La pharmacie en ligne d’attaque

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La pharmacie en ligne d’attaque

Publié le 5 octobre 2024
Par Sana Guessous
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Face aux menaces de dérégulation de la vente en ligne de médicaments, la profession s’organise. Un nouveau portail multiservice, créé par Federgy et soutenu par les syndicats représentatifs de la profession, devrait voir le jour. Revue de détail avant sa mise en route envisagée en janvier 2025.

 

Pour préserver leur monopole sur la vente en ligne de médicaments, les officinaux sont passés à l’offensive en imaginant un portail numérique de services et de vente en ligne de médicaments hors prescription, qui permette à chaque pharmacie de développer son e-commerce et de s’adapter ainsi aux nouveaux usages des Français. « C’est un projet sociétal : l’achat sur Internet et la livraison à domicile sont des attentes de plus en plus fortes auxquelles nous nous devons de répondre avec une solution facile, efficace et garantissant sécurité et confidentialité », explique Alain Grollaud, président de la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies, Federgy. L’autre ambition, et pas des moindres, est de préserver le monopole officinal. Pour ce faire, il était important de fédérer l’ensemble des acteurs de la profession autour de cette initiative. Et c’est chose faite puisque l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) et le Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO) ont ainsi rejoint le projet. « C’est la solution la plus respectueuse du modèle de la pharmacie française et la plus à même de soutenir et de pérenniser notre maillage », assure Philippe Besset, président de la FSPF. 

 

On se souvient que le 30 mai dernier, jour du mouvement national de grève de la profession, les pharmaciens dans la rue scandaient « Pharmacie dans la rue, Ferracci t’es foutu ! ». Pour Alain Grollaud, cette mobilisation a porté ses fruits, puisque « le projet de loi Ferracci (proposant de déverrouiller la vente en ligne de médicaments NdlR) n’existe plus. Je suis en contact régulier avec la Direction générale des entreprises (DGE), et on m’y renouvelle l’assurance que Ma pharmacie en France est le projet retenu par les pouvoirs publics. Le monopole des pharmaciens est donc préservé. Ce n’est pas encore acté par des textes de loi, mais nous y travaillons ! ». La nomination de Marc Ferracci en tant que ministre délégué chargé de l’industrie au sein du gouvernement Michel Barnier, le 21 septembre dernier, a fait renaître un sentiment d’inquiétude. « Nous serons particulièrement vigilants aux actions de ce ministre », affirme, pour sa part, Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. 

Quels services rendus ?

 

Ma pharmacie en France, qui pourrait voir le jour en janvier 2025, propose deux services majeurs. D’une part, la livraison sécurisée de médicaments, avec ou sans ordonnance, par le biais de La Poste, le partenaire logistique du projet, « ou de toute autre solution de livraison de son choix », précise Pierre-Olivier Variot. Près de 9 Français sur 10 se font désormais livrer leurs achats en ligne, selon une étude Ipsos sur l’enjeu de la livraison dans la stratégie omnicommerce et l’expérience client, réalisée en juillet 2023 auprès de 1 100 consommateurs français. Deuxièmement, ce nouveau portail offre la possibilité d’héberger des espaces de vente en ligne pour toutes pharmacies désireuses d’accroître leur activité e-commerce sur les médicaments hors prescription, la parapharmacie et les dispositifs médicaux. Ce volet technologique sera également assuré par La Poste Santé & Autonomie, son nouveau pôle.

 

Pour les prises de rendez-vous avec les patients, un agenda numérique sera mis à la disposition des équipes officinales, sur le modèle de celui de Doctolib. Face à l’augmentation des nouvelles missions, un tel outil devrait permettre d’optimiser l’organisation interne des pharmacies. Par ce canal, il sera également possible de diffuser des messages de santé publique et de prévention. « Nous devons aider les patients à devenir acteurs de leur santé. Mais aussi leur faire découvrir la diversité de notre métier. Beaucoup de patients pensent encore que notre rôle se résume à délivrer des médicaments. Grâce aux nouvelles missions, nous pouvons leur offrir un accompagnement bien plus large », estime Alain Grollaud.

Quel coût pour quelles retombées espérées ?

 

L’abonnement mensuel, pour un titulaire, s’élèvera à 50 €. « Cela comporte toutes les fonctionnalités du portail : livraison, site e-commerce, prise de rendez-vous, etc. Si, pour chacun de ces services, vous faites appel à un prestataire différent, le coût est alors bien supérieur », argumente Alain Grollaud. Le pharmacien ne se verra prélever aucun pourcentage sur les ventes en ligne qu’il réalisera. « La marge sera identique à celle qu’il pratique à l’officine », précise le patron de Federgy. Cependant, les fonctionnalités de ce portail seront implémentées au fur et à mesure. « Cela représente un travail considérable », justifie-t-il. Pour l’heure, il est également difficile de quantifier les retombées économiques potentielles. « Nous espérons fédérer un maximum d’officines. Il est sûr que plus nous serons nombreux à l’utiliser, meilleur sera notre référencement et plus ce sera intéressant économiquement parlant », argue notre interlocuteur. 

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Quels avantages pour les patients ?

 

Au-delà d’une habitude qui s’est ancrée dans le quotidien des Français, notamment au sein des populations urbaines et jeunes, la livraison à domicile peut aussi s’avérer utile pour les personnes à mobilité réduite et les personnes âgées qui ont des difficultés à se déplacer, ou encore des patients en retour d’hospitalisation… « Plusieurs situations peuvent empêcher quelqu’un de se rendre à la pharmacie : les difficultés à se garer dans une grande ville, un voyage, une maladie, un isolement géographique… Tout le monde peut être amené à utiliser notre solution », affirme Alain Grollaud. Autre avantage par rapport aux plateformes de livraison déjà existantes comme Livmed’s, Pharmao ou Mymediks, qui concentrent leur activité sur les grandes villes, l’outil de Federgy s’appuie sur le réseau étendu de La Poste pour garantir une large couverture, y compris dans les zones rurales. 

Quelle sécurité dans l’approvisionnement ?

 

Au-delà de la garantie du respect de la confidentialité des données de santé, la plateforme assure à ses utilisateurs « qualité et sécurité des médicaments, dans un cadre souverain, éthique et de confiance », s’engage Dominique Pon, directeur général de La Poste Santé & Autonomie. Car l’achat de médicaments sur Internet n’est pas sans danger : « Des patients ont malheureusement déjà été gravement malades ou sont décédés après avoir ingéré des médicaments falsifiés achetés sur des plateformes étrangères », déplore Pierre-Olivier Variot. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 1 médicament sur 10 est contrefait. En 2023, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a mis en garde contre « un nombre croissant de faux médicaments et de produits pharmaceutiques potentiellement mortels vendus en ligne », notamment sur des plateformes géantes comme AliExpress. « Avec Ma pharmacie en France, vous êtes sûr de l’authenticité des médicaments, puisque vous allez les chercher dans le stock de votre pharmacie », assure Alain Grollaud.

             

Un nom pour un autre

Le portail, qui doit s’appeler Ma pharmacie en France, pourrait bien changer d’appellation. En cause : la start-up de livraison de médicaments Livmed’s, qui s’est hâtée d’enregistrer cet été le nom de domaine que les pharmaciens souhaitaient utiliser pour leur plateforme. En discussion avec Livmed’s pour tenter de le récupérer, les créateurs de Ma pharmacie en France n’excluent pas de l’abandonner pour en choisir un autre si les pourparlers n’aboutissent pas.

La menace Amazon n’est pas conjurée

Lancée en 2020 dans le sillage de la pandémie de Covid-19, la filiale du géant de l’e-commerce Amazon Pharmacy bouleverse le paysage pharmaceutique américain. Pour 5 $ par mois, les clients d’Amazon US peuvent en effet se faire livrer une profusion de médicaments génériques sur ordonnance, pour des affections telles que l’hypertension, le reflux gastro-œsophagien, ou encore l’anxiété. Amazon pourra-t-il bientôt faire de même en Europe ? En Italie, le distributeur va ouvrir sa première parapharmacie à Milan d’ici la fin de l’année. Cependant, la législation italienne ne l’autorise pas à vendre des médicaments, avec ou sans ordonnance. En France, Amazon serait en lice pour racheter la start-up de livraison de médicaments Livmed’s, qui dit prendre le temps d’examiner plusieurs offres. Le modèle pharmaceutique d’Amazon semble en tout cas éveiller l’intérêt d’une frange des consommateurs français. D’après le cabinet de conseil en stratégie Simon-Kucher & Partners, plus de 20 % des clients français d’Amazon – soit 6 millions de personnes – seraient prêts à se faire livrer des médicaments par le leader de la vente en ligne. Pour Alain Grollaud, président de Federgy, la menace Amazon n’est pas à minimiser et doit être l’occasion pour les pharmaciens de « prendre leur destin en main. Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place, à des prix bien plus chers et dans des conditions éloignées de nos valeurs et de la sécurité des patients ».

À retenir

– Un nouveau portail multiservice créé par Federgy, pour les pharmacies et leurs patients, devrait voir le jour en janvier 2025.

– Ce projet sociétal s’inscrit dans les habitudes des Français qui sont de plus en plus nombreux à acheter en ligne et à se faire livrer.

– La Poste en est le partenaire. Pour la livraison à domicile, le groupe garantit une large couverture, y compris dans les zones rurales. 

– Afin de bénéficier des différents services (hébergement d’un espace de vente en ligne, livraison à domicile, prise de rendez-vous, etc.), le coût mensuel pour le titulaire est de 50 €. 

– Avec Ma pharmacie en France, les pharmaciens prennent leur destin en main face aux menaces qui pèsent toujours sur la vente en ligne.