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Téléconsultation : la voie est libre

Publié le 1 décembre 2018
Par Favienne Colin
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Les patients peuvent désormais consulter leur médecin à distance et se faire rembourser. mais, quelle place la pharmacie peut-elle prendre dans ce nouveau parcours de soins ?

Depuis le 15 septembre, l’Assurance maladie rembourse la téléconsultation. Il s’agit d’une « visite » à distance, menée par le biais d’une connexion internet sécurisée et d’un écran. Et vu l’engouement des Français pour les services qui font gagner du temps, tout porte à croire que ce nouveau parcours de soins va vite rencontrer un vif succès. De la maison, les patients peuvent désormais consulter via une application sur Smartphone comme DirectoDoc, ou dès janvier 2019 Doctolib, la solution déjà réputée pour la prise de rendez-vous, ou par le biais de la plateforme HelloConsult (DirectMedica) ou encore d’une infirmière dotée du matériel nécessaire. Les patients peuvent également se rendre dans des endroits équipés comme une mairie, un Ehpad (par exemple avec la solution ToctocDoc, qui s’est spécialisée dans l’équipement de ces établissements) et bien sûr dans une pharmacie… Dans certains cas, ils sont autonomes, dans d’autres une tierce personne, personnel de santé ou pas, les assiste. Dans ce contexte, et alors que la question du financement du matériel et du temps reste en discussion, la pharmacie doit-elle se lancer et comment ?

VÉRIFIER la pertinence.

« La première question à se poser, c’est de savoir s’il y a un besoin », tranche d’emblée Sophie Rioli, titulaire de la Pharmacie Toufflin-Rioli à Commequiers (85), qui teste la téléconsultation dans son officine depuis des années. Autrement dit, il faut être certain que les médecins manquent dans son secteur, savoir si les professionnels de santé autour de soi sont partants pour être téléconsultants, ou s’ils proposent déjà eux-mêmes un cadre pour des consultations à distance. Située dans un désert médical, la Pharmacie Mutualiste de Roanne avait expérimenté une cabine H4D pendant plusieurs semaines en 2016. « L’outil nous a permis de préparer des visites chez le médecin, ou pour des patients qui avaient besoin de surveiller leur tension, leur saturation en oxygène… », précise le pharmacien gérant, Emmanuel Guillot. La téléconsultation peut aussi répondre à des problèmes techniques. « Cela peut être un moyen de mettre un service à disposition dans les déserts numériques », remarque Xavier Schneider, titulaire de la Pharmacie Cantonale à Truchtersheim (67), qui voudrait tester deux plateformes avant de choisir : medicitus et Avis2santé.

S’ORGANISER et s’équiper.

Comme tout nouveau service, la téléconsultation nécessite de bien s’organiser dès le départ. La première étape passe par le choix de l’équipement. Il existe des solutions assez simples avec un ordinateur et un écran, qui peuvent être connectés à des instruments de mesure plus ou moins sophistiqués (pour la tension, le poids, la fréquence cardiaque, la prise de photos…). On trouve également des modules sous la forme d’une cabine, dans laquelle le patient rentre et s’enferme pour consulter par visioconférence tout en prenant, là aussi, des mesures. Les plateformes permettent d’envoyer l’éventuelle ordonnance à la pharmacie du choix du patient. Elles disposent de leurs propres médecins et/ou d’un réseau de libéraux qui adhèrent au système. « En même temps, l’idée c’est de faire fonctionner le réseau de proximité », estime Xavier Schneider. Dans tous les cas, l’officine doit disposer de plusieurs mètres carrés en surface de vente ou dans une pièce de confidentialité. A moins de porter son choix sur du matériel partagé. « Si un Ehpad à 200 mètres de chez vous est équipé, mettez-vous d’accord avec lui, il y a peutêtre moyen de s’organiser pour occuper les lieux durant une demie-journée par semaine. Vous pourrez, alors, vous déplacer avec votre patient », suggère Sophie Rioli à ses confrères. Ensuite, vient le temps de la formation : au logiciel, à la législation, aux outils de mesure et à l’entretien des instruments concernant l’hygiène, les rechargements de papier pour imprimer, les petits dépannages, etc. Les prestataires assurent généralement cette mise à niveau. Reste qu’il faut aussi penser « à la psychologie », souligne Sophie Rioli, consciente qu’assister un patient dans une pièce de confidentialité implique un comportement adapté et différent du comptoir où le pharmacien est rarement amené à toucher son client. Enfin, il est possible de prévoir un agenda partagé entre l’officine et les médecins pour être en mesure de choisir au comptoir la date et l’horaire de la téléconsultation.

COMMUNIQUER sur le service.

Une fois le service en place, l’officine a intérêt à le faire connaître. En cela, la Pharmacie Mutualiste à Roanne avait été aidée par la Mutualité Française qui, en amont, avait informé ses sociétaires de l’expérience. « Cela nous a permis d’avoir des demandes spontanées », se souvient Emmanuel Guillot. De plus, la cabine, par sa forme, interpellait la clientèle qui se demandait ce que c’était. « Elle était bien visible, on nous posait des questions », ajoute-t-il.

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De son côté, Christian Favart, co-titulaire de la Pharmacie d’Abraham à Sens (89), s’est lancé dans la téléconsultation avec la solution VisioCheck deVisiomed en octobre dernier, en amenant les choses pas à pas. « Nous avons parlé du service au comptoir, au coup par coup. D’abord on a présenté le service, puis on a proposé de l’essayer », explique celui qui est aussi gérant d’Auclan, une société de conseil en stratégies et développement des entreprises spécialisées dans les pharmacies d’officines et la création de franchises, et qui se sert de son officine comme laboratoire. Pour comprendre l’environnement sous tension médicale dans sa ville de 25 000 habitants, Christian Favart est aussi allé parler de téléconsultation à des médecins. « Ils sont particulièrement intéressés par la continuité du suivi et le fait d’avoir des données à disposition recueillies entre deux visites ». Nul doute toutefois que les pionniers vont bénéficier d’une visibilité inespérée dans les médias, qui va faire connaître leur service de téléconsultation. Mais passé ce buzz, l’officine pourra capitaliser sur le fait que « la pharmacie devient une oasis de santé et une oasis numérique. De là à dire une oasis de santé numérique, il n’y a plus qu’un pas ! » conclut Xavier Schneider, qui voit la téléconsultation comme une vraie opportunité pour la profession.

Expérience

La motivation obligatoire

A Saint-Bonnet-de-Joux, petite bourgade bourguignonne de moins de 900 habitants située à plus de 20 minutes du premier hôpital, la Pharmacie du Val de Joux (membre du groupement PHR) s’est lancée dans la télé expertise de dermatologie. « Il faut avoir de la place, mais surtout être motivée, former l’équipe pour qu’elle soit à l’aise dans la démarche », explique l’adjointe et fille de la titulaire, Clémentine Thomachot, qui reçoit des patients pour monter leur dossier, prendre des photos de l’endroit où la peau pose un problème, puis l’envoie au spécialiste avant de recevoir l’avis de ce dernier et de le traduire en mots simples à son patient. Aujourd’hui, son équipe propose des rendez-vous au comptoir en fonction des cas. Quitte à renvoyer directement vers un spécialiste sans passer par la case « avis ».

REMBOURSÉ OU PAS ?

Pour être prise en charge, une téléconsultation doit être effectuée par vidéotransmission et dans le respect du parcours de soins coordonné. Le patient est initialement orienté par son médecin traitant vers un médecin qu’il connait déjà, sauf pour les moins de 16 ans, les spécialités d’accès direct (comme la gynécologie, la stomatologie…), les cas d’urgence et pour les patients sans médecin traitant ou quand ce dernier est indisponible à temps. Le patient doit avoir vu son médecin traitant, s’il existe, dans les 12 mois précédant la téléconsultation.

L’ESSENTIEL

Le service de téléconsultation en officine doit répondre à une stratégie et un besoin local.

L’équipement va du simple ordinateur connecté à une cabine où tout est inclus.

Une organisation et une formation spécifiques sont nécessaires.

Il nécessite de communiquer auprès des patients et de l’écosystème de santé pour expliquer l’enjeu.