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La grande déferlante

Publié le 3 novembre 2001
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Un an après le déploiement national de SESAM-Vitale à l’échelle de la profession, 40 % des officinaux avaient franchi le pas à la fin septembre. Comment ont-ils vécu l’évolution de leur système informatique ? A quel prix ? « Le Moniteur » a interrogé de nombreux confrères, véritables pionniers du système Vitale. Ils relèvent les possibles pièges de l’installation, vous font part de leurs expériences au quotidien et vous livrent leurs conseils.

Installé en centre commercial à Montpellier, Robert Clos vient de vivre ses six premières semaines en SESAM-Vitale. Ce branché informatique se dit satisfait de son « prestataire de quinze ans », précisant toutefois : « Il faut présenter un cahier des charges précis de ce que l’on veut, en s’assurant qu’il y aura un suivi réel, parfois différent de ce que peut annoncer un commercial… » Même son de cloche chez Robert Léon, à Frontignan (34), qui conseille de faire confiance à son fournisseur. Autre basculement bien vécu au plan technique, celui de Marie-Martine Daliès, à Nérac (47), qui dit ne pas avoir de problèmes de maintenance et considère ses achats de matériel comme un investissement : « Notre informatique précédente était en bout de course, il fallait tout changer. » Quant à la formation à l’utilisation de la nouvelle configuration SESAM-Vitale, elle précise que les deux jours prévus étaient suffisants, étant donné que l’informatique « faisait déjà partie du paysage ».

Mais on ne constate pas le même optimisme partout ! Sophie Houppermans, à Cappelle-en-Pévèle (59), par exemple, n’a pas vraiment digéré la nécessité de changer un équipement vieux de trois ans. Le ton est aussi très critique chez Jacques Frimon (91), qui a surtout constaté que SESAM-Vitale « aggravait la dépendance des pharmaciens vis-à-vis de leur prestataire informatique ; nous sommes pieds et poings liés ».

« C’est mieux avec les clients… quand ils ont leur carte ! »

Côté organisation des postes de travail, Robert Clos a privilégié des lecteurs uniques à des appareils mixtes (Vitale + carte bancaire) : cinq lecteurs pour sept postes et un bloc-notes collectif pour noter pièges et conseils pratiques. La carte de professionnel de santé (CPS) de l’un des deux titulaires a été installée sur un « poste maître » tandis que tous les autres, interchangeables, sont en CPE (carte de professionnel d’établissement). Jean-Michel Ehret, à Haguenau (67), pense lui aussi qu’il faut un lecteur par personne, mais préfère que la carte du titulaire soit insérée uniquement à la demande. Robert Léon a, lui, équipé six des huit postes de l’officine d’un lecteur de carte Vitale. Une demi-journée de formation assurée par le prestataire, en liaison avec le concentrateur, et l’équipe a basculé sans difficulté.

Mais il y a aussi ceux pour qui ça coince. C’est le cas de Michel Billmann, à Soufflenheim (67) : « J’ai acheté le lecteur mais il semble y avoir des difficultés entre ma SSII et mon concentrateur qui se renvoient la balle », explique-t-il. Malgré ses « bonnes relations avec son prestataire de services », il redoute que les difficultés existantes – « sans raison apparente » – ne s’aggravent encore quand commencera la transmission par Internet. « D’autant que, parfois, certains confrères m’expliquent que cela fonctionne pendant quinze jours et puis, subitement, cela ne marche plus. »

Bien que se définissant lui-même comme « un râleur qui ne s’est jamais laissé embêter ni par des machines ni par des gens », Robert Léon s’est dit agréablement surpris par SESAM-Vitale au quotidien. A quelques erreurs de manipulation près, au tout début, sanctionnées par des rejets. « C’est mieux sur le plan financier, mais aussi avec la Sécu et avec les clients quand… ils ont leur carte. » Sophie Houppermans est équipée depuis la fin juin et fait le même constat. « Je suis ravie. C’est très simple et pratique. » Il est vrai qu’elle s’est dotée d’un concentrateur en même temps qu’elle basculait. Seul problème, « les cartes Vitale qu’on a du mal à récupérer ». « C’est le gros travail à l’heure actuelle », confirme aussi Marie-Martine Daliès, en SESAM-Vitale depuis six mois. « On souffre pendant trois mois, commente Jean Arnoult (Cambrai) qui a franchi le pas en juin. Avantage certain, on a la sécurité de paiement, mais il faut sans cesse rappeler aux assurés de ramener leur carte. » Pas de doute non plus pour Jacques Frimon, dont « l’exercice a été facilité, avec de meilleures garanties de paiement, peu de litiges globalement, malgré l’impossibilité d’effectuer les rapprochements bancaires en raison du paiement cumulé – et non par lot – des FSE ».

Claude Scémama, à Paris, a quant à lui « l’impression de mieux dominer le sujet : moins de retours, moins de papier mais plus d’exigences aussi pour la validation et le ramassage des dossiers ». Un certain optimisme qui ne l’empêche pas de relever certains inconvénients : gros travail de création des centres pivots, pannes de réseau (RSS…), rejet de 3 à 4 % des dossiers (notamment des CMU) avec des règlements différés sur plusieurs mois, soit 300 à 400 factures en souffrance en permanence, manque de temps pour faire les rapprochements bancaires, et enfin une certaine lenteur au comptoir (validation des données).

Robert Clos, à Montpellier, se veut aussi circonspect : « Quand tout va bien, c’est mieux qu’en B2. Quand ça ne va pas, c’est pire qu’avant. Et si l’on perd un peu de temps au comptoir, on en gagne en délai de paiement. » Autres motifs de satisfaction : « On peut faire du sécurisé avec toute les caisses de France. Sur nos télétransmissions estivales, via un concentrateur, nous n’avons eu aucun lot transformé de sécurisé en dégradé. »

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Marie-Martine Daliès constate aussi des règlements plus rapides et un gain de temps sur les dossiers, notamment extérieurs au département : « Il nous suffit de faire passer ces dossiers à la CPAM d’Agen. » Quant au tri, elle ne juge pas la situation plus compliquée qu’avant. Mais il doit être plus rigoureux, ce qui l’a conduite à réorganiser le travail en interne.

Les règlements plus rapides, Frédéric Chetreff, à Tourville-la-Rivière, les évoque également. Au plan organisationnel, il a totalement impliqué ses collaborateurs : « Cela nous fait gagner beaucoup de temps dans les manipulations (lecteurs, dossiers). » L’officine envoie ses télétransmissions tous les jours avec les caisses principales et une fois par semaine pour les plus petites.

A Neuville-lès-Dieppe, Dominique Villeneuve remarque, huit mois après son basculement, que cela fonctionne pratiquement sans problème, mais souligne cependant « les problèmes de fiabilité du réseau Internet et la question des mutuelles qui regroupent ou éclatent les dossiers, provoquant ainsi des difficultés pour suivre et pointer les retours ». Il espère commencer à amortir son investissement dès novembre.

Si SESAM-Vitale « simplifie la vie » de Catherine Gaignard-Gaillard (Agen) car elle a une clientèle de passage, elle estime néanmoins qu’il faut encore manipuler beaucoup de papier et se demande si le système est intéressant quand on a une clientèle très stable. L’accumulation de papier, encore un gros point noir pour beaucoup. Pour Jean-Michel Burthier, le temps gagné en création et saisie des dossiers électroniques est reperdu en gestion des dossiers et en classement, mais il admet une amélioration des délais de paiement et une facilitation des envois de dossiers hors département.

Jean-Michel Ehret est beaucoup plus critique. L’apport pour le pharmacien ? Pas grand-chose à ses yeux. « Mais si nous avons un litige avec un assuré, nous avons au moins une certitude de paiement. Sinon, nous avons des bacs et nous jouons au centre de tri postal. Car il vaut mieux tout mettre dans l’ordre dès le départ… » Il a surtout le sentiment de moins faire de pharmacie. « Pourquoi ne pas préserver à chacun son métier ? : le banquier manipule les sous, le pharmacien les médicaments et les caisses les ordonnances… »

Le point de vue d’un pionnier

Pierre Wilpart a été le premier officinal de la CPAM de Lille à s’engager dans SESAM-Vitale, en mars 2000. « Je reçois désormais via mon concentrateur une facture soldée que je n’ai pas à reprendre… Au départ, je me suis investi quelques soirées pour vérifier la conformité des retours. Une courte formation sur le matériel a suffi. » Clé de la réussite ? Un partenariat entre la SSII, la CPAM et le pharmacien. Ce pionnier estime qu’il faut compter de 10 à 15 000 francs d’investissements pour trois à quatre postes, quitte à les prendre en leasing. Qualités recommandées, au moins au départ : rigueur et disponibilité. Pierre Wilpart se félicite d’avoir équipé ses quatre postes d’un lecteur doté de quatre cartes d’établissement (CPE). Satisfait donc, même s’il peste contre les dossiers que lui retourne la Sécu : défaut d’encodage, code CIP inconnu, assuré inconnu dans les fichiers… Les anomalies ne sont pas si nombreuses, mais elles agacent. Seul gros problème, la CMU, générant des retours : « Or pour moi, un dossier sécurisé doit être payé. »

Un de ses voeux : obtenir le rapprochement bancaire automatique entre les retours Sécu et ses relevés, mais « c’est en train d’être amélioré ».

« Au final, SESAM-Vitale, c’est un plus pour le gain de temps et la qualité de travail. Il ne faut plus se poser la question. Je plains les pharmaciens qui ne seront pas équipés au 1er janvier 2002… », conclut Pierre Wilpart.

J.-L.D.

Leurs conseils…

-> « Allez voir fonctionner le système chez plusieurs confrères avant de vous lancer. » (Jacques Frimon, Robert Clos)

-> « Vérifiez la bonne réactivité de la hot line de votre SSII. En Vitale, on ne peut pas se permettre de longs plantages. » (Jean-Michel Burthier)

-> « Inscrivez les codes utilisateurs au dos des cartes et laissez-les insérées dans les lecteurs en permanence. » (Pharmacie Rozaire)

-> « Attention à l’achat de lecteurs multicartes… qui ne lisent pas forcément les cartes Vitale ! Rajouter un kit SESAM-Vitale : pas franchement économique… »

-> « La location ne permet pas de changer de matériel facilement, contrairement aux idées reçues. Renseignez-vous ! » (Pharmacie Clausse)

-> « Louez les lecteurs pour pouvoir effectuer des échanges standard au moindre dysfonctionnement, en sachant que la location est amortie par le montant des primes FSE. »

-> « Concernant le réseau que vous utiliserez pour télétransmettre, évitez de quitter brutalement le Réseau santé-social pour un concentrateur, car les justificatifs des derniers remboursements sont suspendus le jour même du départ. Il faut donc opter immédiatement pour un concentrateur ou rester définitivement sur le Réseau santé-social. » Claude Scémama, (Paris)

Quel surcoût constatent-ils ?

– Pharmacie de Tourville-la-Rivière (76)

Cinq lecteurs et nouvelles versions logicielles : 20 000 francs.

Son titulaire estime que, 18 mois après, l’investissement est amorti…

– Dominique Villeneuve (Neuville-lès-Dieppe, 76)

Environ 12 000 francs pour 4 postes.

– Jean-Philippe Brégère (Soyaux, 16)

54 000 francs : « Pourtant mon installation étant plutôt récente. Les pharmaciens se sont fait avoir. »

– Jacques Frimon (91)

60 000 francs pour 3 postes. Il stigmatise aussi un surcoût de maintenance (4 900 F) injustifié à ses yeux, imposé par sa SSII pour le passage à la version 2001.

– Sophie Houppermans (Cappelle-en-Pévèle, 59)

« Si les 30 centimes perçus par FSE télétransmise aux caisses paieront les lecteurs de carte, ils ne sont pas suffisants pour mettre à niveau les équipements. »

– Catherine Gaignard-Gaillard

10 000 francs pour les lecteurs, 20 000 francs de remise à jour et 20 000 francs pour le matériel. Basculée en août, elle reste suspicieuse : « Sur deux produits possibles, nous avons pris celui qui présentait une promotion. Mais comme je n’avais pas de prix de référence j’ai du mal à savoir si c’était une affaire ou une arnaque. »

– Jean-Michel Ehret (Haguenau, 67)

« Il faut négocier les prix au plus tôt car la version 1.32 du cahier des charges SESAM-Vitale va arriver. Sans parler des suivantes, avec les mises à jour logicielles que cela impliquera. A quel prix cette fois-ci ?… »

– La Fédération

« Les coûts constatés pour la mise à jour matérielle et logicielle de l’officine sont légèrement supérieurs aux estimations que nous avions faites sur la base des informations fournies par les principales SSII. » Soit, en 1999, environ 15 000 francs pour une officine de trois postes et 18 500 francs pour quatre postes.

En pratique

– S’il y a une CPE par lecteur et un lecteur de carte Vitale par poste, la CPE est introduite le matin, le code confidentiel tapé une fois pour la journée. Les membres de l’équipe ne manipulent ensuite que les cartes Vitale des clients.

– Sinon, la CPE doit être introduite et le code tapé à chaque changement de poste de travail.

– L’introduction de la carte Vitale du client dans la seconde fente du lecteur permet de vérifier sa validité et déclenche une acquisition automatique des données dans le fichier de l’officine.

– A la facturation, une feuille de soins électronique (FSE) est créée et signée par la CPE et la carte Vitale.

– Si le client n’a pas sa carte Vitale, une facture électronique peut être réalisée en mode dégradé (Iris B2) assortie d’une feuille de soins papier signée par le client et le pharmacien.

– Le soir, le logiciel constitue les lots de factures électroniques émises depuis le matin par CPAM et par type de facture (FSE ou dégradé). Signés par la CPS, ils sont transmis à la protection sociale via le RSS, Wanadoo Santé ou bien un concentrateur technique.

– Le pharmacien recevra un accusé de réception logique (ARL) indiquant la date de réception du lot par la caisse. En l’absence d’un ARL, il faut refaire la télétransmission.

– Le pharmacien trie les ordonnances papier par tas. Selon la convention SESAM-Vitale, deux par régime d’assurance maladie (un pour la circonscription + un pour le reste de la France).

Leurs conseils

« Attention au réseau Wanadoo Santé qui ne gère pas les mutuelles, et attention également à la mise à jour des mutuelles de caisses primaires, en particulier des codes de transmission ! »

-> « En cas de conflit persistant avec une caisse, il est toujours possible de faire pression en arrêtant les FSE certifiées au profit des dégradées ! » (pharmacie Geyer)

-> « Placardez des affiches signalant le passage à SESAM-Vitale. A cette condition, la montée en puissance de FSE est l’affaire de quelques semaines. » (Sophie Houppermans, 59)

-> « Soyez persévérant : il faut compter trois mois pour habituer les clients à venir à la pharmacie avec leur carte Vitale. Au bout de six mois, 60% le font systématiquement. » (pharmacie Geyer, 13)

-> « Apprenez rapidement à bien connaître votre logiciel et à faire le distinguo entre des problèmes de télétransmission liés aux ordinateurs de l’officine et des problèmes liés aux récepteurs des flux. » (Jean-Michel Burthier, Paris)

-> « Pour les dossiers en dégradé, il est bon de coller les vignettes sur les feuilles de soins. » (Robert Clos, 34)