Sérialisation sous pression
Les pharmaciens sont mis en demeure de lancer la sérialisation car la France est très en retard dans ce domaine. Pourtant, ce système offre des avantages. Surtout, s’il n’est pas adopté rapidement, les pharmaciens risquent de payer cher leur mauvaise volonté.
Un total de 952 : c’est le nombre de pharmacies connectées pour réaliser la sérialisation au 16 septembre 2021, sur 21 149 officines. 807 ont choisi le connecteur du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) et 145 une connexion directe à France MVS. Ce qui signifie que 96 % des officines françaises ne pratiquent pas la sérialisation. Dans les autres pays européens, elles sont 99 à 100 % connectées. Sauf en Bulgarie : seulement 96 %… Il n’y a pas photo : la France est très en retard dans la mise en œuvre de la sérialisation alors qu’elle devait être effective le 9 février 2019. Et cette situation commence à devenir problématique pour les officines et pour le pays lui-même.
De fortes réticences
Les pharmaciens français n’ont jamais été enthousiastes à l’idée d’appliquer la sérialisation. Beaucoup d’entre eux estiment que le circuit du médicament en France est sûr et que des contrefaçons de médicaments ne peuvent pas circuler dans le réseau officinal. D’où leur interrogation sur le bien-fondé de ce système qui risque de leur faire prendre du temps lors de la dispensation des médicaments. A ces réticences s’ajoute le coût du dispositif : 44 € par an pour la connexion via le connecteur du CNOP plus un abonnement mensuel demandé par les éditeurs qui ont réalisé des développements pour intégrer la sérialisation dans les logiciels de gestion officinaux (LGO). Une connexion directe à France MVO est possible, mais elle est moins simple et sécurisée. En effet, le connecteur du CNOP permet aux pharmaciens d’être identifiés par leur carte de professionnel de santé (CPS) et de « pseudonymiser » les données transmises lors de la désactivation des boîtes.
Tous ces sujets agitent la profession. En janvier 2020, alors qu’ils ont à peine un mois pour se lancer dans l’aventure, la majorité des officinaux n’est pas convaincue. Et l’épidémie de Covid-19 n’arrange pas la donne : la sérialisation n’apparaît plus comme une priorité. En mai 2020, une douzaine de pharmacies seulement ont mis en place la sérialisation.
Pour relancer son déploiement, la Direction générale de la santé (DGS) adresse fin mai 2020 un courrier aux syndicats de pharmaciens et à l’Ordre afin qu’ils incitent les pharmaciens à s’atteler à la tâche. France MVO envoie également un e-mail aux officinaux début juin pour leur rappeler de se connecter. Ce qui a peu d’effets. Le ministère des Solidarités et de la Santé décide d’intégrer la sérialisation dans les bonnes pratiques de dispensation des médicaments en officine par un arrêté publié au Journal officiel du 27 février 2021. Les pharmaciens peuvent désormais être contrôlés par les agences régionales de santé (ARS) et sanctionnés s’ils ne réalisent pas la sérialisation. Las, en mai 2021, les officines ne sont que 246. D’où un courrier des ARS fin juillet 2021 pour que les pharmaciens mettent en œuvre « sans délai » la sérialisation. Le 19 août, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) adresse une lettre ouverte aux éditeurs et leur demande de mettre en conformité très rapidement leurs programmes pour permettre aux pharmacies de satisfaire aux obligations réglementaires en vigueur sans surcoût pour les officines. L’USPO rappelle que « la profession doit s’engager collectivement dans le dispositif de sérialisation avant la fin de l’année 2021 ». Quant à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), elle réclame de nouveau que la sérialisation ne coûte rien aux officinaux, voire que France MVO prenne en charge tous les frais.
De l’utilité du dispositif
Que doivent alors faire les pharmaciens ? Contrairement à l’idée reçue qu’il « est urgent d’attendre », il est en fait urgent d’agir.
Déjà, la sérialisation ne concerne pas uniquement la contrefaçon de médicaments. Si, dès le début, elle a été présentée comme un outil de lutte contre les contrefaçons, l’article 39 du règlement délégué précise bien que la sérialisation a également pour finalité « le remboursement et la pharmacovigilance ou la pharmaco-épidémiologie ». S’agissant de la contrefaçon, si la construction du circuit des médicaments en France est assurément un succès, la mondialisation de leur production et le développement des trafics de produits de santé ont néanmoins changé la donne. Par exemple, des médicaments volés dans un hôpital ou une pharmacie peuvent être réintroduits dans le réseau officinal, ou bien des trafiquants peuvent se procurer de faux codes de boîtes afin de les vendre à des officines peu vigilantes.
Ensuite, la mise en œuvre de la sérialisation en officine permet de s’assurer du bon fonctionnement des scanners et du système informatique. En effet, la vérification de l’identifiant unique de la boîte de médicaments s’effectue à la fin d’un processus qui permet de contrôler d’abord le code produit, la date de péremption et le numéro de lot. Si l’un de ces trois éléments présente une anomalie, la vérification s’arrête et génère une alerte. L’erreur peut être due au scanner qui « lit » mal les informations ou au logiciel qui les retranscrit de façon erronée. Elle serait passée inaperçue sans la sérialisation. « La sérialisation est un gain de temps pour gérer les rappels de lots, car le système permet d’informer le pharmacien lors de la dispensation que le lot est désactivé parce qu’il a été rappelé. Elle sert à s’assurer que le chaînage est bien fait », souligne Philippe Gendre, project manager à France MVO.
Quant au coût de la sérialisation, il est finalement minime. L’accès standard s’opère via les logiciels des grossistes, des hôpitaux ou des officines. Le répertoire doit contenir des « interfaces programmation » permettant cet accès « au moyen de logiciels appropriés » (règlement délégué). Ces logiciels ne font pas partie du répertoire. Ils sont « extérieurs ». La fourniture ou l’adaptation des logiciels utilisés pour échanger les données avec le répertoire (pour les pharmacies, ce sont les LGO) « n’est pas de la responsabilité de France MVO », explique l’organisme dans un communiqué du 15 septembre. Et de préciser encore : « Si l’accès au répertoire doit être gratuit, en revanche France MVO n’a pas à fournir gratuitement une solution logicielle interne aux utilisateurs. La gratuité de l’accès ne signifie pas que les officines doivent acquérir uniquement les scanners et que le reste doit être fourni gratuitement. La gratuité porte sur la mise à disposition du système de répertoire uniquement ».
Enfin, selon les pharmaciens qui la pratiquent, la mise en œuvre de la sérialisation dans l’officine ne pose aucune difficulté particulière, à condition d’utiliser des scanners de qualité, et n’est pas chronophage puisqu’il suffit d’un seul scan pour récolter toutes les informations sur la boîte de médicament. De plus, le taux d’alertes est aujourd’hui de moins de 0,20 % : ce qui signifie qu’en moyenne une erreur n’est rencontrée qu’au bout de 500 boîtes.
Sanctions et amende
Outre ces arguments, la sérialisation devient un enjeu politique alors que la France doit accéder à la présidence de l’Union européenne en janvier 2022. Le dossier est d’ailleurs en haut de la pile afin d’être réglé au plus vite, soit fin 2021. En effet, pas question de faire figure de mauvais élève au sein de l’UE. Première conséquence : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 va comporter des sanctions, vraisemblablement financières, envers les pharmaciens réfractaires. C’est d’ores et déjà acté. Ensuite, la France pourrait écoper d’une amende de la Commission européenne de 400 ou 800 millions d’euros, selon certaines sources proches du dossier. Or, Bercy n’a pas l’intention de la payer. En clair, le montant de l’amende serait réparti entre les 22 000 officines. Si c’était le cas, cela coûterait bien plus cher aux pharmaciens que la sérialisation…
À RETENIR
– Les autorités pressent les pharmaciens de mettre en œuvre la sérialisation, qui aurait déjà dû être généralisée en février 2019.
– Le partage des coûts de la sérialisation est le principal sujet de crispation entre pharmaciens, éditeurs de LGO et France MVO.
– La France, qui prend la tête de l’Union européenne en janvier 2022, ne peut se permettre d’être en retard sur le dossier, et pourrait se voir infliger des sanctions… qu’elle répercuterait sur les officinaux.
- Prevenar 20, Voltarène, Talzenna… Quoi de neuf côté médicaments ?
- Biosimilaires : 10 milliards d’économies potentielles, un enjeu majeur pour l’officine
- Rémunérations forfaitaires 2024 : il reste deux semaines pour déclarer vos indicateurs
- Quétiapine en rupture de stock : comment adapter la prise en charge des patients ?
- Les médecins étrangers veulent un contrat pérenne
![Bilans de prévention : pas si simples !](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/07/article-defaults-visuel-680x320.jpg)