- Accueil ›
- Business ›
- Retail ›
- E-commerce ›
- Un marché encore fumeux
Un marché encore fumeux
C’est dans l’air. Sur Internet. Dans les enseignes spécialisées qui fleurissent dans les centres-villes. Et même sur les stands des marchés ! La cigarette électronique fait actuellement un tabac. A tel point que le marché attirant des acteurs de tout bord doit trouver un nouveau souffle.
Ils sont aujourd’hui plus 1,5 million de Français à fumer – pardon, à « vapoter » ! – une cigarette électronique. Leur nombre croît de jour en jour, créant un appel d’air sur un marché en pleine expansion. Les ventes, en croissance de 30 % par an, devraient atteindre 100 millions d’euros en fin d’année.
La cigarette électronique est devenue un phénomène de société. Les « vapoteurs » composent une véritable communauté. Ils échangent sur des forums spécialisés dans un jargon qui leur est propre, où l’on parle de dry-smoking, dual coil, dry-tip… L’e-cigarette est à l’image d’une société basée sur la communication et l’individualisation. « Le vapoteur peut utiliser son matériel, le personnaliser. Il découvre un univers complexe où il peut moduler le voltage, la saveur, le taux de nicotine », décrit Mickaël Hammoudi, président du CACE (Collectif des acteurs de la cigarette électronique*), rappelant la diversité infinie des saveurs et la variété du matériel. Pour autant, les vapoteurs ont tous en commun d’être des fumeurs ou d’anciens fumeurs. « Il y a ceux qui vapotent pour la beauté du geste, pour le côté social, et il y a ceux qui y voient un moyen de sortir de la spirale du tabac », analyse Julien Bongart, patron de l’enseigne E-Kyf (six boutiques).
Selon les sondages effectués dans les forums, 73 % d’entre eux ont même cessé totalement le tabac. Pas de quoi cependant faire trembler la SEITA, qui s’adresse à 15 millions de fumeurs… La menace est cependant suffisante – et le marché potentiel assez alléchant – pour susciter la création de lobbies. Se réclamant du Code général des impôts et du Code de la santé publique, la Confédération des buralistes revendique l’exclusivité du réseau de distribution. « Le nom, la gestuelle, la forme du produit et la clientèle cible rappellent qu’il s’agit bel et bien d’un produit à fumer. Il serait donc logique et cohérent que ce soit uniquement les buralistes qui assurent la vente réglementée de la cigarette électronique », affirme Pascal Montredon, président de la Confédération des buralistes.
Un statut encore ambigu
Les utilisateurs ne l’entendent pas de cette façon. « Désirant que la cigarette électronique reste un produit de consommation courante destinée à un public adulte, nous sommes contre tout monopole des réseaux de distribution », déclare Brice Lepoutre, président de l’AIDUCE (Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique). Il refuse tout autant l’assimilation de l’e-cigarette à un médicament : « Les conséquences seraient graves, le coût d’achat du matériel et/ou des liquides serait revu à la hausse pour amortir les diverses AMM, le choix de matériel et de liquide serait restreint et la cigarette électronique perdrait de son attrait. Car, à l’heure actuelle, c’est bien cette diversité de produits qui fait que chaque vapoteur trouve le matériel et le ou les liquides qui lui conviennent personnellement. »
Les magasins de cigarettes électroniques rejettent eux aussi une approche moralisatrice et une médicalisation du produit. Dans cette logique, le mot « sevrage » est banni au sein de la soixantaine d’enseignes spécialisées, dont Clopinette est aujourd’hui leader. Il y aurait actuellement 150 magasins de cigarettes électroniques. Reste que le positionnement du produit est encore ambigu. « C’est une méthode qui aide à ne pas replonger dans le tabac. On peut en effet baisser la teneur de nicotine de 16 à 6 mg/ml sans s’en apercevoir », assure Fabrice Barrette, créateur de Ci-Klop, une chaîne de 22 magasins (bientôt 50) situés principalement dans les pays de la Loire. Il affirme même que des médecins lui adressent leurs patients qui veulent en finir avec la cigarette ! L’engouement pour la cigarette électronique repose sur le bouche-à-oreille. Les distributeurs sont d’ailleurs souvent des jeunes trentenaires eux-mêmes fumeurs convertis qui utilisent les outils des médias sociaux et la vente sur Internet. Là où la cigarette classique est synonyme d’addiction, la cigarette électronique rime avec passion.
Des distributeurs en tout genre
Aujourd’hui, vapoter est devenu tendance. Et chaque enseigne de distribution se différencie des autres en choisissant ses fabricants. On ne trouve donc pas les mêmes marques partout. Mais les points de vente spécialisés sont tous construits sur le même principe : la convivialité. L’espace est restreint (30 à 40 m2 en moyenne), mais pensé autour de l’échange : on y boit un café, il n’est pas rare que le comptoir se transforme en bar où l’on goûte les différentes saveurs. « La vente requiert du conseil. Les magasins spécialisés privilégient cet accueil », expose Mickaël Hammoudi. Avec un souhait constant de la part des aficionados : ne plus avoir un produit qui ressemble à du tabac. On peut dans ces conditions s’interroger sur l’opportunité de la vente chez les buralistes. Le client veut essayer le produit et en comprendre le fonctionnement. « Il pose beaucoup de questions techniques, il a besoin d’être éduqué », confirme Julien Bongart, estimant, comme ses confrères, à dix voire quinze minutes le temps consacré en moyenne avec un acheteur. Un constat qui peut interpeller les pharmaciens – il en reste – toujours intéressés par ce produit retiré de la vente en officine il y a deux ans. Dès lors, le marché est aujourd’hui assailli par une pléthore d’acteurs, dont le sérieux de certains n’est pas garanti (stands sur les marchés, dans les centres commerciaux…). Nombre de microentreprises se fournissent à l’étranger et enfreignent parfois l’interdiction de la vente aux mineurs. Pour combien de temps encore ? Face aux législateurs, les points de vente organisés sous le CACE assurent prendre eux-mêmes leur destin en main.
Objectif sécurité
« Nous préparons un projet de formation et nous avons proposé au ministère de la Santé une certification », garantit Mickaël Hammoudi, dont le collectif comprend trois fabricants français. « Une réglementation de la profession apporterait transparence et traçabilité sur les produits », remarque Fabrice Barrette, qui commercialise des fioles d’origine française près de trois fois plus chères que celle en provenance de Chine. Reste qu’on attend toujours la garantie d’une absence de nocivité. Les vapoteurs ont un souci de sécurité mais ne sont pourtant pas prêts à voir le lobby pharmaceutique récupérer le marché. Or, l’amendement adopté par la commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire du Parlement européen en juillet dernier pourrait bien changer la donne. Et pour cause : il assimile les produits de la cigarette électronique contenant plus de 4 mg/ml de nicotine à un médicament…
* 45 adhérents, 122 points de vente, soit 75 % du marché.
repères
→ 2005 : création de la cigarette électronique en par un pharmacien chinois à l’intention de son père cancéreux.
→ 2010 : l’OMS souligne qu’aucune preuve scientifique ne peut être avancée sur l’efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique.
→ 2011 : l’Afssaps (aujourd’hui l’ANSM) rappelle que ne disposant pas d’AMM, et ne faisant pas partie des produits dont on peut faire commerce dans une officine, l’e-cigarette ne peut être vendue en pharmacie.
→ Mai/juin 2013 : l’e-cigarette est interdite de publicité et de vente aux mineurs.