Imminente e-prescription
Serpent de mer depuis 2012, la mise en place de la prescription électronique se concrétise. Fin 2024 au plus tard, médecins, pharmaciens et hôpitaux utiliseront l’e-prescription. Il reste d’ici là quelques étapes à franchir.
Attendue depuis dix ans, l’e-prescription connaît ces derniers temps une sérieuse accélération. « Elle est expérimentée depuis juillet 2019 par une centaine de professionnels de santé libéraux, médecins et pharmaciens. Un premier bilan a été réalisé en février 2020, tous y ont vu une solution pour sécuriser leur pratique et garantir la qualité des soins pour leurs patients », déclare Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. Selon le bilan chiffré pour 2021 du groupement d’intérêt économique (GIE) Sesam-Vitale, cette expérimentation a donné lieu à 385 000 e-prescriptions et 148 000 délivrances d’e-prescription.
Mais c’est sans attendre les résultats de l’expérimentation que le principe d’e-prescription a été intégré à la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019. Ce texte habilite le gouvernement à prendre une ordonnance pour « faire de la prescription électronique l’unique vecteur de prescription ». C’est ainsi que l’ordonnance du 18 novembre 2020 généralise à tous les prescripteurs son usage au plus tard pour le 31 décembre 2024. « L’e-prescription va désormais devenir une réalité pour tous les professionnels de santé, c’est une révolution pour la santé des patients et l’acte pharmaceutique », se félicite Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Deux services connectés
« En pratique, l’e-prescription recouvre deux services socles complémentaires, explique Jean-Baptiste Milone, directeur de projets à la délégation ministérielle au numérique en santé (DNS). D’un côté, il y a le téléservice de l’e-prescription unifiée (EPU), destiné aux professionnels de santé et mis en œuvre par l’Assurance maladie ; de l’autre, Mon espace santé auquel le patient peut accéder, dont la DNS est coresponsable avec l’Assurance maladie, conformément à la feuille de route du numérique en santé. » La généralisation de l’e-prescription unifiée à l’ensemble des produits et prestations de santé se déroulera jusqu’en 2024. « Dans le même temps, le patient peut accéder à son ordonnance numérique dans Mon espace santé », ajoute Jean-Baptiste Milone.
« Les cas d’usage qu’offrent ces deux logiciels une fois connectés sont révolutionnaires. Le patient pourra entre autres permettre à son pharmacien référent (voir encadré) d’accéder à ses prescriptions via son espace santé avant de se déplacer à la pharmacie », s’enthousiasme Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Pour cela, l’ensemble des médecins et pharmaciens doivent être équipés de logiciels intégrant les fonctionnalités de l’e-prescription. L’usage doit être le plus général possible. Les fonds du programme du Ségur du numérique sont mobilisés pour une généralisation de ces logiciels d’ici avril 2023 pour la prescription de médicaments », détaille Jean-Baptiste Milone.
Si, côté pharmacien, l’optimisme est de mise, les médecins sont plus circonspects. Alors que Philippe Besset se fixe l’objectif « qu’au 31 décembre 2022, trois quarts des pharmacies seront équipées d’un logiciel certifié Ségur », Gilles Urbejtel, en charge de ce dossier au sein de la Fédération française des médecins généralistes (MG France), souligne « qu’il manque un intérêt à agir pour les médecins. On nous demande de dématérialiser pour continuer à imprimer l’ordonnance, au moins dans un premier temps, c’est un peu agaçant. Au-delà, l’intégration sera-t-elle facile à utiliser ? Que faire en cas de problème de connexion ? Ces questions sont encore en suspens alors que le gouvernement veut avancer à marche forcée sur ce dossier. »
Vers la création d’un nouvel acte pharmaceutique
Pour autant, les avantages de l’e-prescription, notamment pour le pharmacien, sont indiscutables. « Ce nouvel outil va permettre aux pharmaciens de savoir si l’ordonnance est authentique et si elle a déjà été délivrée, grâce à son QR Code unique. Il pourra échanger de façon sécurisée avec les prescripteurs, ou encore ne plus scanner les pièces justificatives lors de la facturation », cite Pierre-Olivier Variot. « Demain, l’e-prescription permettra au patient d’envoyer directement son ordonnance à la pharmacie de son choix qui pourra facturer et préparer la délivrance en amont pour se concentrer sur le conseil face au patient », ajoute Philippe Besset.
Côté rémunération, l’e-prescription rapportera à l’officine. L’utiliser pour 70 % des délivrances sur prescription d’un professionnel de santé de ville est l’un des indicateurs socles qui permettra, à partir de 2024, de décrocher la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) pour le développement du numérique en santé et l’amélioration de l’accès aux soins, négociée dans la convention nationale pharmaceutique de 2022.
Autre avantage : le traçage de l’intervention pharmaceutique. « Le format de données de l’e-prescription est structuré. Il permet de tracer les modifications. Ainsi, l’Assurance maladie, mais également le médecin pourront être informés rapidement de la substitution du princeps par un générique ou d’un changement de posologie », explique Philippe Besset. « Ce traçage va nous permettre de demander la création d’un acte d’intervention pharmaceutique rémunéré par l’Assurance maladie », annonce Pierre-Olivier Variot. Marguerite Cazeneuve concède que l’Assurance maladie pourrait réfléchir à une telle rémunération.
L’hôpital, trou noir du numérique
Il n’en reste pas moins un gros point noir : les prescriptions hospitalières exécutées en ville. « Comme les médecins libéraux, les prescripteurs hospitaliers devront utiliser l’e-prescription pour leurs ordonnances exécutables en ville. Le patient pourra également accéder à ces ordonnances hospitalières dans Mon espace santé (d’ici avril 2023 avec la vague 1 du Ségur du numérique). Il pourra par exemple les envoyer au pharmacien par la messagerie sécurisée de santé, mais le téléservice de l’e-prescription unifiée sera déployé ultérieurement dans le secteur hospitalier compte tenu de ses spécificités », constate Jean-Baptiste Milone.
« Actuellement, les ordonnances falsifiées sont issues, pour la majorité, des hôpitaux. Si ces derniers n’adoptent pas l’e-prescription selon le référentiel commun, il y aura un énorme trou dans la raquette », s’insurge Philippe Besset. Ce trou représente un risque pour le pharmacien, car l’Assurance maladie peut lui réclamer l’indu si elle découvre que l’ordonnance était falsifiée. « Si, au début, la falsification était grossière et facilement repérable, désormais, les faussaires sont très doués. Ils visent les médicaments chers faisant courir un risque financier important aux pharmaciens », ajoute Pierre-Olivier Variot.
L’Assurance maladie et la délégation du numérique en santé sont conscients du défi que doit relever l’hôpital sur ce sujet. « Il faut noter que l’écosystème est volontaire, même s’il ne faut pas nier que la réforme est lourde à mettre en place et va nécessiter beaucoup de moyens », déclare Marguerite Cazeneuve. Dans les mois à venir, une expérimentation va être lancée. Elle permettra d’établir un cahier des charges pour les éditeurs de logiciel hospitalier. « Fin 2024, l’hôpital sera au rendez-vous », affirme Marguerite Cazeneuve.
Les pharmaciens ont également intérêt à être au rendez-vous. L’e-prescription est une brique des logiciels certifiés Ségur du numérique et, au 1er janvier 2025, les récalcitrants seront exclus de certaines missions. « Un pharmacien avec un logiciel de gestion officinal (LGO) non certifié Ségur ne pourra plus faire de vaccination ou encore il ne percevra plus de Rosp », détaille Philippe Besset.
L’E-PRESCRIPTION POUR FACILITER LES NOUVELLES MISSIONS
La convention pharmaceutique signée en 2022 développe de nouvelles missions et prévoit notamment le statut du pharmacien correspondant (ou pharmacien référent). « Cette convention a défini les premières missions. Celles-ci ont vocation à être progressivement élargies ; nous pourrons notamment réfléchir aux missions spécifiques que ce pharmacien pourra assurer, par exemple dans le champ de la dispensation adaptée, qui sera considérablement facilitée par l’e-prescription. Celle-ci permet en effet une information simultanée du médecin et du pharmacien », explique Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de l’Assurance maladie.
À RETENIR
Attendue depuis près de 10 ans, l’e-prescription doit être généralisée au 31 décembre 2024, y compris à l’hôpital.
Pour les pharmaciens, les avantages sont nombreux : sécurisation de la dispensation d’ordonnances, communication simplifiée et sécurisée avec le prescripteur et l’Assurance maladie, possibilité de nouvelles rémunérations, etc.
Pour y accéder, l’officine doit être munie d’un LGO certifié Ségur du numérique. Les frais de mise à jour ou de changement de logiciel sont intégralement pris en charge par le fonds Ségur jusqu’au 18 décembre 2022.