Philippe Brunet : « L’Europe ne s’oppose pas aux e-pharmacies »
Français et médecin, Philippe Brunet est le « Monsieur AMM » de la Commission européenne. Le chef de l’unité « Produits pharmaceutiques : cadre juridique et autorisation de mise sur le marché » à accepté de nous ouvrir les portes de l’Europe du médicament.
« Le Moniteur » : L’Europe va modifier ses procédures d’AMM pour les médicaments. En quoi va consister cette réforme ?
Philippe Brunet : Il y aura cinq grands axes : accroître la protection de la santé publique en renforçant la pharmacovigilance et en accélérant la mise sur le marché de nouveaux médicaments, préparer l’élargissement de l’Union, renforcer le rôle de l’Europe dans le contexte de la globalisation du point de vue de la compétitivité de l’industrie mais aussi de la concurrence entre « régulateurs », accroître la transparence de notre système d’AMM et, finalement, diminuer le poids administratif de certaines procédures.
L’Europe est-elle suffisamment armée pour évaluer les nouvelles thérapeutiques ?
Très récemment, le président de Merck indiquait que le lancement d’un nouveau médicament coûtait 850 millions de dollars. Dans le cas des nouvelles thérapeutiques, il faut multiplier ce chiffre par deux ou trois. Le premier pays qui va proposer des standards d’évaluation pour les médicaments issus de la thérapie cellulaire ou encore de la pharmacogénomique va les imposer au reste du monde. Si l’Europe n’a pas un poids critique, elle sera obligée de se plier aux critères établis par d’autres. Ce débat est également important du point de vue scientifique. Aujourd’hui, peu d’experts sont capables de comprendre un dossier basé sur une technologie de pointe. D’ailleurs, la plupart d’entre eux sont dans les laboratoires pharmaceutiques… En biotechnologie surtout, les grandes découvertes ne sont ou seront plus le seul apanage des grands laboratoires. Une PME pourra découvrir un produit majeur reposant sur un système d’ingénierie qui ne sera connu que de quelques personnes. Il apparaît donc obligatoire de s’appuyer encore plus sur un système centralisé pouvant avoir recours à l’expertise la plus performante.
L’Europe peut-elle être plus performante en matière de pharmacovigilance ?
La pharmacovigilance est de plus en plus une compétence communautaire, mais qui s’appuie sur des centres nationaux. Une banque de données informatisée commune est actuellement en projet. Elle devrait être opérationnelle avant le premier élargissement de l’Union.
Que vous inspire l’« affaire Bayer » ?
La gestion de la communication ne fut pas des meilleures… L’information de la firme concernant le retrait de la cérivastatine a été donnée semble-t-il en priorité à d’autres personnes que celles qui sont en charge des problèmes de santé, puis, dans un second temps, à l’Agence britannique. Nous allons modifier par voie d’amendement la législation communautaire pour que cela ne se reproduise plus.
Quelle est votre position sur le débat français des médicaments dits « inutiles » ?
Je ne pense pas qu’il y ait des médicaments inefficaces sinon ils ne devraient pas être couverts par une AMM. En revanche, on peut s’interroger sur leur efficacité par rapport à d’autres et ensuite sur le fait qu’ils doivent être ou non remboursés. En fait, le problème vient de la confusion entre efficacité « brute » – car le médicament a une action reconnue et l’arrivée de nouveaux principes actifs ne modifie pas cette donnée – et efficacité « relative », qui, elle, varie en fonction de l’arrivée de spécialités plus performantes.
A quand une harmonisation des prix des médicaments et de leur remboursement ?
Le prix n’est pas de la compétence communautaire, pas plus que le remboursement. Nous ne sommes pas les payeurs. De toute façon, comment imaginer harmoniser les prix et les remboursements au vu des différences de PNB au sein de l’Union ? A contrario, je reste persuadé que l’on pourrait tendre vers une certaine harmonisation du prix « facial », en distinguant celui-ci du prix réel payé par les organismes nationaux de prise en charge.
L’Union peut-elle influer sur les Etats tardant à accorder un prix aux nouvelles spécialités ?
Vous savez, c’est un peu comme une course de haies. La Communauté a passé la première en donnant rapidement des AMM pour des médicaments plus innovants et plus sûrs. Nous allons maintenant nous atteler à la seconde barrière, à savoir la mauvaise mise en vigueur d’une directive dite de « transparence » qui conditionne de manière procédurale la fixation du prix et celle du niveau de remboursement. Nous venons d’obtenir la condamnation de l’Autriche qui avait décidé d’élaborer une liste positive de médicaments excluant du remboursement tous ceux qui n’y figurent pas sans consultation satisfaisante des laboratoires concernés. Les mentalités sont peut-être en train de changer…
La Commission va-t-elle autoriser la vente de médicaments par Internet ?
Rien ne s’oppose au niveau du droit communautaire au développement de « e-pharmacies ». Une grande partie des conditions de leur développement est encore réglementée par des textes nationaux. De toute manière leur développement éventuel sera fonction, in fine, de l’existence d’un besoin ou non de la part des consommateurs et de la société en général. Et les conditions de ce besoin sont loin d’être identiques dans les quinze Etats membres, que ce soit en terme de nombre de pharmacies existantes, de taille du pays, d’habitudes culturelles locales…
Le problème des importations parallèles ne va-t-il pas s’exacerber avec l’élargissement ?
Les importations parallèles sont une manifestation normale de la libre circulation des marchandises. Parler d’importations parallèles revient à parler de différentiels de prix, et je vous renvoie à la notion de prix « facial » plus ou moins harmonisé que je viens d’évoquer. Dans le cadre de l’élargissement, la Communauté mettra vraisemblablement en place une période transitoire afin de contenir ces importations parallèles par le biais de règles spécifiques.
* Dans le cadre du Club santé qui s’est tenu les 6, 7 et 8 décembre dernier à Bruxelles.
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