IA en santé : « Sans règles, pas de marché ; sans marché, pas de money »

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IA en santé : « Sans règles, pas de marché ; sans marché, pas de money »

Publié le 26 février 2025 | modifié le 27 février 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins (DGOS) ne mâche pas ses mots. Dans une lettre ouverte au titre évocateur, Lettres d’une bureaucrate à un jeune capitaliste, elle lance un avertissement clair : sans régulation, l’intelligence artificielle (IA) en santé ne décollera pas. Un rappel à l’ordre à destination des investisseurs qui rêvent d’un marché libre, mais oublient un détail crucial : sans cadre structuré, l’innovation en santé risque d’être économiquement intenable.

Marguerite Cazeneuve (DGOS) pointe des inégalités flagrantes dans la régulation des innovations médicales.

– Les dispositifs destinés aux patients (capteurs de glucose, implants…) passent par un parcours strict, inspiré de celui du médicament : évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS), tarification par le Comité économique des produits de santé (CEPS), remboursement conditionné à un bénéfice prouvé.

– Les outils à usage professionnel (logiciels d’aide au diagnostic, robots chirurgicaux…) échappent en grande partie à ces contraintes. Une fois le marquage CE obtenu, ils entrent sur le marché sans véritable évaluation de leur impact sur le système de santé.

C’est justement dans ce deuxième segment que l’IA explose : algorithmes de repérage prédictif, outils d’aide à la prescription, logiciels optimisant la qualité des soins… Mais paradoxalement, leur adoption reste marginale. En cause ? L’absence d’un modèle économique viable.

Un marché qui tourne au ralenti

Certains outils d’IA s’imposent naturellement, notamment ceux qui stimulent la productivité des soignants. Mais d’autres peinent à convaincre, faute d’un retour sur investissement immédiat.

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Prenons un exemple concret : un hôpital va-t-il investir dans un dispositif qui fiabilise les diagnostics ou réduit les réhospitalisations si cela ne lui rapporte rien directement ? Pas sûr. Résultat : des solutions médicalement pertinentes restent sur le banc de touche. Comme le résume Marguerite Cazeneuve : « Sans règles, pas de marché ; sans marché, pas de money »

Encadrer pour mieux financer l’innovation

Pour sortir de cette impasse, elle plaide pour un financement adapté aux technologies d’IA qui apportent une vraie plus-value au système de santé, même si elles ne génèrent pas de bénéfices immédiats pour leurs acheteurs.

Sa proposition repose sur trois piliers :

– un cadre réglementaire dédié aux outils d’IA en santé ;
– une évaluation indépendante pour garantir leur pertinence clinique ;

– Un modèle économique incitatif favorisant leur adoption.

Une première expérimentation est déjà dans les tuyaux : l’équipement des médecins généralistes avec un ECG assisté par IA. Un test grandeur nature pour amorcer la régulation de demain.

L’IA en santé a besoin de règles pour exister

Marguerite Cazeneuve le martèle : réguler, ce n’est pas freiner, c’est structurer un marché pour qu’il bénéficie réellement aux soignants et aux patients.

L’IA en santé a un potentiel immense, mais sans cadre clair, son déploiement risque d’être chaotique. L’enjeu est donc de taille : poser aujourd’hui les bases d’une régulation efficace, sous peine de voir l’innovation rester un mirage économique, inaccessible à ceux qui en ont le plus besoin.