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« J’ai créé une association pour proposer des téléconsultations »

Publié le 24 septembre 2022
Par Favienne Colin
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Interpellé par le nombre de patients sans médecin traitant, qui refusent de se rendre aux urgences, Khalil Kandara, pharmacien adjoint, s’est appuyé sur une première démarche de sa titulaire pour fédérer les officinaux de Haut-Bugey Agglomération (Ain) autour d’un projet de téléconsultation. Leur adhésion au sein de ce désert médical est aujourd’hui quasi unanime.

Depuis fin avril, 16 des 20 officines de l’agglomération du Haut-Bugey, autour d’Oyonnax (Ain), sont équipées d’une même solution de téléconsultation. Mais surtout, fin mai, sept médecins avaient déjà accepté de leur réserver des créneaux, deux s’étaient même déjà formés à l’outil. Pour en arriver là, il a fallu de l’énergie et une certaine force de conviction. « Ma titulaire, Gabrielle Gross, à la tête du Syndicat des pharmaciens de l’Ain, au sein de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, a été démarchée par les prestataires de téléconsultation pendant la crise et elle ne trouvait pas équitable le fait que seules les pharmacies disposant de moyens suffisants puissent s’équiper. Nous sommes dans un désert médical, on risque le détournement de clientèle. D’où son idée d’un projet commun entre pharmacies pour établir un cahier des charges calé sur celui de l’Assurance maladie en étant respectueux du parcours de soins », se souvient Khalil Kandar­a­, adjoint depuis novembre 2020 dans la pharmacie de la commune d’Arbent (Ain). « De mon côté, sur le terrain, je trouvais problématique de prendre en charge chaque jour plusieurs patients sans médecin traitant et pour lesquels j’étais quasi certain qu’ils ne se rendraient pas aux urgences malgré mes conseils. » C’est ainsi qu’assuré du soutien de sa titulaire le jeune diplômé de 2020, qui se destinait à la recherche, prend la suite du projet en vue d’équiper 100 % du réseau officinal local. « Certaines officines font payer la téléconsultation. Or nous voulions que cette dernière soit systématiquement gratuite pour le patient. Ce n’est ni au pharmacien ni au patient de payer pour la défaillance du système de santé », estime-t-il.

Offrir une télémédecine homogène sur tout le territoire

La titulaire ayant reçu des présentations de nombreuses offres du marché, Khalil Kandara recontacte ces entreprises. Le choix se porte sur Medeo début 2021. « Nous étions d’accord sur le fait de commencer par essayer de contacter le médecin traitant puis un médecin du territoire, avant de se tourner, le cas échéant, vers un autre », souligne-t-il. Soutenu par Gabrielle Gross et Christophe Lefevre, titulaire à Hauteville-Lompnes (Ain), il contacte leurs confrères de l’agglomération. Sur les 20 croix vertes locales, cinq sont déjà équipées et l’une d’entre elles choisit, malgré cela, de rejoindre le projet avec Medeo. Les 15 autres disent aussi « banco ». Pour faciliter la recherche d’aides financières pour une « télémédecine homogène » sur le territoire, le trio fonde l’Association des pharmacies du Haut-Bugey en mai 2021. Le cahier des charges précise que le médecin traitant est contacté en priorité en cas de besoin et que les équipes officinales s’engagent à accompagner les patients, s’ils le souhaitent, lors des téléconsultations.

Pour le financement, les officinaux s’appuient sur les collectivités. Ils présentent leur idée à Haut-Bugey Agglomération (70 000 habitants, 27 généralistes, dont deux tiers ont 60 ans passés). Cette dernière n’ayant pas de compétence santé, elle leur conseille d’aller voir directement les maires.

Investissement financiers et collectifs

Après une tournée des conseils municipaux, Khalil Kandara boucle le financement en février. Finalement, Haut-Bugey Agglomération vote 16 000 € de subvention, et chacune des sept communes ayant une officine sur leur territoire débloque 1 000 € par pharmacie. Quant à leurs titulaires, ils avancent le montant (1 225 € ) que l’Assurance maladie finance pour l’équipement. Fin avril, les 16 officines sont ainsi dotées d’un ordinateur relié à l’interface Medeo et des objets médicaux connectés nécessaires à ce nouveau service à distance. Dans la foulée, le prestataire, qui a offert la première année de l’abonnement habituellement de 29 € par mois, les forme.

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Reste à convaincre les médecins. « Une petite dizaine seraient intéressés », se félicite Khalil Kandara, qui est déjà suivi par son propre père, pédiatre, le premier spécialiste parmi les volontaires. Pour lui, l’heure est au recrutement. Il commen­­ce par solliciter ses connaissances locales, y compris des médecins à la retraite. Concrètement, à l’officine, dès qu’une demande de rendez-vous est lancée, les médecins volontaires reçoivent un e-mail pour solliciter un créneau. Sans réponse positive sur le territoire, un autre médecin du réseau Medeo (chaque généraliste engagé peut accepter ou pas de consulter pour d’autres régions géographiques que la sienne) ou un de sa plateforme de déversement peut assurer la consultation à distance. « En fait c’est une manière d’offrir une nouvelle solution, un complément », résume le jeune adjoint, qui espère bien que la prochaine étape prendra la forme d’une communauté professionnelle territoriale de santé. « Ce projet a insufflé une dynamique de groupe au sein des pharmaciens du territoire », observe-t-il avec satisfaction.

DATES CLÉS Khalil Kandara

2020

Master 2 en cancérologie, à la faculté de pharmacie de Lyon 1 (Rhône)

2020

Diplômé en pharmacie à Lyon, option recherche

2020

Depuis novembre, adjoint à la pharmacie d’Arbent (Ain)