Nous sommes ensablés
En 2011, le marché a reculé de 3 % en unités. Si le chiffre d’affaires est encore en croissance, ce fléchissement est une première depuis le lancement des génériques. Les causes du décrochage sont nombreuses : défiance du public vis-à-vis du médicament, déremboursements, usage de la mention « Non substituable ». L’année 2012 permettra-t-elle aux génériques de se relancer ?
Pour la première fois depuis le lancement des médicaments génériques en 1999, le marché recule. Les chiffres de l’association Gemme révèlent un fort décrochage du nombre de boîtes vendues en 2011, passant d’une hausse de 6 % en 2010 (source GERS) à une régression de 3 % l’an dernier. En dépit de nombreuses échéances brevetaires, le générique ne capte, en volume, que 23,85 % du marché pharmaceutique remboursable. Néanmoins, l’évolution du chiffre d’affaires se maintient dans le vert, avec une croissance poussive de 3 %. Mais elle est divisée par trois par rapport à l’année 2010, qui avait enregistré une hausse de 10 %. En valeur, le générique pèse 2,647 milliards d’euros (en prix fabricant hors taxes) et sa part dans le marché pharmaceutique remboursable est à 13,56 %. C’est évidemment le plus faible taux de progression de chiffre d’affaires enregistré sur la décennie. Mais depuis deux ans la croissance ralentit nettement, puisque en 2010 les génériques avaient perdu trois points en valeur.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette tendance baissière inquiétante : un environnement de défiance par rapport au médicament, de nombreux déremboursements, mais aussi le retrait du marché de certaines spécialités (à base de dextropropoxyphène, de buflomédil…) qui fait baisser mécaniquement le marché de 2 points, sans oublier les baisses de prix et la lassitude des pharmaciens face aux campagnes de dénigrement du générique. Les mentions « NS » (Non substituable) apposées par les médecins sur leurs ordonnances peuvent également être un facteur de déclin du marché. On les évaluait entre 10 et 20 %, voire au-delà pour certaines molécules, à en croire une étude Celtipharm réalisée pour le compte de l’Assurance maladie en novembre 2011, jamais publiée mais dont certains résultats avaient filtré. Finalement la CNAM a dévoilé un taux de moins de 5 % de « NS » le 6 juin 2012. Le taux de substitution est cependant passé, en 2011, sous le seuil de 70 % après avoir atteint plus de 80 % en 2009.
Le lent démarrage de la substitution
« En avril 2004, Mopral tombait dans le domaine public et, en quelques mois, il était substitué à 80 %, fait remarquer Stéphane Joly, vice-président des affaires économiques du Gemme. Huit ans plus tard, l’ésoméprazole (Inexium), une molécule quasi équivalente, est à moins de 60 % de taux de substitution. » De son côté, Jean Loaec, directeur commercial de Mylan, regrette que « la substitution ait perdu 6,5 points en deux ans et demi ». La pénétration des nouveaux entrants atteint de plus en plus rarement 60 % après 18 mois de commercialisation. « Le démarrage de la substitution est de plus en plus lent. Après six mois de commercialisation, le taux de substitution sur les nouveautés atteint péniblement les 21 % », confirme Jean Loaec. D’ailleurs, le taux de substitution reste trop faible pour certaines molécules, qui sont parmi les plus onéreuses. Ainsi, les génériques de l’Inexium 40 mg n’ont conquis, en juillet 2011, que 52 % du marché de l’ésoméprazole, alors que son potentiel est chiffré à 315 M€ et qu’il constitue le quatrième médicament du Répertoire.
Pour le clopidogrel (Plavix), le taux de substitution a même reculé, passant de 68 % à 62 % en un peu plus d’un an. Les conflits d’intérêts entre princeps et génériques de cette molécule phare du Répertoire n’ont rien arrangé. Le princeps et son autogénérique s’adjugent 65 % de parts de marché, à respectivement 47 % et 18 % en volume, contrôlant ainsi le marché. En janvier 2012, le taux de substitution sur clopidogrel n’était plus que de 51 %.
« Pour la première fois dans l’histoire du générique, la part des princeps en valeur dépasse celle des génériques au sein du Répertoire », s’inquiète Jean Loaec. La tendance sur le premier trimestre 2012 n’est pas meilleure : – 3,7 % de baisse cumulée sur janvier et février. En mars, le taux de substitution plonge à 65 % selon des données du GERS, certaines molécules enregistrant un recul de 10 points.
La substitution a aussi décroché depuis 2008 en raison du profil des génériques. « Ce sont des produits de faible rotation ou de pathologies plus complexes », observe Stéphane Joly. « La substitution de molécules comme le mycophénolate dans le rejet de greffe, l’anastrozole dans le cancer du sein ou l’olanzapine dans la schizophrénie est bien différente de celle de l’amoxicilline », explique Jean Loaec. D’ailleurs, on s’aperçoit que le taux de substitution diminue avec la gravité et la complexité de la maladie. Par exemple, il n’est que de 17,6 % pour fentanyl (antalgique morphinique, source GERS de février 2012), de 27,30 % pour l’anastrozole, de 9,8 % pour le mycophénolate 500 mg et de 40,2 % pour l’olanzapine 5 mg. Ces taux sont cinq à six fois inférieurs au taux moyen de substitution des molécules les plus couramment prescrites telles que fénofibrate 200 mg (86,4 % de substitution), amoxicilline (95,7 %), simvastatine 40 mg (92,3 %)… En revanche, la substitution en cardiologie atteint un bon niveau avec 69 % en octobre 2011. Les médicaments contre l’hypertension, qui représentent 57 % du marché en cardiologie, affichent un taux de substitution de 67 %.
La substitution fléchit également quand les princeps substituables ont une faible rotation. En effet, un médicament qui se vend à raison d’une boîte par mois échappe beaucoup plus facilement à la vigilance des équipes officinales qui ne pensent pas à le substituer. Par exemple, l’IEC trandolapril 4 mg tourne à une boîte par mois et n’est substitué qu’à hauteur de 42,3 %. A l’inverse, avec une rotation de 30 boîtes par mois en moyenne, furosémide 20 mg culmine à 84,7 %. Par ailleurs, l’élargissement croissant du Répertoire à de nouvelles molécules – la barre des 250 molécules dans le Répertoire a été dépassée et 50 nouvelles ont fait leur apparition en 2009 et 2010 – abaisse mécaniquement le taux de pénétration des génériques.
Ces molécules nouvelles concernent parfois des médicaments moins fréquemment délivrés. Le pharmacien ne pense pas à les substituer parce qu’il n’existe pas encore une offre de génériques suffisante sur le marché ou parce qu’il ne peut référencer tous les génériques. « Des génériques qui coûtent 90 euros, qui ne tournent qu’à une ou deux unités par mois, ne sont pas commandés par les pharmaciens. Les princeps correspondants échappent donc à la substitution », explique Jean Loaec.
2012, une année pour se relancer
L’année 2012 part avec un handicap : le prix fabricant hors taxes (PFHT) des princeps entrant au Répertoire baisse de 20 %, et non plus de 15 %, et leurs génériques ont des PFHT à – 60 % contre – 55 % en 2011. Le marché s’attend toutefois à franchir des records. En effet, les chutes de brevets en 2012 représentent environ 1,4 Md€ en PFHT, soit autant que les économies apportées par les génériques à l’assurance maladie en 2011. A titre de comparaison, le poids global des nouvelles recrues au Répertoire était, en moyenne, de 800 M€ les années précédentes.
Généricable depuis le 7 mai, l’hypocholestérolémiant atorvastatine représente à lui seul un potentiel de 423 M€ de chiffre d’affaires. Mais des molécules comme candésartan, zolmitriptan, naratriptan, montélukast, irbésartan ou rabéprazole sont aussi des poids lourds. Le potentiel d’économies attendues grâce à la chute des brevets est de 3,5 milliards d’euros jusqu’en 2014.
La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2012 et la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé offrent aussi de nouveaux leviers de croissance. En effet, la LFSS fait entrer au Répertoire les spécialités d’origine végétale et minérale. D’autre part, la loi Bertrand sur le médicament instaure le passage progressif, au 1er janvier 2015, à la prescription en DCI ainsi que la possibilité immédiate pour un laboratoire de génériques de copier l’apparence et la texture d’un princeps dans sa forme orale. Le Gemme demande maintenant un élargissement du Répertoire aux sprays et antiasthmatiques.
En outre, la convention des médecins libéraux de juillet 2011 a changé les règles du jeu et le principe d’un paiement « à la performance » s’est généralisé. « Près de 99 % des médecins traitants sont maintenant dans le dispositif du paiement à la performance, qui a pris le relais du contrat d’amélioration des pratiques individuelles, avec une incitation forte à prescrire dans le Répertoire », indique Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la CNAMTS. C’est au tour des pharmaciens d’emboîter le pas et de s’inscrire dans une stratégie identique et complémentaire.
Outre une rémunération sur objectifs de progression et de niveau de substitution atteint sur 31 molécules, la nouvelle convention pharmaceutique a prévu de stabiliser la dispensation générique chez les personnes âgées en demandant aux pharmaciens de ne pas changer de marque à tout bout de champ quand ils substituent. L’Assurance maladie a mené une enquête portant sur trois molécules du Répertoire (ramipril, simvastatine et metformine) auprès de patients de plus de 75 ans fréquentant à 80 % la même officine. Elle montre que 2 à 7 % d’entre eux reçoivent plus de trois boîtes de générique de marque différente pour une même molécule. « Cette variation dans la dispensation peut présenter un risque de confusion du patient et expliquer sa réticence au générique, ainsi que celle du médecin prescripteur », analyse Mathilde Lignot-Leloup. Cet objectif qualitatif du contrat générique ne devrait pas poser de difficultés majeures aux pharmaciens, qui sont fidèles à 90 % à une marque de générique.
+ 3 %
En 2011, les ventes de génériques ont représenté un chiffre d’affaires de 2,647 milliards d’euros (+ 3 %). En volume, le marché régresse de 3 % avec 614 millions de boîtes vendues.
La France toujours à la traîne de l’Europe
En matière d’utilisation des médicaments génériques, la France se situe dans le peloton de queue en pourcentage du marché pharmaceutique en volume (pur rappel, le taux est de 23,85 % en volume). Elle est ex aequo avec l’Espagne, ne devançant dans ce classement européen que la Grèce, l’Italie, l’Irlande, le Portugal et la Belgique. La France est à mille lieux de l’Allemagne (68 %), du Royaume-Uni (60 %) et des Etats-Unis (70 %). Or, un marché ne devient mature que lorsqu’il représente 55 à 70 % des ventes en volume.
PALMARÈS
des acteurs du générique
1 Mylan
2 Biogaran
3 Teva Ratiopharm
4 Zentiva
5 Sandoz
Source : Gemme (à partir des données du GERS de décembre 2011)
Le générique a encore du potentiel
« Si le générique s’était hissé à 50 % de parts de marché du médicament remboursable en 2011, les économies auraient été de 4 milliards d’euros sur l’année », calcule Stéphane Joly, vice-président des affaires économiques du Gemme. Au lieu de cela, il faut se contenter de 2 milliards d’euros en 2011. Le potentiel de développement du marché est donc loin d’être atteint. Le Gemme indique que, depuis 2000, les génériques ont permis de réaliser plus de 10 milliards d’euros d’économies pour la collectivité. La formidable machine à engranger de l’argent frais pour l’assurance maladie s’est donc enrayée et tout l’enjeu sera de la relancer en 2012.
LE TOP-10
des ventes de génériques*
1 Amoxicilline
2 Metformine
3 Amoxicilline + clavulanate de potassium
4 Alprazolam
5 Ibuprofène
6 Zolpidem (tartrate de)
7 Chlorhexidine (digluconate de) + chlorobutanol hémihydraté
8 Zopiclone
9 Oméprazole
10 Furosémide
* En unités (Source : Gemme, à partir de données GERS de février 2012 en cumul annuel mobile).
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