Téléconsultation : place à perdre ou place à prendre ?
Depuis le premier confinement de mars 2020, la téléconsultation s’est démocratisée à marche forcée. Certaines officines s’y sont mises. La plupart rechignent. Les grandes et moyennes surfaces (GMS), elles, sont tentées…
C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En ouvrant une cabine de téléconsultation dans deux magasins en avril dernier, Monoprix a déclenché une polémique contre son prestataire Tessan (voir encadré). L’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) est ainsi montée au créneau pour dénoncer les acteurs de la télémédecine proposant un service identique aux officines… mais ailleurs. Elle craint aussi que l’arrivée de la carte Vitale en grandes surfaces ne constitue un pied dans la porte pour, demain, voir les médicaments à prescription facultative débarquer dans leurs rayons. Les pharmaciens doivent-ils se lancer dans la téléconsultation pour occuper une place que d’autres prendront sinon ?
Un besoin des populations
La téléconsultation, même si elle n’est pas la panacée, répond à un besoin des populations face à la densité de médecins en baisse (- 2,2 % entre 2012 et 2021. Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et est accessible tout le temps, sous différentes formes : sur ordinateur depuis son domicile, dans une cabine à l’infirmerie de son siège social, à l’officine… La pandémie de Covid-19 et le premier confinement de mars 2020 ont accéléré le développement de cette pratique. « Le pharmacien doit se rapprocher de son entourage médical pour savoir s’il y a lieu ou pas de proposer la téléconsultation. Rien ne lui interdit un tel service. Au contraire, il complète l’offre de soins », indique Pierre Béguerie, président du conseil central A au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). De son côté, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) prend parti et ouvre le débat. « La téléconsultation est un bel outil qu’il faut structurer et qu’il va falloir adapter aux besoins du réseau », estime son nouveau président, Pierre-Olivier Variot. Autrement dit, on est au milieu du gué.
De fait, en pharmacie, l’offre est hétéroclite. Et clairsemée : on peut estimer que quelque 15 % des officines sont équipées. Certains patients sont reçus dans une salle à part et laissés seuls après quelques explications. D’autres sont accompagnés pour renseigner le médecin, se servir des objets connectés… Des patients ont pris leurs habitudes dans une cabine en libre-service et s’y rendent comme ils iraient dans un Photomaton. « Aujourd’hui, la téléconsultation n’est pas encore mature, analyse Caroline Depouhon, titulaire de la pharmacie de la Baulche, près d’Auxerre (Yonne). Une standardisation est nécessaire : qui fait quoi, comment, quel est le rôle du professionnel de santé… Et ensuite, on rémunérera l’accompagnement par un professionnel de santé ou par un assistant médical formés, pour sa compétence, pour le temps – déshabiller une personne âgée peut prendre 10 minutes ! -, etc. ».
« On a lâché des sociétés dans la nature et maintenant on voit des cabines n’importe où. Cela banalise la téléconsultation comme un acte de consommation », s’agace-t-elle. Le cadre de la téléconsultation serait-il trop peu dirigiste ? « Il a souvent été reproché à l’Ordre d’être fermé aux propositions, or, dans ce cas, on a affaire à un texte assez ouvert… », estime, au contraire, Pierre Béguerie, qui ne tient pas à ajouter des contraintes supplémentaires à la pratique.
Un impact économique faible
« A trois consultations par semaine, ce n’est financièrement pas rentable. Mais la téléconsultation rend de réels services et mes patients en sont satisfaits. Même la mairie promeut cette prestation au sein de ses bulletins municipaux », expliquait Christine Leroyer, cotitulaire à Cérans-Foulletourte (Sarthe), début 2021. Elle résumait le ressenti assez général. Le nombre de consultations étant faible, l’impact économique l’est aussi tant sur le chiffre d’affaires ordonnances que sur les éventuelles ventes associées. On n’assiste pas non plus à des afflux de nouveaux clients venus pour cela.
L’équipement des officines est aussi décrié par certains professionnels qui montent même un front « anti-cabine ». Ainsi le président de l’UDGPO, Laurent Filoche, les qualifie de « non-sens économiques : elles prennent de la place, sont difficiles à rentabiliser, à désinfecter…. et elles ne permettent pas l’interaction avec le pharmacien. » D’autres alertent sur les plateformes de médecins. « On n’a pas besoin de s’affilier à une société pour un service clé en main », tient à préciser Pierre Béguerie, partisan d’une interprofessionnalité locale.
« Attention à ne pas succomber aux chants des sirènes. Certaines entreprises proposent de belles machines, très chères, qui promettent une rentabilité grâce à la mise en relation avec des médecins prêts à décrocher. C’est une solution de télémédecine, mais ce n’est pas une solution de téléconsultation comme l’avenant 15 le prévoit », avertit de son côté Pierre-Olivier Variot. Autrement dit, elle ne correspond pas au cadre qui garantit une rémunération pour l’officinal et une prise en charge de l’Assurance maladie pour le patient. D’ailleurs, l’USPO verrait d’un bon œil une « meilleure prise en charge du matériel, y compris la connexion sécurisée, et un forfait à l’acte ». Et Pierre Béguerie de rappeler l’enjeu. « La téléconsultation, ce n’est pas le jackpot. Elle a pour but d’éviter les ruptures dans le parcours de soins et c’est l’optique à conserver », donne-t-il comme cap.
La GMS fait grincer des dents
Quand Monoprix a installé une cabine de téléconsultation au printemps, certains pharmaciens se sont insurgés. Mais rares sont leurs organisations professionnelles à avoir pris parti ouvertement. La chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie Federgy renvoie la balle dans le camp des médecins. « Derrière ces consultations, il y a des médecins qui proposent leurs services », souligne Alain Grollaud, président de Federgy, qui se dit toutefois « solidaire » du combat que mène le Conseil national de l’Ordre des médecins « contre la téléconsultation en supermarché ». Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens estime aussi que ce n’est pas son affaire : « Est-ce à l’Ordre de se prononcer, je ne suis pas sûr, même si voir la téléconsultation en supermarché ne m’enchante pas », répond Pierre Béguerie, président du conseil central A.
La téléconsultation en grandes surfaces est-elle légale ? La GMS est, comme Internet, un lieu où des sociétés peuvent proposer des consultations à distance. Toutefois, ces téléconsultations sont prises en charge uniquement dans certaines conditions fixées par l’Assurance maladie.
La téléconsultation est également accessible dans certaines mairies ou encore au siège de grandes entreprises. Mais cette présence, déconnectée du monde marchand, ne semble pas déranger les officinaux.
À RETENIR
– La téléconsultation, qui a pris son essor depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, est un outil de santé publique et complète l’offre de soins.
– L’impact économique n’est pas (encore ?) au rendez-vous en officine.
– Cette pratique a commencé à intéresser la GMS.
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