au tour de Guigoz, de Neutrogena ou de Scholl, entre autres, qui ne surent elles aussi résister aux sirènes de la grande distribution. Mais aujourd’hui le mouvement s’inverse. Les laits infantiles réinvestissent l’officine, Scholl y renforce ses positions et – même – Colgate et Kindy tentent de s’y immiscer. Eh oui, une kyrielle de marques, non pharmaceutiques à l’origine, courtisent les pharmaciens. Dernières opérations de séduction en date : La Colline et Physiomins.

Incontournable maillage national de la pharmacie

L’avenir des ventes dans la grande distribution s’annonce-t-il si terne que certains de ses acteurs viennent chercher sur le marché officinal – qui ne brille pourtant pas par ses résultats – un nouveau souffle économique ? Que nenni ! « D’une manière générale, les industriels cherchent à démultiplier les points de contact avec leurs consommateurs. Le modèle marketing traditionnel, qui se situe sur une politique de l’offre, qu’il s’agit de renouveler ou d’élargir sans cesse, a des limites. La pléthore de marques proposées dans les grandes et moyennes surfaces génère un phénomène de brouillage pour les acheteurs, lesquels ne s’y retrouvent plus. Il est donc légitime de s’appuyer sur d’autres circuits, plus spécifiques, moins encombrés et plus différenciants », analyse Florence Bernard, consultante en ingénierie d’affaires liées à la santé et en communication, spécialiste de la stratégie de marques.

Un circuit de proximité comme la pharmacie et ses 23 000 points de vente ne peut qu’être séduisant pour la grande distribution. Pour les marques bio aussi. A l’image du laboratoire Melvita – présent dans près de 2 000 magasins bio – qui a lancé il y a un an la gamme Melvita Bioexellence en pharmacie. Bernard Chevillat, P-DG de Melvita et vice-président de Cosmebio, s’explique : « Il semblait difficile pour une marque comme la nôtre, qui progresse de 25 à 30 % par an, d’investir un second marché potentiel au moment où la demande bio explose. La pharmacie apparaît comme un circuit logique de distribution car elle véhicule un gage de sécurité. » Et puis la visite de 23 000 distributeurs officinaux permet d’espérer un référencement dans plusieurs milliers de points de vente, alors que la parfumerie n’a, elle, que 1 500 magasins à offrir aux marques en mal d’exposition. Le gain de représentativité est évident. Jean-François Lazartigue, qui tente une entrée en officine depuis le début 2008, le reconnaît : « Le secteur n’est certes pas au mieux de sa forme, mais j’ai des clients qui souhaitent trouver plus facilement mes produits. » Or, que reste-t-il comme circuit de distribution à une gamme capillaire déjà présente en salon de coiffure, en VPC, au Printemps et dans les Galeries Lafayette, lorsque l’on sait que le soin du cheveu se vend mal en parfumerie ?

La santé à l’officine représente plus qu’une allégation

Cette logique de distribution peut en outre s’appuyer sur le positionnement santé de l’officine, lequel fait vendre du moment qu’il est orienté prévention. « La santé devient un secteur stratégique de développement économique mondial, donc d’investissement. L’attrait des Français pour la santé-hygiène-beauté se décale vers la notion plus significative de capital santé. Un capital à préserver plus que jamais compte tenu de l’évolution du système et des politiques de santé allant vers une moindre prise en charge et donc un moindre accès global aux soins », avance Florence Bernard. Il suffit en effet d’ajouter une allégation à un aliment pour le rendre plus attractif. Et la prévention des jambes lourdes ou encore de la fatigue, par exemple, est ni plus ni moins un levier stratégique de développement pour le marché de la chaussette, hyperbanalisé et subissant la concurrence des marques d’importation. Le « confort breveté » fait donc grimper la demande. « Nos ventes de produits de bien-être, correspondant à une contention légère, progressent dans les grandes et moyennes surfaces et sur Internet », confie Joël Pétillon, P-DG de Kindy. De là à ce que la marque investisse les linéaires des pharmacies, il n’y avait qu’un pas, qui a été franchi en début d’année avec la gamme « bien-être » Chaussetto-thérapie by Kindy, distribuée par Micropodia, composée de quatre références brevetées : Dermoprotectrice, Non Comprimante, Anti-Jambes Lourdes et Hypoallergénique. Joël Pétillon annonce également la commercialisation d’une chaussette conçue spécifiquement pour le pied du diabétique. Ces références sont tout de même vendues 4 à 5 fois plus cher (entre 12 et 15 Euro(s) la paire) que les modèles classiques.

Autant dire que le label santé crée de la marge et de la valeur. Entrer en pharmacie, c’est aussi entrer dans un univers où exercent des professionnels de santé. Et cela rassure les consommateurs ! Chez Logicom, on le sait. Cette société, qui vient de lancer des appareils électroniques (utilisant la technologie Tripollar) en alternative à la chirurgie esthétique, joue la carte du sérieux mais aussi de la multidistribution. Stop, un dispositif spécial lifting, et Pose, un appareil anticellulite, sont disponibles chez Darty, Dessange et Marionnaud mais aussi en pharmacie. Il s’agit de promouvoir des articles très haut de gamme vendus respectivement 390 euros et 490 euros l’unité. « Nous avons fait le choix d’être référencés par des enseignes référentes dans leur propre circuit. Par ailleurs, nos produits étant issus du monde médical et disposant d’études cliniques, il nous semble essentiel qu’ils soient présents dans le monde des blouses blanches », indique Pascal Gauzes, responsable marketing chez Logicom. « La pharmacie permet d’obtenir une caution « médicoscientifique » de manière simple, sans aller jusqu’à communiquer vers des médecins – plus difficiles à convaincre – pour en faire des prescripteurs de produits de grande consommation », confirme Florence Bernard.

Le citoyen français devenu « consom’acteur de sa santé »

Mieux informé, mieux sensibilisé aux problèmes de santé publique, le patient devient aujourd’hui responsable. « L’évolution sociologique et sociétale transforme de plus en plus le citoyen français en « consom’acteur » de sa santé. Il est méfiant vis-à-vis du discours publicitaire et il est donc important pour lui de s’appuyer sur le professionnalisme d’un pharmacien », détaille Florence Bernard. Ainsi, quand le leader mondial de l’hygiène buccodentaire décide, en octobre dernier, de partir à l’assaut du parc officinal français, il ne dépense pas un euro pour faire de la pub. Mais mise sur la formation des équipes officinales pour valoriser les bienfaits de Colgate Pharmasystem sur les gingivites et parodontites. « Le consommateur ne va pas en pharmacie pour acheter telle ou telle marque de dentifrice, il recherche avant tout une solution à son problème de gencive. A ce moment, il choisira plus volontiers une marque qu’il connaît », avance Marie-Agnès Richard, directrice marketing du laboratoire Gaba, filiale pharmacie du groupe Colgate. On peut cependant se demander pourquoi une marque de très forte notoriété comme Colgate aurait besoin de l’aide des pharmaciens. Explications de Marie-Agnès Richard : « Colgate Pharmasystem dispose de 150 études cliniques à son actif. L’intérêt de la formule est difficile à relayer dans les grandes surfaces, lesquelles ont toujours proposé des dentifrices de qualité mais qui ne sont pas spécialisées dans la santé. »

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En ce qui concerne Scholl, c’est pour répondre aux besoins particuliers des consommateurs en pharmacie que le numéro un du marché de la podologie en GMS leur a concocté l’offre Scholl Pharma. « En officine, la clientèle est majoritairement représentée par des seniors et la demande vise à soulager les problèmes voire les pathologies du pied (hallux valgus, ampoules, affaissement du coussinet plantaire…), alors qu’en GMS les produits vendus ont une approche plus esthétique car les acheteurs sont plus jeunes », informe Emma Berger, directrice marketing chez Scholl. Et, selon les résultats d’une enquête Ipsos/Scholl Pharma, plus de 60 % des personnes qui traitent leurs pieds considèrent que la qualité en pharmacie est meilleure qu’en GMS. Scholl Pharma s’est d’ailleurs assuré le soutien de la profession en l’impliquant dans la segmentation de l’offre et la conception des packagings. Et ça marche ! Le laboratoire annonçait déjà une progression de 20 % sur ses ventes en officine, six mois après l’implantation (au printemps 2008) de sa nouvelle gamme.

Les marques misent sur le conseil des équipes

Les marques leaders du marché des laits infantiles coulaient des jours heureux en GMS… jusqu’à ce qu’elles constatent le réveil des ventes en officine. « On observe un retour des mamans vers le commerce de proximité car elles ont un réel besoin d’échanges », observe-t-on chez Guigoz, qui révèle les résultats d’une étude : aujourd’hui, 29 % des mamans achètent leur lait dans les deux circuits et 9 % vont exclusivement en pharmacie. C’est donc pour accompagner un mouvement de société que les grands laitiers ont modifié leur stratégie commerciale et investi dans une force de vente spécifique à la pharmacie, tout en faisant des efforts sur leurs tarifs.

Physiomins, marque emblématique des centres minceur du même nom, compte désormais sur la pharmacie pour valoriser sa nouvelle offre, distribuée par Kivemu depuis le mois dernier. « Notre réseau de franchise a toujours été orienté vers le soin. Lors de son rachat, nous avons développé une gamme de produits (compléments alimentaires, soins amincissants, encas hyperprotéinés) très technique et très segmentée. Nous avons en toute logique choisi la pharmacie comme réseau de distribution pour perpétuer l’esprit coaching de nos centres », confie Valentine Cadena, directrice marketing de Physiomins. L’objectif va même jusqu’à créer des synergies entre les officines et les instituts, les premiers pouvant offrir à leurs clientes des cadeaux de soins. « La sélection de nos points de vente en officine se fait sur leur qualité de conseil. Mais nous allons également aider les équipes à développer le sell-out en les formant et en leur apportant notre expertise dans le domaine des animations », poursuit Valentine Cadena.

Si nombre de laboratoires et de marques s’arrachent le conseil du pharmacien, ce n’est pas seulement pour en profiter à court terme. C’est parce que les spécialistes du marketing ont pris conscience que ce conseil va prendre de l’ampleur dans les années à venir. Selon Florence Bernard, les pharmaciens, grâce au droit de substitution, ont acquis un pouvoir complémentaire à la prescription médicale. Un pouvoir qui ne peut que se renforcer en raison des déremboursements et qui doit se faire entendre pour contrer une éventuelle perte de monopole…

Objectif : se fondre dans le nouveau paysage officinal

Ancien responsable de la marque Decléor, Hervé Lesieur, P-DG de Remède et Sens, a opté pour la pharmacie afin d’implanter sa nouvelle marque de soins aromathérapiques Gattefossé. Cet ex-acteur de la parfumerie a fait ce choix après avoir attentivement observé la métamorphose de la pharmacie européenne. « Avant, il y avait une dichotomie entre la « petite pharmacie latine » et la « grande pharmacie anglo-saxonne ». Aujourd’hui, ces deux typologies évoluent dans une direction commune. Chez Boots, on est en train de passer du drugstore au « convenient store », avec plus de services et plus de proximité avec le consommateur. En France, les espaces de vente sont de plus en plus grands et l’offre de plus en plus variée. On voit des deux côtés émerger le « trading-up », c’est-à-dire la montée en gamme dans l’offre et le service. »

Autre point à ne pas négliger : l’impact du libre accès sur la fréquentation des officines. « Le passage devant le comptoir de médicaments va transformer les pharmacies en points de vente clés pour les produits de santé. Elles vont drainer plus de clients-patients qu’avant », prévoit Florence Bernard. La pharmacie est donc devenue un secteur garantissant un taux minimal de clients potentiels et une garantie maximale d’accompagnement. Autant de raisons qui ont motivé Doro à se brancher sur le réseau officinal (via Oxypharm). Cette société suédoise en plein essor propose des téléphones simplifiés spécialement conçus pour les seniors, dont certaines références sont adaptées aux déficiences liées à l’âge : amplificateur de sonnerie, touches mémoire dans lesquelles on peut insérer les photos des correspondants les plus intimes… Historiquement, Doro était présent en GMS, chez les audioprothésistes et les orthopédistes. Et la croix verte s’est finalement imposée de fait. « La pharmacie, dans sa mutation, se retrouve aux confins de la grande distribution et de la prise en charge du handicap », analyse Jérôme Arnaud, P-DG de Doro. Autant dire que les frontières de distribution tendent à disparaître…

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone le 22 mai 2009 sur un échantillon de 100 pharmacies représentatif en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires

50 % d’officines référencent…

Distribuez-vous dans votre officine des marques vendues en GMS (en dehors des laits infantiles) ?

… quand les marques ont une forte notoriété et un positionnement santé

Quelle est votre attitude vis-à-vis du référencement des marques de GMS ? (1 seule réponse possible)

Votre force de conseil intéresse

D’après vous, pourquoi la pharmacie intéresse-t-elle tant les marques de GMS ?

(2 réponses possibles)

La cosmétique, c’est du sérieux

Trouvez-vous légitime de vendre des marques de cosmétiques qui sont par ailleurs déjà distribuées dans les magasins bio ou dans certains instituts ? (1 seule réponse possible)

La pharmacie sera toujours la pharmacie…

Selon vous, la vente en officine de produits déjà présents dans d’autres circuits : (1 seule réponse possible)

… et les clients des clients

Vos clients sont-ils prêts à acheter dans votre officine des marques qu’ils peuvent trouver en GMS ou en parfumerie ?

Conseiller fait vendre 16 fois plus !

« Le pharmacien a beaucoup évolué dans sa politique de référencement, observe Jean-Paul Aboab, P-DG d’Efficare. Avant, il refusait catégoriquement les marques de GMS. Désormais, il les accepte volontiers à condition de bénéficier des mêmes tarifs. Le meilleur exemple est celui des laits maternisés. Les officinaux sont également intéressés par l’opportunité de développer de nouveaux marchés. Si une marque connue en GMS leur propose un produit exclusif permettant de recruter de nouveaux consommateurs, pourquoi s’en priver ? Il faut bien sûr sélectionner des marques qui soient en totale adéquation avec le monde de la santé. Mais c’est une question de bon sens ! L’essentiel est que l’équipe s’approprie le produit ou la marque en provenance d’un autre univers pour pouvoir bien le conseiller. Mon propos est confirmé par les résultats sur le terrain : la différence d’écoulement entre une équipe conseillère et une autre qui ne fait pas d’efforts est énorme : on passe, pour une même référence, de 200 à 12 produits par mois ! »

Les conseils de Karim Zinaï Directeur du MBA de marketing et communication santé du pôle universitaire Léonard-de-Vinci

Profiter du référencement d’une marque présente sur un autre circuit pour susciter des interrogations (« Pourquoi ce produit est-il vendu en pharmacie ? ») et créer l’occasion d’ouvrir le dialogue. L’objectif est de valoriser le nouveau rôle du pharmacien « prescripteur de solutions santé », qui va bien au-delà de la délivrance de médicaments.

Bien expliquer les spécificités d’une marque : pour pouvoir justifier de sa légitimité en pharmacie (et de sa différence de prix avec la marque soeur en GMS). Le conseil du pharmacien ne se conçoit que sur des bases rationnelles. De toute façon, les consommateurs ne sont plus dupes.

Rester cohérent : ne pas présenter des produits qui pourraient avoir leur place en supérette.

Attention au merchandising et à l’agencement ! La diversification ne doit pas nuire à la présentation. Autrement dit, il faut rester dans une optique de « show-room santé » dans lequel les clients-patients reconnaissent les codes du bien-être et de l’éthique.

Cela ne marche pas à tous les coups !

Il ne suffit pas qu’une marque « étrangère » ait de la notoriété pour être crédible et bien se vendre en officine. Quand bien même elle pourrait justifier de sa position dans le domaine de la santé. Ainsi, les marques qui rêvent de pharmacie se heurtent parfois à la dure réalité du terrain. Mars s’y est par exemple cassé les dents avec ses barres chocolatées Cocoavia. Apparues dans les linéaires en octobre 2007, elles en furent retirées début 2009. Le concept de la gourmandise riche en flavanols et censée améliorer la circulation du sang n’a pas trouvé d’écho. Ou pas assez. Le produit, après une révision du packaging (plus explicite), a tout de même été implanté dans 1 200 officines. Mais, à raison de 6,50 euros les 5 barres, il fallait sérieusement argumenter pour trouver preneur. Sur le terrain, l’image de Mars « spécialiste en confiserie » a écrasé le message santé. « L’équilibre entre Mars plaisir gourmand et Mars phlébotonique reste à trouver pour que le pharmacien s’approprie le discours santé », analyse Jean-Paul Aboab, P-DG d’Efficare, la société qui a distribué le produit. Le positionnement « plaisir et prévention » en pharmacie était-il trop avant-gardiste ? Une chose est sûre, le groupe Mars promet de revenir en officine d’ici deux ans avec une gamme complète et un discours moins ambigu.

Enquête auprès de consommatrices révélant la cohérence du circuit, formation poussée de la force de vente et des pharmaciens partenaires, implantations à minima…, la marque suisse de cosmétiques haut de gamme La Colline s’est, elle, donné tous les moyens pour réussir son lancement en pharmacie. Consciente du prix élevé de ses produits (120 euros la crème et 350 euros les programmes !), l’équipe marketing vise une clientèle sélective et 100 points de vente officinaux la première année (200 à terme). Et, au vu du développement des marques comme Darphin en officine dont le positionnement est similaire à celui de La Colline, elle avait toutes les raisons d’être optimiste. Reste que les résultats des quatre premiers mois de lancement laissent la responsable marketing perplexe. Les rotations semblent moins importantes que prévu.