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Quand le plaisir fait sens

Publié le 1 décembre 2015
Par Charlotte Nattier
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Petit à petit, la cosmetique bio construit son nid. Après un envol il y a une dizaine d’années, le secteur peut encore prendre de la hauteur. Pour cela, les marques en lice multiplient les prouesses galéniques pour gagner en sensorialité.

Jolie poussée. La cosmétique bio, tous circuits confondus, a vu son chiffre d’affaires progresser de 7 % en 2014. Et Euromonitor prévoit une évolution de 6 à 7 % par an jusqu’en 2019. Depuis le boom de 2005, de l’eau a coulé sous les ponts ! On a vu arriver de gros donneurs d’ordre comme L’Oréal qui a repris Sanoflore en 2006, ou Nuxe qui a lancé sa gamme Bio Beauté en 2007. Puis la crise de 2008 est passée par là et certains acteurs comme Kibio (Clarins) ne s’en sont pas relevés. On a aussi vu disparaître de nombreuses gammes « opportunistes ».

« Le secteur est aujourd’hui représenté par un petit nombre de marques qui ont de la personnalité », décrit Françoise Kessler, directrice commerciale des produits cosmétiques chez Weleda. Une personnalité qui porte ses fruits en officines puisque la catégorie progresse de 13 % en valeur pour un chiffre d’affaires évalué à 33,22 M€ par IMS, en cumul annuel mobile à fin août 2015. Ce qui représente près de 2 % des ventes d’hygiène/cosmétiques en pharmacie selon Ospharm. « Le secteur reste limité mais la croissance est au rendez-vous avec un potentiel de recrutement important », résume Marion Barre, responsable marketing chez Léa Nature (Lift’Argan, Natessance…). L’enjeu des marques bio aujourd’hui est donc d’attirer dans leurs filets une nouvelle typologie de consommatrices, c’est-à-dire moins engagées et militantes. Car la principale raison d’achat d’un cosmétique bio reste encore la protection de la planète et des animaux (source : étude Gfk-Natrue-Vivaness 2015).

DEVENIR désirable

Les mentalités des acteurs comme des utilisateurs sont en train de changer. « Il ne suffit plus d’être certifié bio pour réussir comme il y a dix ans. Les consommatrices sont prêtes à s’engager mais souhaitent conserver du plaisir dans l’utilisation des soins, tester des innovations et obtenir des résultats », assure Didier Thévenin, directeur de la formation internationale chez Melvita. Et Françoise Kessler de renchérir : « L’ère de la cosmétique bio pour répondre à l’anxiété des consommateurs est révolue. Ainsi, les laboratoires ont d’abord communiqué de façon négative autour du “sans” (paraben, parfum, colorant…), et aujourd’hui c’est plus le plaisir que la sécurité qui est au centre de leur attention. » Fort de ses 90 ans d’expérience du bio, Weleda règne sur la catégorie du haut de ses 31,7 % de parts de marché (+ 9,2 % en valeur selon Ospharm en cumul annuel mobile à fin juin 2015). Pourtant le numéro un n’affiche pas le label Ecocert – le plus répandu en France – mais BDIH, l’équivalent allemand. « La certification est incontournable pour garantir que l’on est biologique, sans pour autant avoir besoin de la placarder sur la face avant des produits », argumente Françoise Kessler.

Sur la seconde marche du podium, Bio-Beauté by Nuxe, au positionnement glamour, rafle 22,8 % de parts de marché en valeur (+ 15,1 %). « Nous recrutons grâce à la qualité de nos formules que nous faisons découvrir en distribuant beaucoup d’échantillons, en encourageant la visibilité sur le point de vente et en formant les conseillères », raconte Cécile Debièvre, directrice générale déléguée de Nuxe. Non loin derrière avec 19,6 % de parts de marché en valeur, Sanoflore peut se targuer d’une croissance de 52,6 %. « Depuis deux ans la marque affiche la plus forte croissance du marché. Notre approche d’un bio plus désirable a séduit les femmes », se félicite Santiago Flipo, ex-directeur marketing. Fini le bio qui poisse…

Les innovations des marques sont soumises aux mêmes tests d’efficacité, de tolérance mais aussi de sensorialité que ceux utilisés pour la cosmétique conventionnelle. Les efforts des fournisseurs en termes de chimie verte ont permis d’atteindre, selon les laboratoires, des niveauxde formulation équivalents à la parfumerie. Les résultats : les freins à l’usage sont levés, le coût des formules baisse et les prix sont devenus accessibles. Si la promotion via des prix cassés n’est pas l’apanage de la catégorie bio, les acteurs développent des offres découverte et des cadeaux contre achat. La clé de la réussite est de faire essayer les produits pour aller au-delà des idées reçues.

SE FAIRE un nom

Pour autant, il n’est pas facile de se faire un nom sur un marché officinal détenu aux trois quarts par les trois marques leaders (sur une soixantaine en tout !). Des acteurs pionniers comme Cattier, B comme bio, Gamarde ou encore Natessance ne dépassent pas 1 % de parts de marché (valeur, Ospharm, cumul annuel mobile à juin 2015). « Nous sommes dans une phase d’identification et de prospection et proposons aux officinaux un partenariat gagnant-gagnant », raconte Sophie Roosen, directrice marketing de Dr. Hauschka. Le laboratoire allemand, présent dans 130 officines françaises, arrive sur la 4e marche du podium bio en pharmacie avec seulement 2,3 % de parts de marché en valeur (Ospharm). « Nous accompagnons nos partenaires d’un cycle de formation de 3 jours et avec des animations deux fois par an la première année pour lancer la dynamique. » La marque a choisi de s’implanter plutôt dans des officines orientées vers le naturel.

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« Et, déjà, dans le top-10 de nos points de vente [NdlR : Dr. Hauschka est aussi distribué en magasins bio, instituts de beauté, grands magasins et concept stores], il y a trois clients pharmaciens », confie Sophie Roosen. Pour le cinquième intervenant Melvita, le mot d’ordre est la sélectivité. « Notre stratégie est simple, relate Didier Thévenin : travailler sur une distribution limitée afin de faciliter l’engagement des officinaux et développer des catégories propres à la cosmétique bio comme les eaux florales et les huiles végétales. Ainsi, nous formons les équipes sur l’utilisation des produits. » L’offre Melvita se veut très large (près de 200 références). Autre challenger, Acorelle est déjà présent dans 300 pharmacies. Pour passer à la vitesse supérieure, la marque recherche activement un distributeur. Contrairement aux acteurs déjà en place, Acorelle ne se positionne pas sur le soin quotidien mais développe une offre complémentaire, comme celle de l’épilation.

MONTER en gamme

Désormais, il y a une réponse bio dans tous les segments de la cosmétique. Selon Ospharm, les soins visage représentent 54,3 % des ventes du marché en valeur. En volume, c’est en revanche le corps qui prend la main (54,8 %). Et ce, notamment en raison de l’attractivité des produits d’hygiène. « Leurs prix accessibles représentent une porte d’entrée dans le bio », remarque Françoise Kessler.

Cependant le segment des soins corporels est aussi le théâtre d’innovations qui dépoussièrent une image un peu activiste du bio. Cette année, Bio-Beauté by Nuxe propose une ligne de soins corps au cédrat autour de quatre promesses : exfolier, rafraîchir, hydrater et nourrir. Le produit star est une gelée exfoliante dont la texture se transforme en trois temps (la gelée devient huile lors du massage et lait au rinçage). « Ce type de produit est porteur d’un message de sophistication, explique Cécile Debièvre. Cette texture évolutive est aussi la clé du succès de notre best-seller, le masque Détox Vitaminé. » Chez Lift’Argan, l’huile Divinissime Immortelle contient des fleurs d’immortelle en suspension dans le flacon. Lift’Argan a fait de l’anti-âge bio sa marque de fabrique. Les soins de nuit deviennent plus pointus : citons le Sérum Tonifiant Nuit de Dr. Hauschka. La promesse de raffermissement se développe aussi dans les linéaires bio. Ainsi, Weleda lancera, en janvier 2016, un Elixir Redensifiant dans sa gamme à l’onagre. En 2015, la marque proposait déjà une cure en ampoules Rose Musquée pour les premières rides, un format inspiré de la parfumerie. Eau Thermale de Jonzac innove aussi avec une eau micellaire anti-âge bio.

SAVOIR recruter

Même la protection solaire évolue : exit le dioxyde de titane qui procure une texture blanchâtre et opaque aux formules. Sur les traces de la gamme solaire Bio-Beauté, Acorelle a développé un soin SPF 30 « invisible » grâce à un ingrédient naturel – l’huile de karang – qui absorbe les rayons UV. La technicité bio n’a plus grand-chose à envier à la cosmétique traditionnelle… Aussi élaborés avec soin les produits vendus en pharmacie soient-ils, le pari d’attirer les clients n’est pas gagné d’avance. Le circuit officinal ne représentant que 13 % en valeur des ventes globales de cosmétiques bio (source Cosmebio). Mais face aux magasins bio et la VPC, la croix verte a une carte de choix à jouer : son personnel formé aux problématiques cutanées. Françoise Kessler ajoute : « L’officine a énormément d’atouts car en plus de son gage de sécurité, elle a historiquement la connaissance des plantes. » Et Cécile Debièvre de compléter : « Le bio en pharmacie permet de capter une nouvelle typologie de cliente dans l’air du temps, soucieuse d’un mode de vie sain. » A condition d’avoir un discours expert sur les bénéfices des soins certifiés. Car, comme le rappelle Marion Barre, chez Léa Nature, « la cosmétique conventionnelle sait parfaitement mettre en avant la formulation “sans” et la naturalité ». Dans cet univers hyperconcurrentiel, le bio a plus que jamais besoin de ses distributeurs… pour ne pas y laisser des plumes.

33,22 MILLIONS D’EUROS DE CHIFFRE D’AFFAIRES

ÉVOLUTION en valeur

+ 13 %

La sophistication des produits porte ses fruits. Les formules agréables à utiliser séduisent.

Source IMS en cumul annuel mobile à fin août 2015 (hors maquillage et marques d’aromathérapie).

2,82 MILLINONS D’UNITÉS VENDUES

ÉVOLUTION en volume

+ 8,3 %

Le bio recrute de plus en plus de consommatrices soucieuses d’un mode de vie sain.

Source IMS en cumul annuel mobile à fin août 2015 (hors maquillage et marques d’aromathérapie).

RÉVEIL DES SENS

L’offre de la cosmétique bio se diversifie et joue la carte de la sensorialité : parfums, textures voluptueuses… Pour en finir avec une image « activiste ».

La TENDANCE

La palette du formulateur bio se développe tant en termes d’ingrédients que d’agents de texture et même de molécules odorantes. Objectif : gagner en sensorialité. Ainsi, Weleda met en avant son parfumeur maison qui, en plus de travailler les fragrances de toutes les gammes, a composé la première eau parfumée bio dans la gamme Grenade. Alors que Sanoflore rivalise de promesses sensorielles avec ses noms de gamme comme Miel Suprême, Merveilleuse ou encore avec le dernier lancement en date, le baume de nuit Rosa Angelica. Chez Melvita la sensorialité passe par l’application de beurres corporels qui se déclinent autour du rosier muscat et de l’argan. Quand Bio-Beauté by Nuxe doit sa notoriété à ses huiles voluptueuses…

SOPHISTICATION

Les innovations suivent les tendances de la beauté : ampoules anti-âge, sérum de nuit, solaires invisibles… Les textures se veulent fondantes pour favoriser le rachat.

CHIFFRES CLÉS

5 PREMIÈRES MARQUES. En valeur, en cumul annuel mobile à fin juin 2015.

RÉPARTITION DES VENTES.

En volume, en cumul annuel mobile à fin juin 2015.

LE BIO représente

3 % en valeur du marché hygiène beauté, tous circuits confondus, pour un CA évalué à 425 millions d’euros en 2014, selon Cosmebio.

TOP-3* des produits

1 Weleda Huile de massage vergetures 3,1 %

2 Nuxe Bio-Beauté BB Crème Soyeuse 2 %

3 Weleda Crème lavante corps/cheveux pour bébé au calendula 1,9 %

* Calculé en valeur par Ospharm, en cumul annuel mobile à fin juin 2015.

CIRCUITS DE DISTRIBUTION.

En valeur, source Cosmebio (à fin 2014, sur 4 400 produits enregistrés).

RELEVÉ DE PRIX des produits les plus vendus, réalisé en octobre 20150.

DÉMOCRATISATION

1 Français sur 3 achète au moins une fois dans l’année de l’hygiène-beauté bio tous circuits confondus, pour un budget moyen de 14 € (Kantar Worldpanel, cumul annuel mobile à mi-juin 2015).

FRÉQUENCE

L’achat de cosmétiques bio demeure cependant peu fréquent. Il est évalué par Kantar Worldpanel à 2 fois dans l’année.

Concurrence

Avantage aux spécialistes

La distribution des cosmétiques bio, multicircuit, se partage entre les pharmacies, les magasins bio, le commerce en ligne et les grandes surfaces. Avec une légère avance pour les magasins bio.

Les frontières de la « biovente » sont perméables.

D’ailleurs, de nombreuses marques de cosmétiques bio, comme Weleda, Acorelle, Dr. Hauschka ou Melvita, sont présentes sur plusieurs circuits. Du coup, le marché français est éclaté entre les magasins bio – principal canal d’achat avec 25 % de parts de marché en valeur selon Cosmebio –, la vente par correspondance (21 %), la pharmacie (13 %), la parapharmacie (12 %) et les GMS avec seulement 7 %. Au global, le chiffre d’affaires de la cosmétique bio est difficile à estimer. Cosmebio avance 425 M€ pour la France en 2014.

Les magasins bio doivent leur avance à la largeur de leur offre. Il semble qu’ils aient mis les bouchées doubles ces deux dernières années pour améliorer leur merchandising et leur conseil. Maréva Brettes, directrice marketing chez Acorelle, précise que le circuit a notamment progressé dans l’agencement de ses linéaires beauté en créant un univers bien distinct, des espaces plus cosy. Biocoop a même revu son rayon en y prévoyant un emplacement pour le sourcing local. « Nous formons aussi le personnel à la vente de nos produits car la consommatrice du bio est très avertie », ajoute Maréva Brettes. Face à cette offensive, les pharmaciens ont intérêt jouer la carte de l’expertise, et travailler encore plus la mise en avant de l’offre, ce qu’appliquent des groupements spécialisés comme Pharm’ O naturel par exemple.

Les GMS baissent les bras

En revanche, il semble que la grande distribution ait un peu abandonné la bataille du soin 100 % bio. Si on a vu arriver il y a quelques années des marques comme Ushuaïa Bio ou Mixa Bio, ces dernières se font largement voler aujourd’hui la vedette par des gammes naturelles, pas systématiquement certifiées. Citons Garnier et sa ligne Bio Active ou Cadum et ses savons liquides Le Naturel qui surfent plutôt sur le pouvoir des plantes. Signe révélateur, l’institut de statistiques Iri inclut dans son périmètre de la cosmétique bio toutes les références contenant au moins un ingrédient bio… Ce qui élargit considérablement les contours du marché, évalué alors à 60,7 M€ en cumul annuel mobile à fin août 2015 (- 4,7 %).

A signaler cependant l’arrivée cet automne de la marque Lavera (jusque-là vendue en magasins bio) chez Monoprix, pour toucher un plus grand nombre de consommateurs.

CLÉ D’ENTRÉE

Lavants, capillaires ou même démaquillants, les produits d’hygiène attirent les nouvelles consommatrices avec leurs prix raisonnables.

Communication

De plus en plus fort

Si les acteurs du bio mettent le paquet sur l’animation du point de vente, ils investissent de plus en plus dans les médias grand public. Grâce à sa présence en télévision, Lift’Argan annonce avoir gagné 6 points de notoriété. Les budgets de communication de plus en plus conséquents ont aussi pour objectif de démocratiser le bio.

« Nous accompagnons la plupart des lancements Bio-Beauté de campagnes presse et affichage », décrit Cécile Debièvre (Nuxe). Chez Sanoflore, on privilégie le digital.

« C’est aujourd’hui un moyen qui nous permet d’apporter beaucoup de contenu sur la marque ainsi que sur nos produits et de créer une relation de qualité avec nos consommatrices », résume Santiago Flipo, ex directeur marketing. Dr. Hauschka a même investi les box beauté ou organisé des événements grand public comme les Happy Beauty Hours en association avec le magazine Biba pour faire tester les galéniques et la sensorialité.