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Le sevrage fait un tabac

Publié le 1 décembre 2023
Par Carole De Landtsheer
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Depuis quelques années, la catégorie des substituts nicotiniques s’envole. Poussées en complément des patchs, les formes orales dominent le secteur.

Remboursés à hauteur de 65 % par l’Assurance maladie depuis le 1er janvier 2019, les substituts nicotiniques ont le vent en poupe et enregistrent une croissance de 11,2 %* sur les seuls produits remboursés qui représentent désormais 89,5 % des ventes en valeur du marché*. « Cela fait cinq ans que le remboursement porte le marché des traitements nicotiniques », résume Virginie Tournaire, directrice marketing OTC chez Pierre Fabre. Par ricochet, cette mesure profite à l’ensemble du marché, y compris les références non remboursées, qui progresse en valeur de 10,5 %.* À cette mesure clé s’ajoutent d’autres leviers relevant du programme national de lutte contre le tabagisme qui participent à la baisse du nombre de fumeurs : le prix du tabac en constante hausse, le paquet neutre ou encore l’opération annuelle, en novembre, du Mois sans tabac, organisée par Santé publique France. Un dispositif jugé efficace, générant des économies de santé (94 millions d’euros par an, en moyenne, selon les modélisations de l’OCDE), qui met à contribution les pharmacies (apposition de vitrophanies, distribution de kits d’aide à l’arrêt du tabac…). Pour encourager les fumeurs à solliciter leur pharmacien, le laboratoire Johnson & Johnson Santé Beauté France, propriétaire de la marque Nicorette, a installé en novembre 2023, à proximité des comptoirs en officines, un espace conseil arrêt tabac. Une scénarisation incitative susceptible de convaincre les fumeurs en demande de conseil de se lancer.

Le rôle du pharmacien voué à se renforcer

Reste, toutefois, une part non négligeable de fumeurs. En France métropolitaine, plus de trois personnes de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (31,8 %) dont un quart à une fréquence quotidienne (24,5 %), selon Santé publique France 2022. « Le pharmacien a évidemment un rôle clé à jouer parce qu’il aide à la délivrance de la bonne forme pharmaceutique et du bon dosage, évalue la dépendance au tabac du fumeur ainsi que sa motivation à arrêter », rappelle Rym Bergaya, responsable des relations avec les professionnels de santé au sein du laboratoire Haleon. Son conseil associé, à l’occasion d’un sevrage tabagique, est également attendu (prise de poids, nervosité, insomnies, etc.). Mieux : son rôle est voué à se renforcer puisqu’il devrait bientôt pouvoir délivrer, après un entretien de motivation, des substituts nicotiniques aux patients souhaitant arrêter le tabac. Cette mesure figure dans le plan tabac du gouvernement 2023-2027. Elle devrait être expérimentée dès 2024. Quant à la proposition de l’ancien ministre de la Santé François Braun, émise en mai dernier au micro d’une radio, d’autoriser les pharmaciens à prescrire des cigarettes électroniques dans le cadre d’un sevrage tabagique, elle a suscité plus de critiques que d’adhésion…

Les formes orales dominent

Les substituts sous forme orale (gommes à mâcher, comprimés à sucer, pastilles…) sont désormais la première forme vendue : en volume, ils s’arrogent 72 % des ventes* (et progressent de 10,7 %* pour les formes buccales), quand les patchs représentent moins d’un tiers des ventes (25,4 % en volume*). Ces voies orales sont, d’ailleurs, autant achetées sur présentation d’une ordonnance médicale qu’en automédication : « 53 % des ventes des substituts sous forme orale relèvent de l’OTC [over the counter, ndlr], alors que 80 % des ventes de patchs procèdent d’une prescription », précise Virginie Tournaire. Cette tendance s’explique principalement « par l’augmentation du recours à la combinaison patch et forme orale dans les prescriptions conformément aux recommandations de la Haute autorité de santé », indique l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) sur son site. Résultat : la référence Nicopass 1,5 mg menthe (Pierre Fabre Health Care) occupe la première place du podium avec 14,1 % de parts de marché en valeur*, suivie des deux patchs Nicopatchlib 21 mg et 14 mg (du même laboratoire) qui réalisent respectivement 13,7 % et 7,7 % de parts de marché en valeur*. Dernière roue du carrosse, les médicaments d’aide à la cessation tabagique Zyban (0,2 % de parts de marché en valeur*) et Champix (retiré du marché).

Les innovations se font rares

Les deux leaders du secteur, les laboratoires Pierre Fabre Health Care (46,5 % de parts de marché en valeur*) et Johnson & Johnson Santé Beauté France (34,1 % de parts de marché en valeur*), appliquent des stratégies opposées. Si le succès du premier acteur, qui affiche la plus forte croissance du secteur (+ 24,4 % en valeur*), avec cinq de ses références dans le Top 5 produits, relève de la prescription (médecins généralistes, pneumologues, tabacologues), celui de son concurrent s’explique par sa position dominante sur le marché du non remboursé. Au global, le secteur des substituts nicotiniques n’est traversé que par peu d’innovations produits. Les portefeuilles des différents acteurs, sans oublier les gammes Nicotinell (10,2 % de parts de marché en valeur*) et Niquitin (5 % de parts de marché en valeur*), s’organisent autour du duo patch/formes orales (gommes à mâcher, comprimés sublinguaux ou pastilles à sucer). Nicorette, la gamme la plus large du marché (34,1 % de parts de marché en valeur*), se distingue toutefois avec des références spécifiques : son inhaler, toujours en place, son patch 25 mg (16 h), le plus dosé du segment pour les fumeurs très dépendants, et son spray buccal, qui permet de soulager, en deux pulvérisations, dès trente secondes, les envies irrépressibles de fumer. S’il ne représente pour l’heure que 4,2 % de parts de marché en valeur*, le spray, qui garantit une excellente biodisponibilité, fait des émules : Haleon annonce, de son côté, le lancement d’un spray Nicotinell (1 mg par pulvérisation), qui soulagerait lui aussi le manque en trente secondes, courant le premier semestre 2024.

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Accompagner le fumeur

Aujourd’hui, l’innovation se situe plutôt du côté de l’accompagnement des fumeurs. Au-delà des produits, c’est donc le conseil associé qui crée la tendance du moment. Ainsi, en avril 2023, le laboratoire Johnson & Johnson Santé Beauté France a attaché à son spray une application au service du fumeur : NicoretteSpray Connect. « Souvent, un fumeur qui souhaite se sevrer du tabac n’en est pas à sa première tentative. Il a donc besoin d’aide et il va trouver cet appui dans son entourage, auprès d’un tabacologue, d’un médecin ou d’un pharmacien. Cependant, tous les fumeurs ne vont pas forcément prendre le temps ou oser aller parler à un professionnel de santé et ils auront besoin d’un soutien complémentaire », fait remarquer Anaïs Varago, cheffe de produit Nicorette au sein des laboratoires Johnson & Johnson Santé Beauté France. Cette application permet, après avoir défini un plan personnalisé de sevrage (arrêt total/réduction progressive), de suivre sa consommation croisée de cigarettes et du substitut nicotinique. Autrement dit, cet outil aide à visualiser ses progrès au quotidien tout en recevant des conseils utiles pour gérer sa dépendance. Pour cela, il suffit de placer le spray, à chaque utilisation, contre la face arrière de son smartphone (technologie NFC). Les laboratoire Pierre Fabre Health Care suivent une démarche similaire, tournée vers le patient, en s’associant, depuis octobre 2023, à la start-up strasbourgeoise Kwit, première application mondiale dans le sevrage tabagique (40 000 téléchargements par mois en France). Ce partenariat financier a permis à Kwitt de développer un tableau de bord de suivi (renseigné par le patient) optimisé : il est désormais partagé avec un professionnel de santé (médecin, pharmacien), en capacité d’ajuster le plan de sevrage afin de maximiser les chances de réussite. Le fumeur en voie de décrochage est stressé, craque, dort mal ou compense en mangeant plus qu’à son habitude ? « Le pharmacien peut l’aider avec du conseil associé », reprend Virginie Tournaire. Gageons que le marché des substituts nicotiniques, déjà soutenu par le plan tabac du gouvernement couplé à l’accompagnement des fumeurs par les laboratoires et le pharmacien, devrait continuer à progresser durablement.

* Source : Gers data, en cumul annuel mobile à juillet 2023.

+ 10,3 %

11,2 M d’unités vendues

Les formes orales constituent la catégorie phare du marché des substituts nicotiniques, autant vendues en OTC que sur prescription. L’association patch et forme orale, est désormais la voie à suivre pour décrocher du tabac.

+ 9,3 %

171,1 M€

Le remboursement par l’Assurance maladie a donné un coup de fouet décisif au marché des substituts nicotiniques.

Source : Gers data, en cumul annuel mobile à juillet 2023.

Le naturel à la marge

À l’inverse des autres marchés pharmaceutiques, le naturel ne convainc pas le secteur des substituts nicotiniques ; comprenons que les fumeurs préfèrent choisir la « méthode forte » pour se délivrer de leur dépendance. Cette offre reste à la marge et tend même à se réduire comme peau de chagrin. Pour preuve, la gamme innovante d’aromathérapie Aromastop de Pranarôm (Inula), forte à ses débuts de trois références dont des gommes et un spray, se limite désormais aux capsules Forte Soutien Global pour diminuer les symptômes du manque, elles-mêmes vouées à disparaître après l’écoulement des stocks. Leur défaut : elles seraient difficiles à conseiller alors que la communication autour de cette référence n’est pas rattachée directement au sevrage tabagique. Reste quelques solutions pour les inconditionnels du naturel : les gélules Libérinov (EffiNov) pour accompagner les sevrages (tabac, alcool, sucre…), les références Stop-tabac en gouttes ou pastilles (Elixirs & Co), l’inhaleur Sevrage d’Aromalogie (Based Algae & Plant) ou encore les gommes émotions Libération des mauvaises habitudes (Deva)…

27 %

C’est la part des patients qui ne sont pas au courant du remboursement des substituts nicotiniques par l’Assurance maladie.

Source : étude interne laboratoire Johnson & Johnson.

Pierre Fabre, leader sur les patchs. Présentés comme les plus fins du marché, les dispositifs transdermiques Nicopatchlib (7, 14 et 21 mg) des laboratoire Pierre Fabre Health Care caracolent en tête.

Des applis pour aider les fumeurs à arrêter. Le laboratoire Kenvue a lancé l’application NicoretteSpray Connect qui permet de visualiser les progrès au quotidien et apporte des conseils utiles pour réussir son sevrage.

Les formes orales drivent le marché. Premier segment du marché, pastilles et comprimés à sucer, gommes à mâcher, comprimés sublinguaux, sprays… se distinguent par leurs variétés de présentations et de goûts.