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Médecine personnalisée Du sur mesure

Publié le 18 avril 2015
Par Aude Rambaud
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La médecine personnalisée gagne du terrain dans des domaines thérapeutiques tels que la cancérologie, les maladies rares ou même l’asthme. Elle ne concerne encore qu’une fraction de patients mais offre de belles promesses pour améliorer l’efficacité des soins. Voyage à mi-chemin entre le présent et l’avenir.

Traiter un sous-type de cancer, de mucoviscidose, de myopathie de Duchenne ou d’asthme parmi des dizaines. Autrement dit, exclure les patients chez qui un traitement ne sera pas efficace, voire dangereux, c’est ça la médecine personnalisée. Ou, dit autrement, c’est adapter la prise en charge au profil génétique et moléculaire de la maladie et du sujet. Le terme « personnalisé » est à ce titre un peu pompeux. Il ne s’agit pas exactement d’une médecine à l’échelle individuelle mais plutôt à l’échelle d’un groupe de malades. Nombreux sont ceux qui préfèrent d’ailleurs le terme de « médecine de précision » ou « médecine stratifiée ». Elle permet une efficacité accrue des traitements, moins d’effets indésirables, et un gain de temps et d’argent dans la prise en charge. Cette nouvelle approche est potentiellement prometteuse dans plusieurs domaines thérapeutiques comme le cancer ou les maladies rares, mais également l’infectiologie, l’asthme et peut être bientôt la maladie d’Alzheimer.

20 à 30 % des tumeurs solides pourraient être traitées

Le cancer est le chef de file de la médecine personnalisée depuis l’arrivée de traitements ciblés efficaces contre des altérations génétiques particulières des cellules tumorales. Une vingtaine de ces médicaments sont aujourd’hui disponibles en France contre des cancers du sein, de l’estomac, du côlon, du poumon, des leucémies myéloïdes chroniques, des leucémies aiguës lymphoblastiques ou encore des tumeurs stromales gastro-intestinales. Et ce chiffre est en pleine croissance avec des dizaines d’essais en phase II et III en cours. En 2011, 55 000 patients ont bénéficié d’un examen des caractéristiques moléculaires de leur tumeur afin de recevoir l’une de ces thérapies ciblées. Parmi eux, 20 000 étaient atteints d’un cancer du poumon pour rechercher des mutations de l’EGFR (contre seulement 2667 en 2009). Et environ 10 % présentaient une mutation qui les rendait éligibles à un traitement par géfitinib (Iressa) en monothérapie.

Les chercheurs estiment que 20 à 30 % des tumeurs solides pourraient en fait être traitées par une thérapie ciblée. Aujourd’hui, le défi n’est plus d’identifier une seule mutation mais plutôt de passer en revue le génome tumoral pour trouver l’une des thérapies ciblées possibles. « Tous les types de cancers peuvent être concernés par ces thérapies ciblées via des voies de signalisation communes qui peuvent, de fait, bénéficier de l’effet de la même molécule », clarifie Antoine Hollebecque, cancérologue à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne).

Au moins deux programmes français évaluent actuellement la faisabilité de cette médecine personnalisée en routine et le bénéfice pour les patients : SHIVA à l’Institut Curie (Paris) et MOSCATO à Gustave-Roussy. L’objectif est de traiter le patient selon le profil moléculaire de la tumeur et non sa localisation. Dans l’étude SHIVA, une cinquantaine de gènes sont analysés grâce au séquençage à haut débit. Une analyse possible chez environ 85 % des patients avec des résultats disponibles en moins de 4 semaines après la biopsie nécessaire pour cet examen. Forts de cette analyse, les investigateurs regardent si le patient peut bénéficier d’une des 11 thérapies ciblées proposées dans cet essai, indépendamment de l’indication figurant dans l’AMM du médicament. L’objectif à terme est de comparer le bénéfice des traitements ciblés par rapport au traitement standard. Les premiers résultats d’efficacité seront divulgués en juin 2015 à l’ASCO, le célèbre congrès américain de cancérologie.

Dans l’essai MOSCATO, il est proposé aux patients toutes les thérapies ciblées disponibles ou en développement, soit plus de 70 au total. Environ 750 personnes sont déjà incluses sur les 900 prévues et les premiers résultats montrent que 20 % d’entre elles sont éligibles à un de ces traitements. A ce jour, l’efficacité est de l’ordre de 15 % de réponse partielle à ces médicaments ciblés. Un résultat qui peut paraître décevant mais pourtant bien meilleur que les 5 à 10 % obtenus avec les traitements conventionnels, sachant que les patients inclus en sont parfois à leur troisième ligne de traitement.

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« Ces études pourraient prouver l’efficacité de la médecine personnalisée en routine en cancérologie, explique Christophe Letourneau, coordonnateur de l’essai SHIVA. Les résultats des différents essais en France mais également à l’étranger indiqueront d’ici trois à quatre ans s’il est pertinent d’étendre cette stratégie à tous les patients avec séquençage systématique du génome tumoral ». Si c’est le cas, « nous serons prêts et capables de le faire car les coûts du séquençage ne font que diminuer et les techniques progressent rapidement, estime Antoine Hollebecque. On pourrait même imaginer une machine qui ferait cela de façon automatisée et indiquerait en fonction des anomalies génétiques quelle combinaison de molécules utiliser pour un effet majeur ! »

Beaucoup de travail pour les maladies orphelines

La médecine stratifiée s’applique parfaitement aux maladies rares monogéniques qui résultent de différentes mutations sur un même gène. Autant de mutations qui constituent des sous-groupes de patients. Deux traitements ciblés permettent par exemple de traiter certaines personnes atteintes de mucoviscidose ou de la myopathie de Duchenne, selon leur mutation sur le gène CFTR ou de la dystrophine.

Depuis 2012, l’ivacaftor (Kalydeco) est indiqué chez des patients atteints de mucoviscidose porteurs d’au moins une copie de la mutation G551D sur le gène CFTR, soit moins de 2 % d’entre eux. Cette molécule restaure ou améliore la fonction de la protéine mutée à la surface des cellules. D’autres médicaments de ce type sont en développement. C’est le cas du lumacaftor qui cible la mutation la plus fréquente F508del qui concerne environ 75 % des patients. Il s’agit cette fois d’aider la protéine CFTR à atteindre la surface des cellules. Des essais testent également ces molécules en association. Il faut dire qu’il y a du travail dans ce domaine : plus de 1 600 mutations différentes ont été décrites sur le gène CFTR avec des conséquences variables pour la protéine ! Pour avancer, une base de données CFTR2 recense les données génétiques et cliniques de près de 40 000 patients provenant de 23 registres nationaux ou cliniques. Près de 160 mutations représentant 90% des patients y sont décrites et offrent de nombreuses cibles thérapeutiques en perspective d’un traitement personnalisé pour chacun d’entre eux.

Une autre molécule a été testée dans cette maladie et cible encore d’autres mutations qui interrompent précocement la production de la protéine (environ 10 % des patients). Il s’agit de l’ataluren. Mais celle-ci a finalement obtenu son autorisation de mise sur le marché dans le traitement de la myopathie de Duchenne. Le médicament permet de passer outre un « signal stop » pour achever la synthèse de la dystrophine et produire une protéine fonctionnelle. Cette thérapie concerne environ 13% des malades. « Cette approche, appelée “saut d’exon”, est très prometteuse pour le futur car de nombreuses maladies monogéniques résultent de la présence de mutations abrégeant la synthèse d’une protéine (codon-stop). Des centaines de maladies sont potentiellement concernées », estime Ségolène Aymé, fondatrice du site Orphanet. La médecine stratifiée ne fait donc que commencer pour les maladies rares résultant de mutations et remaniements génétiques. « Cette voie est amenée à largement se développer dans les années à venir mais le coût des traitements est exorbitant. Il faut donc continuer à miser en parallèle sur des molécules plus anciennes pour découvrir de nouvelles indications », ajoute Ségolène Aymé.

Asthme et hépatite C sont également concernés

« Il n’y a pas besoin de médecine de précision dans chaque situation, cela dépend des aires thérapeutiques. Certaines maladies se soignent déjà bien. Pour d’autres, cette approche est très pertinente », explique Catherine Lassale, directrice des affaires scientifiques au Leem (voir encadré p. 31). Plusieurs indications ont en effet vu le jour. C’est le cas pour l’hépatite C et l’asthme. Et il est fort probable qu’à l’avenir d’autres pathologies profitent de cette stratification : la maladie d’Alzheimer, les maladies articulaires ou encore inflammatoires comme le lupus.

Depuis 2011, un test génétique permet de prédire la réponse au traitement antiviral dans l’hépatite C combinant ribavirine et interféron pour une hépatite chronique active au virus C de génotype1. Près de 4 500 personnes ont été testées en 2013. Néanmoins ce chiffre est en chute libre depuis l’arrivée des antiviraux directs dont le sofosbuvir est le chef de file.

L’asthme est également entré dans le giron des maladies dites stratifiées avec l’omalizumab. Cet anticorps monoclonal fixe les IgE circulantes et empêche leur ancrage sur les récepteurs des cellules cibles. Il s’adresse à un sous-groupe de patients souffrant d’un asthme allergique sévère et mal contrôlé dont le taux d’IgE totales est compris entre 30 et 700 UI/ml. Cela n’est que le début et l’asthme est en train d’entrer dans l’ère de la médecine personnalisée avec l’identification de sous-groupes de patients sur le plan des manifestations cliniques et de la biologie de leur asthme. De nouvelles molécules ciblées devraient arriver sur le marché dans les années qui viennent, en particulier pour certains asthmes inflammatoires.

La maladie d’Alzheimer pourrait également bientôt faire partie de ces maladies stratifiées à en croire les essais cliniques en cours. En développant des approches ciblées d’anticorps monoclonal antiprotéine bêta-amyloïde, les laboratoires espèrent pouvoir bloquer la progression de la maladie à un stade précoce. Ces médicaments sont actuellement testés chez des patients à risque de développer la maladie et identifiés grâce à des tests radiologiques. L’IRM qui permet de suivre l’évolution des plaques amyloïdes servira alors de marqueur pour identifier les patients répondeurs.

Une trentaine de tests de pharmacogénétique disponibles

On appelle pharmacogénétique l’étude des facteurs génétiques individuels associés à la variabilité de la réponse à un traitement médicamenteux pour choisir et adapter la thérapie. Or, les laboratoires pharmaceutiques recherchent tous des marqueurs prédictifs de réponse à leurs traitements. Et ceci au moment même du développement des médicaments. « Les essais cliniques sont devenus tellement chers et complexes qu’il n’est pas question pour un laboratoire de ne pas cibler les patients répondeurs. En cancérologie par exemple, Roche effectue cette recherche de marqueur simultanément en développant ses médicaments. D’autres laboratoires nouent des partenariats avec des sociétés spécialistes en diagnostic. Nous sommes en train de voir émerger des marqueurs de toutes sortes pour un bénéfice/risque des traitements optimal », clarifie Catherine Lassale.

Les laboratoires de pharmacogénétique sont particulièrement impliqués dans cette activité. Ils développent et disposent d’une trentaine de tests de pharmacogénétique visant à prédire la réponse ou la tolérance à certains traitements en fonction du profil génétique du patient. Ces tests permettent de détecter un polymorphisme particulier sur des gènes associés à l’assimilation ou au contraire à la transformation-dégradation de la molécule active. C’est le cas pour le traitement par 5-FU en cas de cancers colorectaux ou encore de cancer du sein. L’analyse du gène codant une enzyme de dégradation du 5-FU permet d’évaluer la tolérance à ce traitement. Les centres peuvent proposer systématiquement ce test ou seulement en cas de signes d’appel de toxicité. Plus de 3 500 personnes ont bénéficié de ce test en France en 2013. Autre exemple avec l’analyse d’un gène HLA dont un certain polymorphisme est associé à une hypersensibilité à l’abacavir utilisé contre le VIH. Cette fois, la détection est systématique avant d’entamer le traitement.

« Cette activité de pharmacogénétique est croissante mais il est utopique d’imaginer que l’on pourra à l’avenir prédire la réponse à n’importe quel médicament. Le nombre de tests disponibles augmente faiblement car il repose sur l’identification de gènes clés dans la réponse au médicament. Or celle-ci est le plus souvent multifactorielle et il est rare de pouvoir mettre au point un test unique fortement prédictif », estime Nicolas Picard, responsable du centre de pharmacogénétique du CHU de Limoges.

LA PRISE EN CHARGE PEUT AUSSI ÊTRE PERSONNALISÉE

La médecine personnalisée va jusqu’à adapter le traitement au comportement du patient. Imaginer un traitement annuel pour les patients hypertendus peu compliants serait par exemple un réel progrès mais « cette personnalisation passera surtout à l’avenir, par la télésurveillance ou médecine connectée », prédit Catherine Lassale, directrice des affaires scientifiques au Leem.

Des expérimentations ont déjà eu lieu pour surveiller à distance l’insuffisance rénale ou encore l’insuffisance cardiaque afin d’adapter au plus juste les traitements, d’anticiper des complications, de réagir en cas d’échappement thérapeutique. « Cette médecine connectée va émerger très rapidement. Beaucoup plus vite que de nouveaux médicaments ciblés car les technologies sont prêtes. Il faut juste l’acceptabilité du corps médical, garantir la confidentialité des données transférées. Dans 10 ans, tous ceux qui en auront envie seront connectés pour suivre leur pathologie au plus près pour des soins plus efficaces. C’est la prise en charge de précision », selon Catherine Lassale.

Une expérimentation a par exemple été coordonnée au CHU de Grenoble chez des insuffisants chroniques non dialysés. Ils ont été formés à l’utilisation d’une application permettant de transmettre des données cliniques facilement identifiables (HTA, œdèmes, poids, etc.). Celles-ci sont envoyées à une centrale de télésurveillance et accessibles au professionnel de santé. Des alertes sont déclenchées en cas de paramètre inhabituel ou de risque pour le patient. Un autre projet a actuellement lieu au CHU de Nancy, cette fois pour les insuffisants cardiaques. Un boîtier de télésurveillance y est en cours de développement. Il devrait permettre de suivre plusieurs paramètres cardiaques et rénaux après une hospitalisation pour un premier épisode d’insuffisance cardiaque. L’objectif est d’adapter rapidement et efficacement le traitement dans les mois qui suivent pour réduire le taux de décès et de réhospitalisation. Installé au domicile du patient, ce boîtier va être capable d’analyser plusieurs marqueurs cardiaques et rénaux à partir d’une goutte de sang prélevée sur son doigt. Les données seront transférées vers un centre de télésurveillance et en cas de nécessité, le médecin traitant adaptera le traitement avec l’aide d’un système expert d’aide à la décision médicale

PRÉDIRE SES PROPRES MALADIES

La médecine prédictive est la forme la plus médiatisée de la médecine personnalisée. Il devient possible de calculer le risque de développer certaines maladies dans les années qui viennent à partir du profil génétique d’un patient. C’est particulièrement le cas pour le cancer du sein avec l’identification des mutations sur les gènes BRCA1 et BRCA2 qui accroissent de plus de 50% le risque de développer un cancer du sein ou de l’ovaire, mais également pour les gènes MMR et APC pour le cancer colorectal. Ces tests sont proposés dans les familles touchées par ces formes héréditaires. Les 20 % restants étant plus éclatés et consacrés à la recherche d’autres gènes associés à des tumeurs rares.

En France, depuis 2003, environ 10 000 femmes ont été dépistées positives pour BRCA1/2 alors qu’elles n’avaient pas développé le cancer. Elles doivent alors respecter un calendrier de suivi très rigoureux pouvant inclure l’ablation des ovaires à la fin des grossesses désirées ou une mastectomie.

Le nombre de personnes candidates à ces tests prédictifs croît chaque année, en particulier pour le sein, mais la quantité de tests prédictifs disponibles restera probablement assez stable dans les années qui viennent. « Les gènes concernés doivent être associés à un risque élevé de cancer car le suivi est ensuite très lourd. Beaucoup de nouveaux gènes associés à des cancers sont découverts, mais ils sont faiblement ou moyennement associés au risque de développer la maladie. Ils ne sont donc pas exploitables en terme de médecine prédictive », explique Frédérique Nowak, responsable du département biologie, transfert et innovations à l’Institut national du cancer.

Mais qui sait si, à l’avenir, les ordinateurs ne parviendront pas à calculer le risque de développer toute une liste de maladie à partir du génome entier d’un patient ? Les progrès techniques et la diminution des coûts de séquençage rendent en tout cas cette hypothèse plausible.