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Drôle de composition

Publié le 20 mai 2005
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Pharmacie et cinéma ont une longue histoire commune. Elle remonte d’ailleurs aux origines puisque plusieurs pharmaciens ont participé, en compagnie des frères Lumière, au lancement du cinématographe. Depuis, on compte près de 500 films ayant mis en scène le pr ofessionnel du médicament. Le 58e Festival de Cannes bat son plein. L’occasion d’un coup de projecteur sur le pharmacien au cinéma.

Saviez-vous que plusieurs pharmaciens ont participé au lancement du cinématographe des frères Lumière ? Gabriel Veyre est à peine âgé de 25 ans quand Louis Lumière l’envoie présenter son invention en Amérique centrale. Le 14 août 1896, il organise à Mexico la première projection publique de films dans la région (Louis Lumière l’avait fait pour la première fois à Paris le 25 décembre 1895). Suivent Cuba, le Venezuela, le Japon, la Chine, l’Inde et pour finir l’Australie. Partout où il passe, le pharmacien est accueilli comme le démiurge de la société moderne. En 1900, Gabriel Veyre s’installe au Maroc où il enseignera la technique photographique au jeune sultan Abd El-Aziz.

Autre diplômé de l’école de médecine et de pharmacie de Lyon, Marius Sestier organisera la première séance publique et payante de cinéma à Bombay. Après ces aventures extrapharmaceutiques, il prend les rênes du laboratoire que vient de fonder, à Lyon, Auguste Lumière, chimiste de formation. De ces usines sortiront le toujours jeune Tulle gras Lumière, la Cryogénine ou le Lumifébral. Signalons aussi le préparateur en pharmacie Perrigot. Il organise le 25 janvier 1896 la première projection publique à Lyon. On le retrouve quelques mois plus tard en Russie. Mais il va surtout former une génération d’opérateurs qui sillonneront le monde jusque vers 1900.

De Méliès à Luc Besson.

Le pharmacien n’a pas seulement été derrière la caméra, il a été – et demeure – un des personnages préférés des scénaristes. On compte en effet quelques centaines (probablement un demi-millier) de films le mettant en scène.

D’où vient l’attirance du septième art pour ce professionnel réputé si scrupuleux et si discret ? Le réalisateur Jean Veber, qui signa en 2002 l’étrange Pharmacien de garde, propose une explication : « Dès l’instant où un type en blouse blanche descend dans son laboratoire pour faire des expériences, il est difficile de ne pas penser au Docteur Jekyll, à Frankenstein, à toute une tradition de savants fous. » Les premiers pharmaciens scénarisés par le cinéma naquirent, il est vrai, de l’imagination débridée de Georges Méliès. Dans L’Homme à la tête de caoutchouc (1902), un apothicaire place sa propre tête sur une table et la gonfle au moyen d’un soufflet jusqu’à l’explosion finale. Le potard d’Hallucinations pharmaceutiques (1908) voit quant à lui des fantômes et des fées sous l’effet d’une potion magistrale. Plus près de nous, Cary Grant, le chercheur distrait de Chérie, je me sens rajeunir (1942), met au point un élixir de jouvence et l’expérimente sur sa propre personne.

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Le plus souvent, le personnage du pharmacien est tout de même ancré dans un univers on ne peut plus réaliste. C’est le cas d’Homais, mis en scène dans sept adaptations de Madame Bovary, ou de Mousquet, le terne pharmacien des trois versions cinématographiques de Knock.

La pharmacie est avant tout un lieu d’échange et de transit. Guy Lesoeurs, auteur de La Santé à l’écran, le confirme : « Le cadre de l’officine, lieu de passage ouvert à tous, se prête difficilement à une mise en scène spectaculaire. » Il est donc assez rare que la pharmacie serve de cadre à un fait divers horrible : le préparateur Meinert y viole la fille adoptive (interprétée par Louise Brooks) de son patron dans Le Journal d’une fille perdue (1928), la quête de stupéfiants donne lieu à un braquage sanglant au début de Nikita (1990), de Luc Besson.

De Jean Becker à Denys Arcand.

Depuis les années 1990, les rôles de pharmacien semblent s’être multipliés dans le cinéma français. Jean Douchet incarne un officinal alcoolique dans Nord, de Xavier Beauvois (1991). Dans Le Pari (1997), Bernard Campan interprète un riche pharmacien réactionnaire qui décide d’arrêter de fumer pour épater son beau-frère. Outre Le Pharmacien de garde, il faut signaler Albert est méchant, d’Hervé Palud (2003) : Christian Clavier y joue le rôle d’un pharmacien acculé à la faillite, prêt à tout pour s’emparer d’un héritage.

L’officine sert aussi parfois de cadre à un climax. Dans Un crime au paradis, de Jean Becker (2001), la pharmacienne, interprétée par Dominique Lavanant, vend un taupicide à base de strychnine à Josiane Balasko. Dans Scènes de crimes (Frédéric Schoendoerffer, 2000), l’enquête de l’inspecteur Fabian le mène dans une officine où il tente, avec l’aide d’une vendeuse, d’identifier un odieux criminel. Un pharmacien administre un produit de substitution à un toxicomane dans Les Invasions barbares du Québécois Denys Arcand (2003).

Vous avez dit potard ?

La contribution de votre profession au septième art ne s’arrête pas là ! Quel point commun y a-t-il entre John Wayne, Claude Chabrol, Jacques Dufilho, Bernadette Lafont, Jean-Louis Barrault, Gregory Peck et Michèle Mercier ? Tous furent fils et filles de pharmaciens ! Clyde Morisson, le père de John Wayne (Wayne est un pseudonyme), était diplômé de l’Université de Los Angeles et il exerça sa profession dans plusieurs officines de Glendale, en Californie. John y passa une bonne partie de son enfance, allant même, dit-on, jusqu’à préparer et délivrer des médicaments sous contrôle paternel. Cette expérience de jeunesse lui permit peut-être de se couler plus aisément dans la peau du pharmacien Tom Craig, sympathique héros de In Old California (1942).

Claude Chabrol était pour sa part fils et petit-fils de pharmaciens creusois. Il amorça des études de pharmacie, avant de rejoindre les Cahiers du cinéma comme critique. Même vocation avortée pour Roger Hanin et Jean Lefebvre. Sans oublier Louis Jouvet, diplômé de l’école de pharmacie de Paris en 1913. Après quelques remplacements alimentaires dans des officines franciliennes et une mobilisation en tant qu’infirmier pendant la Première Guerre mondiale, il se consacra exclusivement au théâtre, puis au cinéma. Histoire sans doute de changer d’atmosphère…