Sur la corde raide
Les génériques ont besoin de redorer leur image auprès du grand public et pâtissent d’une baisse drastique des prix. Néanmoins, ce marché capital pour l’officine devrait connaître un nouveau souffle en 2016. Notamment sous l’impulsion du plan Marisol Touraine…
Les années passent et les génériques restent toujours regardés avec suspicion par une partie du grand public. Cette défiance, pointée par tous les acteurs, maintient, entre autres, le marché en deçà de sa capacité. Résultat : le marché (remboursable) reste à la peine. Même si les ventes aux consommateurs en volume, évaluées à plus de 841 millions de boîtes, augmentent de 4,9 % (IMS, en cumul annuel mobile à fin août 2015) ! Cette évolution a priori positive n’est autre que la conséquence mécanique de l’arrivée de nouvelles molécules dans le domaine public. « Le poids de ces nouveaux lancements est estimé à 4 % des ventes du secteur en volume, précise Frédéric Girard, président de Sandoz. Reste un potentiel évident de croissance, alors que la pénétration du générique en France est bien en dessous des pourcentages enregistrés chez nos voisins européens. » Aujourd’hui, les génériques y représentent 32,7 % du marché du médicament remboursable en valeur (cumul annuel mobile à juillet 2015), selon le Gemme, l’association des professionnels du médicament générique.
SIGNES prometteurs
Pourtant, les bonnes volontés ne manquent pas : d’après un récent sondage BVA (« Le Carnet de santé mensuel des Français », 19.11.2014), « 85 % des Français accepteraient de consommer des médicaments génériques de manière systématique en remplacement des médicaments de marque, dans un contexte de restriction des dépenses et pour participer à la maîtrise du déficit de l’assurance maladie ». Parmi eux, « 58 % sont même d’accord pour s’y mettre dès aujourd’hui, tandis que 27 % souhaiteraient en parler au préalable avec leur médecin ». Reste donc à rétablir la confiance des plus dubitatifs, et cela en dépit des inquiétudes nourries par l’actualité (tel le retrait, en août dernier de 700 médicaments du marché testés dans un laboratoire en Inde). Mais, fait remarquer Isabelle Morin, directrice marketing chez Biogaran, « réduire les génériques à un moyen d’économiser n’est pas créateur de valeur ». Rebooster le secteur, tel est, en effet, l’objectif fixé par le plan national d’action de la promotion des médicaments génériques, datant de mars 2015 et initié par Marisol Touraine. Parmi ses sept axes de développement, une campagne de communication nationale à destination du grand public et des professionnels de santé est prévue. Les médecins, dont le rôle de réassurance est mis en évidence par le sondage réalisé par l’institut d’études BVA, sont également au cœur du dispositif. « L’objectif est d’augmenter la proportion de la prescription en génériques de cinq points. Mieux, il n’y a pas de raison que l’on ne dépasse pas la barre des 50 % du marché du médicament (en volume) à terme », assure Vincent Pont, président d’Arrow Génériques. L’enjeu est, en effet, de taille, mis en évidence par Erick Roche, président du Gemme et de Teva France : « Le risque encouru est grand : la poursuite de la stagnation ou l’entrée en récession du marché. Le secteur doit être soutenu par des mesures actives pour faire face à ses principaux freins : la méfiance du grand public et la réticence des médecins à prescrire dans le Répertoire. Nous appelons les autorités à tenir leurs engagements et à mettre en œuvre les recommandations du plan. »
PRESCRIPTEURS surveillés
Certes le pharmacien joue pleinement le jeu du générique – le taux de substitution est arrivé à un plafond de 77,2 % en cumul annuel mobile à juillet 2015 selon le Gemme. Mais le médecin dispose encore, de toute évidence, d’un droit, que d’aucuns qualifieront de régalien, celui de prescrire un médicament de marque, éventuellement hors du Répertoire. Or, rappelle Philippe Bayon, directeur marketing chez Mylan, « le levier essentiel de développement du marché tient dans la prescription, en DCI, au sein du répertoire et dans l’élargissement de ce dernier ».
L’obligation, depuis le 1er janvier 2015, d’écrire les prescriptions en DCI va-t-elle changer la donne ? Il s’agit là « d’une mesure éducative qui crée une habitude chez le patient », estime Stéphane Joly, président de Cristers. « Il y aura une parfaite corrélation entre ce que le médecin prescrit et ce qui est donné à la pharmacie, soit plus de différence pouvant générer des questions au comptoir », fait remarquer Frédéric Girard. Sauf que l’univers des marques princeps reste très présent dans les prescriptions… « Une partie du refus des génériques par les médecins est notamment lié à la force des habitudes des marques », relève Franck Le Meur, directeur des opérations Zentiva. Quant au fameux non substituable, qui coûterait 110 M€ à la Sécurité sociale, il sévit toujours, mais commence à se faire taper du doigt. 50 médecins ont déjà été rappelés à l’ordre par la CNAM pour un usage excessif de la mention « non substituable » et 500 seraient sous surveillance… Et pour mieux convaincre les prescripteurs, quelques génériqueurs commencent à s’adresser directement à eux. Ainsi, le laboratoire Biogaran leur propose des outils pratiques pour les appuyer dans leur prescription. Soit un document qui reprend ce qu’il faut savoir sur les génériques, sans oublier la manière de les présenter aux patients, et une web-série pédagogique qui sera diffusée dans les salles d’attente.
CONCENTRATION des acteurs
Moult rachats remodèlent le marché. Ainsi, Mylan (28,5 % de part de marché en cumul annuel mobile juillet 2015, source fabricant) renforce sa pole position avec l’acquisition des activités de marque et de spécialités des marchés non émergents (hors Etats-Unis) du laboratoire Abbott. Ce qui permet au leader d’« avoir accès, en France, à travers sa force de vente, aux généralistes et spécialistes », explique Philippe Bayon. Le challenger Biogaran passe la barre des 27 % (27,2 % de part de marché, en valeur, source fabricant) et rattrape Mylan. Quant au troisième acteur Teva (près de 12 % de part de marché en valeur, cumul annuel mobile avril 2015, Ospharm), son rachat de l’activité génériques des laboratoires Allergan assoit « l’ambition de toucher le plus grand nombre de patients », souligne Erick Roche.
De son côté, Sandoz (9,8 % de part de marché en valeur, Ospharm) se présente comme l’un des trois piliers de Novartis. Et quand Zentiva (9 % de part de marché en valeur, cumul fixe août 2015, source fabricant) continue de revendiquer son appartenance à Sanofi et une fabrication soumise aux mêmes exigences de qualité que les princeps, Arrow Génériques, racheté par l’indien Aurobindo, ambitionne de développer des produits exclusifs et différenciants en complément des classiques chutes de brevets. Son nouvel atout : un actionnaire qui « maîtrise l’ensemble de la chaîne des valeurs, entraînant une réduction des coûts et une maîtrise en interne de la qualité », commente Vincent Pont. Avec une démarche originale sur le marché, Cristers (Welcoop), le benjamin du secteur (la société, créée il y a 6 ans, réalise 1 % de part de marché en valeur, cumul annuel mobile à juillet 2015, source fabricant) se détache du lot avec 20 % de croissance en valeur, prévoyant de rafler 5 à 10 % de part de marché dans le futur… Sa force, selon Stéphane Joly, étant sa structure, une coopérative propriété de ses pharmaciens sociétaires qui touchent des dividendes;proportionnels (de l’ordre de 20 %) à leurs achats auprès de Cristers. Dividendes qui s’ajoutent aux remises légales.
BAISSE des prix
Le chiffre d’affaires de 5,74 Md€, en involution de 2,4 % (IMS, cumul annuel mobile à août 2015, sell-out) des médicaments génériques n’est pas sans inquiéter les acteurs. En cause : la baisse des prix. « La pression sur les prix est disproportionnée : alors que les génériques représentent 18 % du marché pharmaceutique remboursable en volume, ils ont contribué aux baisses de prix à hauteur de 27 % », avance Frédéric Girard. Et le plafonnement à 40 % des remises, depuis le 1er septembre, n’est pas pour arranger la situation. En effet, si le schéma actuel présente l’avantage de créer une plus forte transparence, la crainte est que les prix réels des génériques ressortent plus clairement, de quoi « donner au législateur une information lui permettant de les réguler », commente Franck Le Meur. Et de nouvelles baisses de prix pourraient rejaillir sur le niveau des remises… Un cercle vicieux, en somme. Autre risque évoqué par Frédéric Girard : « la réduction progressive du portefeuille des grands génériqueurs ». Stéphane Joly avance aussi la possibilité de référencement à la ligne, en officine, auprès de plusieurs fabricants. « Seuls les laboratoires qui réussiront à maintenir un bon prix de revient industriel pourront continuer à octroyer des remises assez fortes », poursuit notre interlocuteur. En cause : l’équation économique du générique qui « n’est pas durable du fait d’un manque de dynamisme des volumes. L’optimisation des coûts industriels pourrait entraîner, à terme, un impact négatif sur l’industrialisation du médicament en France alors qu’elle est encore importante aujourd’hui », conclut Franck Le Meur.
5,74 MILLIARDS D’EUROS de CHIFFRES D’AFFAIRES
ÉVOLUTION en valeur
– 2,4 %
Le marché souffre clairement d’une baisse des prix.
Source IMS Health en cumul annuel mobile au 31/08/2015.841,06 MILLIONS D’UNITÉS VENDUES
ÉVOLUTION en volume
+ 4,9 %
La hausse des ventes est corrélée aux nouvelles chutes de brevets.
Source IMS Health, en cumul annuel mobile au 31/08/2015.
LISIBILITÉ
Les génériques ont insufflé leur pédagogie au monde du médicament, une mouvance initiée en son temps par Biogaran. Les packs sont clairs (pictogrammes) et sont les piliers d’une bonne observance.
La TENDANCE
Nombre de packs de génériques font actuellement peau neuve. Entre autres exemples, les boîtes Mylan portent désormais les photos des gélules ou des comprimés en taille réelle, une démarche qui se veut rassurante pour les patients et qui « aide également le pharmacien à montrer que les médicaments génériques Mylan sont au plus proche des princeps », explique Philippe Bayon. De son côté, Teva, suite aux recommandations de son Livret blanc pour une meilleure observance des traitements des personnes âgées, a développé son nouveau conditionnement Easybox (prix Pharmapack 2015). « L’objectif est de mettre en avant six bénéfices patient pour améliorer la lisibilité des informations relatives au médicament, dont un code couleur unique pour chaque référence, une photo du médicament ou encore une horloge posologique », commente Erick Roche. De nouveaux habits également pour Cristers et Sandoz en vue de « faciliter la discussion entre pharmaciens et patients », explique Frédéric Girard.
TAILLE RÉELLE
A l’instar des boîtes de génériques Teva, les packagings Mylan ou encore Sandoz portent désormais les photos des gélules ou des comprimés en taille réelle. Objectif : identifier le médicament sans ouvrir la boîte.
CHIFFRES CLÉS
6 PREMIÈRES MOLÉCULES EN VALEUR. En cumul annuel mobile à fin avril 2015.
POIDS DES GÉNÉRIQUES. Sur le marché des médicaments remboursables. Source Gemme, en cumul annuel mobile à juillet 2015.
5 PREMIÈRES références en CA (en part de marché)
1 Ex æquo
Clopidogrel Zentiva 75 mg 30 cp 0,5 %
Oméprazole Mylan 20 mg 28 gélules 0,5 %
Clopidogrel Mylan 75 mg 30 cp 0,5 %
2 Ex æquo
Oméprazole Biogaran 20 mg 28 gélules 0,4 %
Clopidogrel Biogaran 75 mg 30 cp 0,4 %
Ce classement est calculé par Ospharm, en cumul annuel mobile à avril 2015.
6 PREMIÈRES MOLÉCULES EN VOLUME. En cumul annuel mobile à fin avril 2015.
LES deux génériques leaders se partagent
55 % du marché en valeur, avec une légère avance de Mylan devant Biogaran. Suivent en rangs très serrés Teva, Zentiva et Sandoz.
EN PARTENARIAT AVEC ospharm
Ospharm Datastat comprend un panel de 5 500 pharmacies. Ospharm traite et restitue l’ensemble des flux de ventes de ses adhérents en temps réel.
5 PREMIÈRES GAMMES. En valeur en cumul annuel mobile à fin avril 2015.
ÉCONOMIES
Les génériques ont permis à l’Assurance maladie d’économiser 2,2 milliards d’euros en 2014 (source Gemme).
SELL-IN/SELL-OUT
Les ventes aux pharmaciens représentent 3,33 milliards d’euros (Gemme, cumul annuel mobile à juillet 2015) quand les ventes aux patients atteignent 5,74 milliards (IMS, cumul annuel mobile à août 2015).
SUBSTITUTION
Selon le Gemme, le taux de substitution est arrivé à un taux plafond de 77,2 % (en cumul annuel mobile à juillet 2015).
FidélisationServices à gogo
La concurrence entre génériqueurs bat son plein. Au-delà des remises, la bataille se joue désormais au niveau des outils proposés aux officinaux pour renforcer leur rôle d’acteur de santé.
Le pharmacien devient de plus en plus central dans le parcours de soins. Et pour s’octroyer sa préférence, les génériqueurs s’emploient à placer à sa disposition des outils pour l’appuyer dans son accompagnement des patients. « Un des axes de différenciation entre laboratoires tient dans leurs services offerts », observe Frédéric Girard, président de Sandoz. « En ville, le rôle d’acteur de santé de proximité du pharmacien doit être remis en avant », ajoute Isabelle Morin. Biogaran a lancé, en e-learning, du mois d’octobre à la fin de l’année, la formation Expertise Cancer pour « permettre au professionnel de santé de développer son conseil ». Alors que 67 % des patients rechercheraient un conseil entre deux dispensations d’anticancéreux, cette formation propose, notamment, un focus sur la prise en charge des effets secondaires et l’analyse des interactions de chimiothérapie et des traitements complémentaires. Une pochette de suivi pourra être remise par le pharmacien.
Santé connectée
De son côté, Arrow a lancé, en octobre dernier, l’appli aBox Note qui permet le partage à distance et en temps réel de données médicales entre le patient et le pharmacien. « Pour ce dernier, aBox Note correspond à un tableau de surveillance de ses patients via des indicateurs biologiques et physiologiques. Cette application lui permet de renforcer le lien avec ses patients et de déployer son conseil dans le sens d’une meilleure observance thérapeutique », souligne Vincent Pont. Quant à l’acteur Zentiva, il a mis sur pied, depuis 2014, l’opération « Au cœur de l’officine » destinée à valoriser les pharmaciens et leur rôle de conseil. Outre un habillage personnalisé des pharmacies (totem, bas de comptoir, porte-brochures), une interview du pharmacien, filmé dans son officine sur le sujet de « la délivrance des médicaments génériques auprès des patients » peut être regardée in situ ou sur zentiva.fr. Dernier exemple, celui de Sandoz qui a lancé, en 2014, en partenariat avec Observia, un logiciel interactif pour faciliter la conduite des entretiens pharmaceutiques destinés, dans un premier temps, à l’accompagnement des patients sous anticoagulants oraux et, plus récemment, des asthmatiques. Ou comment revaloriser le rôle du pharmacien et du génériqueur.
DIGITAL
Zentiva intègre sur les boîtes de ses médicaments OTC (Zentiva Conseil) un QR code qui permet, depuis son smartphone, d’avoir accès aux informations du médicament et d’être redirigé sur le site du laboratoire.
CommunicationRassurer les patients
Tous les acteurs attendent une campagne institutionnelle, annoncée par le gouvernement pour 2016. « Cette campagne, destinée à rassurer le grand public, n’a jamais été menée en 17 ans d’existence du marché. Il est grand temps de la réaliser », relève Erick Roche (Teva). En attendant, Biogaran frappe fort, dès la rentrée 2015, avec sa nouvelle communication télévisuelle, déclinée en presse et à l’officine, qui « change de braquet pour se placer du côté des patients et de leur ressenti », souligne Isabelle Morin. Ceux-ci apparaissent détendus, confiants. Le message est, en effet, centré sur la sécurité : « Lorsque l’on fait quelque chose les yeux fermés, c’est que l’on est parfaitement sûr. Et quand on prend un médicament ce sentiment est essentiel. » Même volonté de rassurer du côté de Mylan dont le dernier spot TV s’attache à rappeler que « La confiance n’est rien sans la qualité » et que « Mylan s’engage à choisir des excipients limitant les risques d’intolérance », une annonce relayée en région, en direction, en premier lieu, des seniors, via la presse quotidienne régionale. Des seniors qui ne sont pas en reste après la non-affaire Furosémide. Le laboratoire concerné, Teva, communique en télévision, depuis fin 2014, sur ses nouveaux packagings pensés pour un meilleur suivi par les personnes âgées. Quant à la campagne d’affichage Zentiva, menée en septembre et octobre dernier en partenariat avec l’OCP, elle souligne le lien de la marque avec Sanofi, gage de qualité.
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