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LA CROISADE HÉTÉROCLITE

Publié le 16 mars 2013
Par Caroline Coq-Chodorge
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Offensive de la grande distribution, vente de médicaments sur Internet, négociations retardées : la profession est inquiète et veut le faire savoir. Ses représentants réagissent en multipliant les campagnes de défense du métier de pharmacien, mais en ordre dispersé.

On marche sur la tête ! », clament les magasins Leclerc au sujet de la vente de médicaments OTC réservée aux officines. « Gardons les pieds sur terre ! », réplique l’Ordre des pharmaciens. L’institution a lancé, mardi 12 mars, une campagne de défense du métier de pharmacien qui décline affiche, prospectus et film, envoyés dans les 23 000 officines à la fin du mois. Seul hic?: les pharmaciens ont déjà l’embarras du choix entre les divers affiches, tracts, pétitions et films élaborés par des syndicats ou des groupements, eux aussi soucieux de riposter à la nouvelle publicité provocatrice de Leclerc télédiffusée mi-février. « Plus il y aura de réactions, mieux c’est », se félicite Alain Delgutte, président de la section A du conseil national de l’Ordre des pharmaciens. « Les pharmaciens vont sans doute trouver tout cela un peu ridicule », soupire Lucien Bennatan, président du groupement PHR.

PHR a été le premier à lancer, le 7 mars, une campagne intitulée « Mensonges ! ». Affiches et tracts, frappés d’un poing levé sur fond rouge, ont des accents révolutionnaires. « Faux », répond le groupement à plusieurs « affirmations fallacieuses », comme celle-ci : « Toujours moins cher et sans risque, c’est possible ». Le kit de communication est en cours de diffusion dans les 2 200 officines membres de PHR. « Pourquoi nous avons répondu à Leclerc ? Mais parce que aucune instance nationale ne l’avait fait. Devant la colère de nos adhérents, de tous les pharmaciens, nous ne pouvions rester silencieux, explique Lucien Bennatan. Je n’ai pas de mot assez dur pour condamner l’absence d’union de la profession. L’Ordre n’a même pas consulté les groupements. »

Tous unis contre Leclerc

« Nous préparons la campagne de l’Ordre depuis plusieurs semaines, nous en avons parlé aux syndicats », se défend Alain Delgutte. Pour lui, chacun est dans son rôle : « Les syndicats et les organisations professionnels défendent la profession, nous délivrons un message de santé publique. » Dans le prospectus de la campagne de l’Ordre, sont déclinés quelques éléments de dialogue avec les patients : « Un pharmacien est un professionnel de santé », « Une pharmacie n’est pas un commerce comme les autres » ou encore « Un médicament n’est pas un produit comme les autres ».

Le message choisi par l’USPO pour s’adresser au public est très proche : « Votre pharmacien, c’est beaucoup plus qu’un diplôme en blouse blanche ». Des affiches sont en cours d’envoi aux 23 000 officines. Le syndicat lance aussi une pétition intitulée « Je tiens à ma pharmacie » L’initiative d’une pétition a déjà été prise par la section du Var de la FSPF, ce qui a valu à Gilles Bonnefond un courrier de son président, Michel Siffre, pour lui signifier qu’il aurait pu avoir « l’honnêteté intellectuelle » de le signaler. L’USPO espère des signatures nombreuses pour instaurer « un rapport de force » à la veille des négociations sur les nouveaux modes de rémunération, explique son président Gilles Bonnefond : « Moi je ne parle pas à Leclerc. Le mal est bien plus profond que ça. Mon devoir est d’éclairer le pharmacien, de lui dire : “C’est pire que ce que vous croyez”. Le gouvernement, en huit mois, n’a fait preuve d’aucune écoute à notre égard et témoigne d’une méconnaissance totale de notre profession. » Sans donner le coût de cette communication, Gilles Bonnefond précise avoir fait appel à une cotisation extraordinaire auprès de ses adhérents pour la financer.

Des initiatives locales de communication

Point de vue tout autre à la FSPF. Le syndicat majoritaire soutient la campagne de communication de l’Ordre : « Il faut un message simple, unique », explique Jean-Luc Audhoui, en charge de la communication de la fédération. A la veille des négociations, celle-ci mise plutôt sur « le travail de fond, au contact des autorités de santé ». Mais elle n’a pas découragé ses adhérents de prendre des initiatives, comme celle de la FedMed, la Fédération pharmaceutique méditerranéenne, qui a lancé, le 7 mars, sa campagne intitulée « Mon pharmacien, j’en ai besoin ». « Nous avons voulu réagir aux nouvelles attaques de Leclerc et à l’autorisation de la vente sur Internet, pour défendre la profession » explique son président Frédéric Abécassis. Les 14 et 16 mars, la FedMed a diffusé deux films sur www.jenaibesoin.fr, bientôt suivis par trois autres, qui rappellent « l’ensemble des grandes problématiques de la profession?: déréglementation, vente en ligne, libre distribution, traçabilité, vente de médicaments exclusivement réservée aux officines, etc. ». Pour la FedMed, cette campagne représente « notre plus important budget jamais dépensé en communication », explique Frédéric Abécassis, sans en préciser toutefois le montant.

Publicité

Localement, certains syndicats ont également communiqué. Citons l’exemple du slogan humoristique du syndicat des pharmaciens de l’Oise (« Leclerc ne contrôle déjà pas l’origine de ses lasagnes mais il souhaite vendre des médicaments. Oui on marche sur la tête… ») ou, plus classique, l’initiative du syndicat des pharmaciens du Finistère. Son président, Frédéric Pouchous, a adressé fin février un long courrier à la ministre de la Santé. « En Bretagne, nous voyons aussi progresser les déserts médicaux qui fragilisent l’exercice de certains confrères. L’autorisation de la vente des médicaments sur Internet est un autre sujet de débat. Et là-dessus est venue se surajouter la campagne de Leclerc. Le pharmacien de base est inquiet pour sa profession et pour la santé publique », explique Frédéric Pouchous. Qui « ne désespère pas » de recevoir une réponse de Marisol Touraine.

La pub Leclerc détournée

Le couple mis en scène par Leclerc, trouvant que, « franchement, on marche sur la tête », prête à la parodie. Il a inspiré des étudiants en pharmacie qui ont déposé sur YouTube une vidéo, vue plus de 90 000 fois, où le couple en question se désole de ne pas pouvoir acheter des saucisses et des lentilles à son pharmacien de supermarché. Autre vidéo (vue 13 000 fois), réalisée par des officinaux, détournant encore le spot Leclerc : « Tu veux délivrer des médicaments ? Ben travaille en pharmacie… ? » « Pas con ! », répond, hébété, le pharmacien. Antoine Darras, 33 ans, l’auteur du scénario, est cotitulaire d’une officine installée… dans un centre commercial de Saint-Maximin (Oise). Il est formel : « La grande distribution peut faire baisser les prix de 25 à 30 % temporairement, pour étouffer la concurrence, avant de les remonter ». Il regrette les « réactions désordonnées de la profession qui ne font pas masse. Syndicats et Ordre ne s’entendent pas bien. C’est un tort ».