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UN SUCCÈS PLUS RAPIDE QUE PRÉVU

Publié le 12 octobre 2013
Par Stéphanie Bérard
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Le développement des e-pharmacies ne devrait pas rester un phénomène marginal si l’on en juge par une enquête réalisée par les Echos Etudes auprès de titulaires. Il en ressort que plus de 10 % du réseau officinal aura fait le saut dans l’e-commerce d’ici 2013.

Depuis le 19 décembre 2012, les pharmaciens ont la possibilité de vendre des médicaments sans ordonnance sur Internet. Ont-ils saisi cette opportunité ? L’enquête réalisée par Les Echos Etudes, en partenariat avec Celtipharm(1), révèle que plus de 10 % du réseau officinal aura franchi le pas du e-commerce d’ici la fin de l’année. « Le nombre de sites autorisés par les ARS a été multiplié par 4,5 en deux mois. Si ce rythme se maintient, on peut estimer à une centaine le nombre d’autorisations délivrées d’ici fin 2013 », affirme l’étude. En effet, si 3 % des pharmaciens ont déjà mis en place un site de vente en ligne (commercialisant pour l’essentiel des produits de parapharmacie, des compléments alimentaires et des cosmétiques), 9 % ont déposé un dossier d’autorisation à l’ARS ou envisagent de le faire d’ici la fin de l’année. Un pourcentage significatif si on le compare aux officines allemandes, dont seulement 15 % développent la vente en ligne de médicaments… depuis 2004. « C’est un signal positif car il y a bien plus de pharmaciens prêts à s’engager dans ce dispositif que ce à quoi on pouvait s’attendre », commente Hélène Charrondière, directrice du pôle Pharmacie-Santé des Echos Etudes. L’ordre des pharmaciens recense 60 sites autorisés au 1er octobre.

Ces pionniers vont-ils représenter la seule petite minorité à investir le web ? On pourrait le croire, à entendre les titulaires qui n’ont pas encore déployé de site Internet. Ils sont en effet une large majorité (88 %) à être refractaires à la vente en ligne. Leurs raisons ? Déontologiques pour la plupart, tant ils sont opposés, par principe, à la vente de médicaments sur Internet (81 %). L’étude témoigne, en particulier, de leurs craintes de voir accélérer le processus de dérégulation de la pharmacie (89 %) ou d’intensifier la concurrence par les prix entre officines (53 %). En outre, nombre de pharmaciens ne connaissent pas le guide de dispensation des médicaments sur Internet (25 %), ou n’a pas l’intention d’en prendre connaissance (30 %). « Les pharmaciens redoutent, par principe, tous les changements qui pourraient mettre en péril leur monopole, commente Hélène Charrondière. Les mêmes réticences étaient observées au début du libre accès, qui est maintenant entré dans les mœurs des officinaux. Leur adhésion à la vente en ligne prendra du temps, mais est, pour nous, acquise. »

Drainer une clientèle au-delà de sa zone de chalandise

Ces craintes sont-elles fondées ? « La vente en ligne offre de réelles perspectives de croissance pour les laboratoires pharmaceutiques et les pharmaciens d’officine qui sauront développer cette nouvelle activité », lit-on dans l’étude. Confrontés à un recul des ventes de médicaments remboursables, menacés par les offensives de la grande distribution, les pharmaciens doivent trouver de nouveaux relais de croissance en développant des marchés moins exposés aux mesures de régulation économique. « Il est clair que les pharmaciens peuvent de moins en moins compter sur la dispensation du médicament remboursable pour se développer. Ils n’ont pas d’autre choix, pour gagner des points de marge, que d’investir davantage sur les produits hors monopole et l’automédication », recommande Hélène Charrondière. Alors que les ventes de prescription médicale obligatoire en officine reculent de 4 %, les médicaments de prescription médicale facultative non remboursables progressent de 2,8 %(2).

Les seniors, nouvelle cible à explorer

D’autre part, le potentiel de croissance du e-commerce n’est plus à prouver. D’après la Fevad (fédération du e-commerce et de la vente à distance), le marché de la vente en ligne a progressé de 19 % en 2012 et de 14 % lors du premier trimestre 2013. La croissance est tirée par la création de nouveaux sites marchands (+ 17 %), avec un nombre total de sites égal à 117 500. Or, les produits de beauté et de santé représentent le septième marché de la vente en ligne, avec 23 % de parts de marché en valeur, loin devant l’alimentation et les produits de grande consommation. En outre, le nombre de Français achetant en ligne en 2013 s’établit à 32,6 millions (+ 5 % par rapport à 2012). Les seniors (65 ans et plus) sont d’ailleurs une nouvelle cible à explorer, en hausse de 27 % sur le web au cours du premier trimestre 2013. Enfin, d’après une étude de l’agence de marketing digital Eat Pur/Come&Stay réalisée en juin 2012, près de 7 Françaises sur dix affirment faire leurs achats de produits de beauté sur Internet. « Dans ce contexte, le développement d’une offre multicanal combinant parapharmacie et automédication constitue à l’avenir l’un des moteurs de la croissance du réseau officinal », affime l’étude. Pour Hélène Charrondière, la création d’un site marchand « peut avoir un effet vertueux, qui permettra à une pharmacie de drainer une clientèle au-delà de sa zone de chalandise et même des frontières nationales, en particulier pour celles situées dans une zone transfrontalière ». Seul hic : les obstacles réglementaires pour communiquer sur l’existence de son site Internet. « C’est pourquoi il est essentiel, pour les e-pharmaciens, d’avoir un très bon référencement sur le web », renchérit-elle. Reste que les pharmaciens n’ont pas forcement tous intérêts à se lancer dans l’aventure. « Ceux qui ont une officine de moins de un million d’euros ne disposent pas forcément de l’équipe, des moyens et de la logistique pour développer la vente en ligne. Dans la mesure où la publicité de cette activité est pour l’heure interdite, il est nécessaire de démarrer en capitalisant sur un flux de patients importants, dont le profil de consommation est davantage orienté vers l’automédication et la parapharmacie. »

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Un impact certain sur le chiffre d’affaires

Les soixante pharmaciens qui ont créé leur site de vente en ligne poursuivent donc deux objectifs essentiels : générer des ventes additionnelles et étendre trafic et zone de chalandise. Et, bien sûr, doper le chiffre d’affaires. « Ils sont 21 % à déclarer que les ventes réalisées en ligne représentent 5 à 10 % de leur chiffre d’affaires. Pour 11 % des pharmaciens interrogés, cette part s’élève de 15 à 20 % », note Hélène Charrondière. Dans une moindre mesure, sans même avoir d’objectif de chiffre d’affaires, la création d’un site de vente en ligne peut s’avérer fructueuse. Blandine Girot, titulaire à Paris, a ouvert son site marchand pour simplement « avoir une vitrine car les pharmaciens doivent être présents sur le web ». La pharmacienne a mis en ligne, pour le moment, une centaine de produits, essentiellement d’automédication, « car la réalisation des photos de chaque produit prend beaucoup de temps ». Si la titulaire n’a réalisé qu’une quinzaine de ventes via son site depuis le mois de juillet, elle parvient, peu à peu, à drainer « des internautes qui viennent chercher des produits, comme certains complexes vitaminés, qui ne se trouvent pas dans toutes les officines. » Elargir sa clientèle, c’est aussi l’objectif atteint par Hubert Meunier, pharmacien à Altkirch dans le Haut-Rhin. Ce pharmacien, situé en zone semi-rurale, dans une ville de moins de 6 000 habitants, a créé son site Internet de parapharmacie il y a dix ans, auquel il a ajouté une partie « médicaments » depuis janvier 2013. Il parvient « à attirer une clientèle venue de la France entière ». S’il préfère garder ses flux de commandes confidentiels, il réalise suffisamment de ventes pour « occuper deux personnes à temps plein en termes de logistique. »

(1) Enquête auprès de 1 058 pharmacien titulaires durant les mois de juillet et août 2013

(2) Cumul mobile annuel, en chiffre d’affaires, données Gers.