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Le flou règne autour du remboursement

Publié le 25 octobre 2019
Par Yves Rivoal
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L’ordonnance du Conseil d’Etat qui a confirmé la décision de l’Assurance maladie de ne plus rembourser les téléconsultations réalisées via la plateforme Livi n’a pas rendu les choses plus claires pour autant. Le flou continue de régner sur la question du remboursement des téléconsultations. Avec des acteurs qui appliquent une lecture à géométrie variable de l’avenant 6 à la convention médicale.

Un an après leur entrée dans le droit commun, les téléconsultations peinent à décoller. Au 15 septembre, l’Assurance maladie en avait remboursé 60 000. Des chiffres bien en deçà de l’objectif fixé par le gouvernement qui tablait sur 500 000 actes à la fin du premier exercice. Pour Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et l’organisation des soins de l’Assurance maladie, ce retard à l’allumage n’a rien d’inquiétant. « Le déploiement des solutions de téléconsultation dans les cabinets des médecins libéraux et les organisations territoriales de santé ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Il faut aussi du temps pour que les patients apprennent à connaître ce nouveau mode de consultation. » Cette sérénité s’appuie aussi sur la montée en puissance observée ces 6 derniers mois. « Depuis le mois de mars, le nombre de téléconsultations a été multiplié par 3 pour atteindre une moyenne de 3 300 téléconsultations par semaine. » Et pour accélérer le développement des usages, Annelore Coury mise beaucoup sur les pharmaciens, qui peuvent eux aussi entrer dans la danse après la publication au Journal officiel le 6 septembre de l’avenant 15 à la convention nationale pharmaceutique. « L’accord conventionnel interprofessionnel (ACI), que nous venons de signer avec les syndicats représentatifs de l’ensemble des professions de santé pour favoriser le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), devrait lui aussi accentuer la progression , assure-t-elle. Ces nouvelles organisations ont notamment pour objectif prioritaire de travailler sur la prise en charge des soins non programmés. A ce titre, les CPTS pourraient constituer un levier important pour le développement de la téléconsultation. »

Un effort d’explication encore nécessaire

Mais pour que l’ensemble des acteurs et les patients s’emparent de ce nouveau mode de consultation, il faudra mettre un terme au flou qui continue de régner autour de la question du remboursement des téléconsultations. Car même si l’ordonnance du 29 mai du Conseil d’Etat a clarifié un certain nombre de points en confirmant le refus de l’Assurance maladie de rembourser les consultations réalisées via la plateforme Livi, tout le monde ne semble pas être encore sur la même longueur d’onde. Du côté de l’Assurance maladie, les choses sont claires. « Nous appliquons à la lettre l’avenant 6 à la convention nationale des médecins libéraux qui impose que, pour être remboursée, une téléconsultation doit s’inscrire dans le cadre du parcours de soins coordonné afin de garantir une prise en charge de qualité. Il faut donc qu’elle soit réalisée par le médecin traitant ou par un médecin connu du téléconsultant. Ce point a d’ailleurs été validé par l’ensemble des partenaires conventionnels », rappelle Annelore Coury.

L’Assurance maladie prend également en compte les cas d’exceptions qui prévoient, notamment, que lorsqu’un patient ne dispose pas de médecin traitant ou que celui-ci n’est pas disponible dans un délai compatible avec son état de santé, le médecin téléconsultant peut alors ne pas être connu du patient. « Mais la téléconsultation doit alors être réalisée dans le cadre d’une organisation territoriale (une maison de santé pluriprofessionnelle, un centre de santé, une CPTS ou une équipe de soins primaires) qui aura aussi pour mission d’aider le patient à réintégrer le parcours de soins en l’orientant vers un médecin traitant », précise Annelore Coury.

Les exceptions à la rescousse

En dehors de ce cadre, pas de remboursement d’après l’Assurance maladie. « Et nous faisons régulièrement des contrôles afin de nous assurer que les règles sont bien respectées, confie Annelore Coury. Nous vérifions le nom du médecin, sa localisation, s’il connaît le patient… C’est d’ailleurs à la suite de contrôles qu’a été prise la décision de ne plus rembourser les téléconsultations de la plateforme Livi qui ne respectait pas le principe de territorialité, avec des médecins salariés qui effectuaient des téléconsultations dans toute la France alors qu’ils étaient physiquement sur une plateforme dans le Val-de-Marne, à Créteil. »

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Pour Jean Von Polier, directeur téléconsultation de Docavenue, qui a déjà déployé sa plateforme auprès de 200 pharmacies, l’application à la lettre de l’avenant 6 à la convention médicale rend quasiment impossible les téléconsultations avec un médecin qui n’est pas connu du patient. « Tout simplement parce que les médecins qui ont fait la démarche d’adhérer à une organisation territoriale de santé restent très minoritaires. Et ils ont d’autres choses à faire que de déposer un dossier devant une commission paritaire locale pour obtenir l’autorisation de faire des téléconsultations. » Comme la plupart des acteurs, Docavenue s’engouffre donc dans les exceptions contenues dans l’avenant 6. « Ce texte préserve en effet un certain équilibre en fixant un cadre qui devrait empêcher les abus, tout en offrant suffisamment de souplesse pour permettre le décollement des usages. Il faut en effet dans un premier temps laisser les médecins générer du volume. Le jour où ils réaliseront une centaine de téléconsultations par mois, ils rejoindront les organisations territoriales car ce mode d’exercice représentera alors une part non négligeable de leur activité. »

La proximité au cœur des stratégies

Docavenue a donc opté pour un mode de fonctionnement qui respecte l’esprit du texte. « Les 1 000 médecins de notre plateforme sont tous des praticiens libéraux des territoires qui exercent physiquement en cabinet ou en centre de santé , assure Jean Von Polier. Ils ne sont donc pas salariés de Docavenue et nous ne leur imposons aucun créneau horaire de téléconsultation. »

Sur la plateforme, les praticiens sont également classés par proximité géographique afin de proposer au patient les médecins les plus proches. « Actuellement, nous couvrons 100 % du territoire, mais nous sommes nous aussi confrontés aux mêmes problèmes de désertification médicale dans les zones sous dotées. Dans ce cas, le premier médecin disponible en ligne peut être situé à une centaine de kilomètres », confie Jean Von Polier. Grâce à ce dispositif, Docavenue a vu 99 % de ses téléconsultations remboursées. « Comme en cabinet, c’est le médecin consulté qui déclenche le remboursement par la Caisse nationale de l’assurance maladie en cochant la case urgence », précise-t-il.

Medadom, qui équipe une quarantaine de pharmacies, joue aussi la carte de la proximité en limitant pour le moment le champ de ses téléconsultations à l’Ile-de-France, avant de s’étendre prochainement sur le territoire national. « Nos 50 médecins sont tous en exercice mixte sur Paris ou en région parisienne , indique Nathaniel Bern, l’un des co-fondateurs. Ils travaillent au sein d’organisations territoriales de santé : maisons de santé, centres de santé et CPTS. Grâce à cette logique territoriale, toutes nos téléconsultations ont jusqu’à présent été remboursées. » Chez Livi, qui fournit sa solution à une quinzaine de pharmacies pilotes du groupement Pharmactiv, l’ordonnance du Conseil d’État s’est traduite par une inflexion de la stratégie comme le confirme Maxime Cordier, directeur des partenariats. « Nos 40 médecins salariés du centre de santé que nous avons créé il y a 1 an à Créteil travaillent pour nous à temps partiel car ils ont tous une activité en cabinet. Nous ne sollicitons donc le remboursement que dans le Val-de-Marne. Mais nous mettrons aussi prochainement notre technologie et notre expérience en soin digital à la disposition d’organisations qui cherchent une solution pour renforcer l’accès au soin dans leurs territoires en lien avec le parcours de soins et l’avenant 6. »

Un assouplissement des règles à venir

Lors d’une réunion le 4 octobre avec les partenaires conventionnels, l’Assurance maladie a apporté des précisions sur un point qui méritait d’être éclairci : le cadre de la territorialité. « Pour qu’une téléconsultation soit remboursée, le médecin doit exercer dans le département ou la région du patient, de manière à ce que ce dernier puisse consulter ce médecin en présentiel, à la suite de la téléconsultation, si la situation l’exige », confie Sophie Sergent, présidente de la commission pharmacie clinique et exercice coordonné de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). A la lumière des premiers retours d’expérience, le dispositif conventionnel pourrait aussi évoluer. « Nous allons engager dans les prochains mois des discussions avec nos partenaires afin de voir dans quelle mesure il pourrait être possible, à titre expérimental, de déroger à la règle qui impose d’avoir déjà vu le médecin téléconsultant. Mais ces éventuelles dérogations ne devront en aucun cas remettre en question la qualité de la prise en charge du patient », annonce Annelore Coury.

Pour Nathaniel Bern, la démarche va dans le bon sens. « La demande de soins non programmés figure dans le cadre des exceptions alors qu’elle correspond à la réalité du terrain. Et tout le monde le sait puisque l’on estime à 200 000 le nombre de téléconsultations non remboursées. Je suis persuadé qu’il est possible de trouver un consensus entre tous les acteurs pour que ces téléconsultations non programmées intègrent le parcours de soins coordonné. » Sophie Sergent est sur la même longueur d’onde. « Il ne faudrait effectivement pas que la réglementation se traduise par un développement important des téléconsultations non remboursées et l’instauration d’une télémédecine à 2 vitesses , observe-t-elle. Mais il faut laisser du temps aux différents acteurs de s’approprier ce nouveau mode d’exercice. Et lors des prochaines réunions dans les commissions paritaires, nous verrons dans quelle mesure il faut faire évoluer le système. Mais comme nous le faisons toujours, cela se fera en accord avec toutes les parties prenantes et sans remettre en cause le consensus autour du parcours de soins coordonné. »

FAITES VOS COMPTES

–  Aide à l’équipement : forfait de 1 225 € versé par l’Assurance maladie la première année, puis 350 € les années suivantes.
–  Temps passé : 200 € pour 1 à 20 consultations par an, 300 € jusqu’à 30 consultations et 400 € au-delà.
–  Modalités de règlement : rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) à n + 1.

À RETENIR


•  Pour être remboursée, une téléconsultation doit s’inscrire dans le cadre du parcours de soins coordonné afin de garantir une prise en charge de qualité. Il faut donc qu’elle soit réalisée par le médecin traitant ou par un médecin connu du téléconsultant.

•  Le médecin doit exercer dans le département ou la région du patient, de manière à ce que ce dernier puisse consulter ce médecin en présentiel, à la suite de la téléconsultation, si la situation l’exige.

•  L’Assurance maladie prend également en compte les cas d’exception lorsqu’un patient ne dispose pas de médecin traitant ou que celui-ci n’est pas disponible dans un délai compatible avec son état de santé.

•  La demande de soins non programmés figure dans le cadre des exceptions alors qu’elle correspond à la réalité du terrain.

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