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COMMENT LA SANTÉ S’APPLIQUE À DEVENIR NUMÉRIQUE

Publié le 9 février 2013
Par Isabelle Guardiola
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Application mobile pour ne pas oublier ses médicaments, téléconsultation dans une pharmacie avec un cardiologue, bip de sécurité pour les professionnels de santé, capteurs de m-santé, communautés de patients 2.0, « quantified self »… Les exemples d’innovation en matière d’e-santé fourmillent, à l’initiative d’acteurs publics ou privés, médicaux ou non. Comment s’y retrouver ? Quels enjeux pour les professionnels et les patients ? Cela correspond-il à une révolution dans l’organisation des soins, la gestion de sa propre santé ?

L’e-santé désigne la totalité des applications du numérique en santé. Un vaste territoire que l’on peut partager en trois grands domaines : les systèmes d’information en santé pour améliorer la coordination des soins (DMP, DP, hôpital numérique, etc.), la télémédecine et enfin la télésanté, secteur plus flou et moins cadré au plan juridique, concernant moins la médecine académique au sens noble du terme mais le « bien-être des personnes ». Ce dernier domaine, en pleine expansion, ne comporte pas forcément d’actes de soins mais rassemble les moyens technologiques facilitant le maintien à domicile de personnes handicapées ou âgées, le suivi d’une maladie chronique à distance ou encore le partage d’information entre professionnels et patients…

Le marché de l’e-santé, toutes activités confondues, s’élèverait, selon une étude de 2011 de l’institut privé Xerfi, entre 1,8 Md€ et 2,5 Md€ et devrait enregistrer une croissance comprise entre 5 % et 10 % d’ici à 2015.

Télémédecine : le juste soin au bon endroit

Longtemps confinée, et ce dans tous les pays d’Europe, à l’hôpital, la télémédecine a enfin poussé les murs et grandit au plus près des patients, à leur domicile. Elle propose de nombreuses pistes pour répondre aux défis en matière d’accès aux soins, de démographie médicale, de concertation interprofessionnelle et d’économies. Le Dr Pierre Simon, président de l’Association nationale de télémédecine (Antel), membre de Syntec Numérique (voir « Pour en savoir plus » p. 33[1]), estime que « sur 72 milliards dépensés annuellement par l’hôpital, on pourrait économiser, selon les rapports, entre 7 et 14 milliards autour des maladies chroniques en prévenant les hospitalisations ou en en réduisant la durée. Et avec les économies générées, mettre en place une télésurveillance à domicile dont le coût global (investissement et fonctionnement) ne serait pas excessif et permettrait de nouvelles ressources financières pour faire face aux conséquences du vieillissement des populations ».

Au moins 400 médecins en France, pour la plupart hospitaliers, pratiquent la télémédecine, soit les pratiques décrites dans le décret d’application du 19 octobre 2010(1). C’est un acte médical à part entière et, à ce titre, le médecin engage sa responsabilité médicolégale. Ainsi, lorsque lors d’une téléconsultation le médecin est distant, c’est un autre professionnel de santé qui réalise cet examen sous son contrôle : prise de tension, analyse de bandelette urinaire, utilisation d’un stéthoscope électronique ou d’une caméra dermatologique… La télémédecine a fait ses armes depuis quinze ans dans les services hospitaliers. Télédialyses, téléconsultations de plaies chroniques ou téléconsultations psychiatriques en EHPAD se sont ainsi développées, recensées dans un guide par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé (voir « Pour en savoir plus » p. 33[2]). Pierre Simon cite ainsi une application déjà très aboutie en télémédecine, celle du télé-AVC : un patient qui subit un accident vasculaire ischémique arrive aux urgences proches de son domicile. « Pour recueillir immédiatement un avis spécialisé, on transfère une imagerie à un spécialiste afin de permettre rapidement l’initiation d’un traitement permettant à la paralysie très handicapante de régresser ou de s’améliorer. La Franche-Comté a été pilote dans cette application depuis 2006. Midi-Pyrénées, autre région pilote en télémédecine, a fait de très bonnes expérimentations avec plus de 2 000 télé-expertises analysées : dans 50 % des cas, le seul fait que le médecin de l’hôpital de proximité ait pris contact avec le spécialiste du CHU de Toulouse évitait le transfert. »

Encore trop peu d’initiatives à l’officine

Si les applications de télémédecine sont encore trop rares en ville, elles le sont encore plus à l’officine. A cet égard, Michel Rioli, conseil en stratégie et développement de solutions globales de télésanté et de télémédecine, fait figure de pionnier. Dans son rapport éponyme sur la place du pharmacien d’officine dans le parcours de soins remis à Roselyne Bachelot en 2009, la télémédecine y est vue comme l’une des solutions à la fermeture d’officine en zone rurale isolée. Voici trois ans, Michel Rioli a monté Télémédinov (Télémédecine interopérable Nord Ouest Vendée), qui relie hôpitaux, médecins spécialistes et généralistes, EHPAD, infirmiers, pharmaciens… et patients, dont les insulaires d’Yeu et de Noirmoutier. Un projet phare pour les officinaux, qui fait partie du PRT (Plan régional de télémédecine) de l’ARS Pays de la Loire.

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Cependant, les observateurs voient aujourd’hui dans le secteur libéral un intérêt plus grand se manifester pour cette pratique, s’appuyant sur les exemples à l’étranger. Ainsi, en Finlande, le médecin généraliste en maison de santé obtient dans la journée l’avis de son collègue spécialiste par télémédecine. « Les pays dont le système de santé est centré sur les soins primaires ont des systèmes d’informations très développés, intégrant le généraliste et le patient bien avant qu’il n’entre en maladie », remarque Xavier Abballe, médecin de santé publique au CHU de Bordeaux, spécialisé en information médicale. A la lecture de différents rapports, il rapporte que l’enjeu macroéconomique est, dans les cinquante ans à venir, de transférer 20 % des ressources des hôpitaux vers la première ligne des soins de premier recours. Il s’agit également de développer rapidement les systèmes d’informations pour que les médecins généralistes puissent travailler avec les spécialistes sur le suivi des patients chroniques – y compris les plus complexes –, à l’image des modèles en cancérologie proposés par l’INCa (voir « Pour en savoir plus » p. 33[3]). L’Antel préconise ainsi des téléconsultations avec les médecins traitants des maisons de santé pluriprofessionnelles au sein des officines, notamment pour les personnes âgées ou handicapées.

Deux axes sont donc prioritaires : l’éducation thérapeutique du patient (ETP), ciblée et adaptée, et la coordination. Xavier Abballe déplore, à cet égard, la petite place donnée au pharmacien : « Son diplôme lui conférant à la fois expertise et approche généraliste, sa présence territoriale et ses horaires d’ouverture font qu’il peut, dans un certain nombre de situations, prendre une part significative dans la coordination de la trajectoire du patient, notamment grâce à un système d’informations territoriales partagées en santé. » Aussi Xavier Abballe promeut-il Pharma Madi, un dispositif imaginé et mis en place dans son secteur par Elisabeth Le Maure, titulaire à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), dont il s’est inspiré pour faire des propositions à des élus sur d’autres territoires. Il s’agit d’un système d’informations, entre le patient, l’équipe de premier recours et l’établissement hospitalier, dans les territoires qui ne disposent pas des relais territoriaux nécessaires à un retour et un maintien à domicile dans les conditions acceptables. Le pharmacien assure une « interface informationnelle » et favorise la coordination des professionnels à partir du circuit du médicament et des dispositifs médicaux. « Le dispositif doit permettre, via l’officine, la mise à disposition d’informations pertinentes vers l’établissement qui accueille le patient et vers les acteurs du territoire à sa sortie, notamment sur les points critiques de la trajectoire du patient, lors d’un événement déclencheur (décompensation) de l’hospitalisation du patient chronique pour éviter la réhospitalisation », détaille Xavier Abballe. Pharma Madi s’avère particulièrement adapté aux personnes âgées isolées ou aux personnes les plus fragiles socialement sur des territoires asséchés en ressources de premier recours et médicosociales dirigées vers le domicile, « à condition de bien partager de manière à ne pas empiéter sur les périmètres des uns et des autres ».

Depuis sa création dans les années 1990, Internet ne cesse d’évoluer. Et, avec lui, la médecine. On parle aujourd’hui de médecine 2.0, qui, à l’instar du web 2.0 liant les personnes entre elles (notamment par les blogs, forums, réseaux sociaux…), désigne les savoirs médicaux partagés au sein de communautés (professionnels de santé et patients). La prochaine étape de développement serait la médecine 3.0, calquée sur le web 3.0 (Internet des objets), système dans lequel les connaissances s’adjoignent les données livrées par les capteurs et objets communicants (le pilulier vide sonne, les fibres intelligentes du tee-shirt envoient au central la fréquence cardiaque…). L’idée, finalement, est que l’information santé soit présente partout et tout le temps.

Télésanté : mille et une applications pour le patient ou le professionnel

Comment s’y retrouver parmi la multitude de sites santé présents sur le Net ? En consultant, par exemple, www.fredcavazza.net, le très intéressant panorama de l’e-santé d’un blogueur. Ou en visitant http://buzz-esante.com/, le blog lancé en 2010 par Rémy Teston. Responsable e-marketing dans l’industrie pharmaceutique, ce dernier s’est créé cet outil de veille « à partager avec d’autres passionnés » et s’emploie à y relever l’ensemble des initiatives digitales dans le domaine de la santé en France, en distinguant le web santé des applications mobiles. Le web santé se compose des sites d’informations sur les différentes pathologies à destination du grand public ou des professionnels. Ils sont proposés par des éditeurs de presse (Santor…) ou des laboratoires en partenariat avec des sociétés savantes ou des associations de professionnels de santé. Citons l’Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR) et sa plate-forme www.stop-arthrose.org, en partenariat avec les laboratoires Expanscience, www.voixdespatients.fr, consacré aux maladies chroniques et créé par la Fondation Roche, Janssen et sa plate-forme VIHservice.fr, Novo Nordisk et www.diabete.fr, l’e-mook (magazine digital, contraction de « magazine » et « book ») Génération Proches de Novartis(2)…

On trouve ensuite des réseaux sociaux de santé de patients comme Carenity.com, Entrepatients.net ou Rareconnect.org, et certains spécifiques pour les professionnels : médecins, infirmiers, podologues… et pharmaciens. Sur Reseauprosante.fr ou Voxmedecins.com, certains médecins n’hésitent pas à exposer des cas cliniques et à demander conseil à leurs confrères. En devenir membre (en créant, comme sur Facebook, son profil) permet d’accéder à de l’information professionnelle, des vidéos, des annonces d’emploi et de stages, des groupes de discussion… Santé Connect, éditeur de réseaux sociaux santé, en a créé plusieurs dont Talentpharmacie.fr et Pharma-reseau.fr.

« Clairement, annonce Rémy Teston, le paysage va devenir de plus en plus mobile, autant côté patients que professionnels. Selon les experts, d’ici 2016, plus de 70 % des connexions Internet se feront via un support mobile. » Le site Internet classique n’aura donc plus d’avenir s’il n’est pas adapté aux supports mobiles, prophétise Rémy Teston, qui cite, parmi les produits émergents en m-santé, le quantified self (« automesure »), pratique consistant à collecter des données personnelles et à les partager sur une plate-forme avec son médecin, son réseau social… Cela en connectant un outil à un appareil mobile (en branchant un tensiomètre sur son iPhone, ou une balance pour suivre son évolution pondérale, un babyphone…) et en collectant des données relatives à sa santé et son bien-être : nombre de cafés bus, de cigarettes fumées, d’heures dormies, de pas accomplis, taux de glycémie, pression artérielle… On trouve aussi des applications pour le suivi de certaines maladies chroniques – récemment, Sanofi a lancé un lecteur de glycémie que l’on branche sur son iPhone… – ou encore les technologies RF (radio longue portée), utilisées pour aider le personnel soignant à retrouver les patients égarés en EHPAD.

L’enjeu à venir sera de créer des labels de qualité

Parmi les grands acteurs du numérique, les opérateurs de télécommunication (tel http://healthcare.orange.com/) ont bien flairé le filon santé, s’impliquant dans l’imagerie médicale à distance et la télémédecine, proposant de la télésurveillance des sujets âgés ou une gamme de capteurs de mesure (asthme, migraines, glycémie….). « On peut même imaginer, avance Rémy Teston, comme cela se pratique aux Etats-Unis, que le médecin prescrive à son patient d’aller voir une application mobile ou un site. La Food and Drug Administration a ainsi accrédité l’iPad comme un dispositif médical ! »

Comment les professionnels se saisissent-ils de ces applications ? Le CESSIM (Centre d’études sur les supports de l’information médicale), qui regroupe des éditeurs de presse, a publié fin 2012 son cinquième baromètre sur l’utilisation professionnelle des supports numériques par le corps médical. Il montre que 58 % des pharmaciens (contre 56 % de généralistes) sont équipés d’un smartphone (94 % et 86 % pour l’utilisation d’Internet dans la pratique professionnelle), mais qu’ils n’utilisent pas encore beaucoup les applications médicales (scores médicaux, échelles d’évaluation, planches anatomiques) ou de pathologies, qu’ils pourraient transmettre à leurs patients… Pour eux, Internet leur sert à consulter des bases de médicaments, rechercher des coordonnées de confrères ou lire les recommandations officielles.

« Ils ont cependant moins de freins que les médecins à se rendre sur les sites des laboratoires et des groupements », nuance Rémy Teston. Celui-ci conclut que le vrai enjeu des mois et années à venir sera de créer « des labels de qualité permettant de hiérarchiser les sites et applications avec du contenu fiable ». David Sainati, pharmacien et diplômé d’HEC Entrepreneurs, créateur du blog Philapharm.fr, et des nouvelles plates-formes Applisanté.com et Fitinapps.com se lance dans l’expérience.

(1) Dans son article 78, la loi HSPT (« Hôpital, patients, santé et territoires ») du 21 juillet 2009 a reconnu la télémédecine comme une pratique médicale à distance mobilisant des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette définition figure désormais à l’article L. 6316-1 du Code de la santé publique. Une enquête réalisée par la DGOS auprès des ARS en décembre 2011 a recensé 256 applications de télémédecine en France dont 136 opérationnelles. 70 % étaient menées dans les établissements de santé dont 80 % d’établissements publics.

(2) De nombreuses applications mobiles sont mises en place par l’industrie pharmaceutique, destinées tant au public qu’aux professionnels de santé : Oméomémo (Boiron), C Time (Janssen), iChemoDiary (Merck&Co), Pil’à l’heure (Théramex), etc.

Sondage

Sondage réalisé par téléphone du 21 au 22 janvier 2013 sur un échantillon représentatif de 100 titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Possédez-vous : (plusieurs réponses possibles)

Utilisez-vous des sites ou applications mobiles pour professionnels de santé ?

Dans quels domaines ? (plusieurs réponses possibles)

Observez-vous une évolution des connaissances de vos patients en matière de santé grâce à Internet ?

Diriez-vous que l’information reçue par vos patients via Internet :

Vous-même, leur recommandez-vous des sites ou applications ?

Seriez-vous prêt à vous investir dans une expérimentation de télémédecine ?

e-santé

Applications du numérique en santé (DMP, DP, hôpital numérique, etc., télémédecine, télésanté).

Télémédecine

Actes de soins médicaux ou chirurgicaux réalisés à distance sous le contrôle de professionnels de santé (prise de tension, téléconsultations…).

Télésanté

Regroupe les moyens technologiques facilitant le maintien à domicile des personnes handicapées ou âgées, le suivi d’une maladie chronique, le partage d’informations (blogs, sites internet…).

Médecine 2.0

Savoir médical partagé au sein de communautés de professionnels de santé et de patients.

Médecine 3.0

Connaissances avec données livrées par capteurs d’objets communicants (pilulier qui sonne, fibres intelligente…)

m-santé

Services, applications et outils (automesure…) relatifs à la santé et au bien-être via un téléphone mobile.