Les thérapies numériques prennent corps
Zanadio, HelloBetter, Oviva, Kranus… Le nom de ces thérapies numériques (DTx) en plein essor en Allemagne n’a pas encore franchi les frontières de la France, où aucune DTx n’est actuellement remboursée par l’Assurance maladie. Mais la donne pourrait changer rapidement.
Les thérapies numériques (DTx) délivrent des interventions médicales directement aux patients à l’aide de logiciels fondés sur des preuves et évalués cliniquement, afin de traiter, de gérer ou de soigner un large éventail de maladies et de troubles. » Derrière cette définition des DTx, donnée par la Digital Therapeutics Alliance, se cache un nouvel écosystème en pleine émergence. En France, il y aurait actuellement une trentaine d’acteurs positionnés sur ce marché. Mais aucun dispositif médical numérique à visée thérapeutique n’est encore entré dans la prise en charge anticipée numérique (Pecan) instaurée en mars 2023. Entre cinq et dix DTx devraient toutefois prendre cette voie en 2024.
Pour espérer intégrer la Pecan, les postulants doivent se soumettre à un véritable parcours du combattant. Ils doivent obtenir le marquage CE, qui est la déclaration de conformité de l’Union européenne exigée pour les dispositifs médicaux, le certificat de conformité aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité délivré par l’Agence du numérique en santé (ANS), ainsi que la reconnaissance par la Haute Autorité de santé (HAS) de la présomption d’innovation à travers un bénéfice clinique ou un progrès dans l’organisation des soins sur la base d’une évaluation clinique. « Ce nouveau mode de remboursement constitue une formidable opportunité pour les start-up qui portent ces thérapies numériques, reconnaît Alexandre Prihnenko, directeur général France d’Oviva et copilote de la task force DTx de France Biotech. Il va en effet leur permettre d’accéder plus rapidement à une prise en charge dérogatoire d’un an par l’Assurance maladie, sur prescription médicale, avant même d’avoir achevé le processus d’évaluation clinique. Charge à elles de le finaliser avant la fin de cette période dérogatoire pour obtenir un remboursement de droit commun. »
Pour comprendre les enjeux liés à ces DTx, il faut regarder du côté de l’Allemagne. « Outre-Rhin, une cinquantaine d’applications figurent déjà dans le répertoire DiGA [digital health applications, NdlR] de l’Assurance maladie lancé dès 2020 par le ministère de la Santé, explique Stéphane Tholander, vice-président de France Biotech et cofondateur d’AppThera et Agora Health. Grâce à ce dispositif, qui a servi de modèle à la Pecan, près de 400 000 patients se sont déjà vu prescrire en trois ans des DTx dans une dizaine d’aires thérapeutiques portant essentiellement sur des interventions de courte durée et des pathologies chroniques liées au mode de vie. » La prise en charge oscille entre 210 et 230 € par patient et par trimestre.
Santé mentale et douleurs chroniques
La moitié de ces applications, telles que HelloBetter et Deprexis, sont positionnées sur le champ de la santé mentale : insomnie, dépression, anxiété, stress, etc. Les douleurs chroniques constituent un autre terrain de jeu privilégié, avec Vivira pour la lombalgie, Kalmeda pour les acouphènes, Endo-App pour l’endométriose… Dans la sphère des maladies métaboliques, un tiers des prescriptions de généralistes portent sur Zanadio, une application consacrée à l’obésité. Sur cette même indication, Oviva Direkt a déjà été prescrite à plus de 15 000 patients. « Notre application est conçue pour les personnes présentant un indice de masse corporelle (IMC) compris entre 30 et 40, confie Alexandre Prihnenko. Elle leur propose un programme personnalisé visant à induire un changement de comportement qui se traduira par une perte de poids. » Pour y parvenir, les patients disposent de modules sur la compréhension des enjeux liés à leur maladie, la remise en mouvement à travers l’activité physique, ainsi que des conseils pour mieux dormir et mieux manger. L’étude clinique réalisée auprès de 160 patients a montré que les personnes suivies perdaient environ 3 % de leur poids les trois premiers mois, et jusqu’à 5 % en six mois.
Positionnée sur le trouble érectile, l’application Edera développée par Kranus a, elle, été prescrite à plus de 11 000 patients par 800 urologues en Allemagne. « Elle embarque une thérapie de 12 semaines avec des exercices fondés essentiellement sur de l’activité physique, comme le renforcement du plancher pelvien ou le cardiovasculaire, confie Charlotte Puechmaille, directrice de Kranus Health France. Les patients sont également invités à pratiquer des exercices de thérapie sexuelle et mentale afin de renforcer leur confiance en soi. » L’étude clinique réalisée sur 241 patients a enregistré une amélioration significative sur la fonction érectile, la qualité de vie du patient, et sa capacité à prendre en charge sa maladie à l’issue du programme.
Les Français en lice
En préparation de son dossier de remboursement, Kranus devrait faire partie des premiers acteurs à intégrer la Pecan cette année. Elle devrait être accompagnée de quelques start-up françaises, dont Butterfly Therapeutics. « Cette jeune pousse est en discussion avancée pour entrer dans la Pecan et la liste des produits et prestations remboursables (LPPR), confirme Fabrice Denis, président de l’Institute for Smarthealth (INeS). Elle a conçu Bliss DTx, un casque de réalité virtuelle qui immerge les patients dans un univers sonore et visuel afin de réduire le niveau de douleur ressenti pendant une opération chirurgicale, une biopsie, la pose d’un Port-à-cath, ou pendant des soins douloureux sur des plaies ou des brûlures. L’étude randomisée a mis en évidence que cette solution faisait aussi bien que le protoxyde d’azote, mais sans les effets secondaires et à moindre coût. »
De son côté, Novesia ambitionne d’investir le marché des douleurs chroniques qui touchent en France 1 adulte sur 5. « L’objectif de notre application n’est pas de diminuer la douleur, c’est d’aider les patients à mieux vivre avec afin de réduire ses répercussions sur le stress ou l’insomnie…, explique Alice Corteval, directrice opérationnelle de Novesia. Après avoir détaillé ses symptômes, le patient se voit proposer un parcours de trois mois renouvelables, fondé sur de l’éducation thérapeutique, des approches de thérapie cognitivo-comportementale, et des activités physiques qui vont lui permettre de se réapproprier son corps à travers de l’automassage ou des exercices de respiration en mouvement. » Novesia est en train de finaliser l’obtention du marquage CE, et devrait démarrer son protocole de validation clinique en septembre prochain auprès de 400 patients.
Des atouts à faire valoir
Pour Alexandre Prihnenko, les thérapies numériques ont des atouts à faire valoir pour s’imposer dans les parcours de soins. « Dans un contexte d’explosion des maladies chroniques, les DTx offrent une solution alternative aux prises en charge existantes qui sont très majoritairement médicamenteuses ou chirurgicales, mais qui ne suffisent plus », estime-t-il. « Et au-delà des bénéfices immédiats démontrés dans les études cliniques, la plupart de ces thérapies ont aussi vocation à agir sur le volet prévention en modifiant le comportement pour apprendre à mieux manger, à mieux bouger, à mieux dormir… », ajoute Stéphane Tholander.
Pour Fabrice Denis, l’émergence de ces thérapies numériques dépendra toutefois de plusieurs facteurs. « Il faudra qu’elles arrivent à apporter la preuve de leur efficacité médicale à travers des études randomisées. Or, aujourd’hui, 80 % des DTx n’ont pas atteint un niveau de preuve suffisant, rappelle-t-il. Elles vont donc devoir investir dans de coûteux essais cliniques. Or, dans un sondage de l’INeS réalisé en décembre dernier, il ressortait que 80 % des start-up en santé allaient être à court de trésorerie dans les dix mois. » La Pecan pourrait aussi, selon lui, afficher une autre limite. « Sa durée est trop courte, regrette-t-il. Il faudrait l’allonger d’un an afin que les acteurs puissent mener leurs études cliniques sereinement, tout en leur donnant de la visibilité sur les prix. Des dispositifs d’information, de formation et d’incitation à la prescription devraient également être envisagés pour les généralistes, les spécialistes et les équipes médicales des établissements de santé, car les médecins ne prescrivent que ce qu’ils connaissent. » Dans ce nouvel écosystème, les pharmaciens ont aussi un rôle à jouer. « Ils délivreront certaines DTx à l’officine, et pourraient même se voir accorder le droit de les prescrire pour traiter les troubles du sommeil, l’obésité ou le stress à l’heure où 20 % des patients n’ont plus de médecin traitant », pronostique Fabrice Denis.
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