LE MARCHÉ DU MÉDICAMENT CHANGE D’AIRE THÉRAPEUTIQUE
Une croissance tirée par les produits « pharémergents », un impact des lancements de nouveautés en baisse, des génériques dominant les grandes aires thérapeutiques… L’industrie du médicament doit elle aussi faire face à un nouveau modèle économique. Comme le démontre l’étude d’IMS sur le bilan et les perspectives du marché pharmaceutique présentée le 17 juin dernier.
Sans surprise, la croissance du marché pharmaceutique s’éloigne de ses lieux favoris habituels. Selon IMS, le marché va croître de 3 à 6 % par an d’ici 2015 et devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars à partir de 2013. L’avenir ? « La croissance sera tirée par les marchés émergents et freinée par les pays matures », précise Robert Chu, directeur général d’IMS Health France. Elle se polarisera fortement sur le marché chinois (+ 20 % en moyenne), le Brésil (+ 11 %), la Russie (+ 12 %) et l’Inde (+ 15 %). En revanche, les marchés matures se tassent bel et bien, comme les Etats-Unis (de 0 à 3 % de croissance) et le Japon (2 à 5 %). Dans le top 5 en Europe, c’est le cas aussi de l’Allemagne (1 à 4 %), la France (0 à 3 %), l’Italie (1 à 4 %), l’Espagne (1 à 4 %) et le Royaume-Uni (- 1 à + 2 %)
D’ici 2015, d’après les prévisions d’IMS, la Chine remplacera donc les Etats-Unis comme principal contributeur à la croissance mondiale (pour 26 % contre 11 % pour les américains et 7 % pour le top 5 Europe). Cependant, les Etats-Unis devraient toujours détenir la plus forte part de marché en termes de chiffre d’affaires (30 %), devant le Japon (11 %) et la Chine (9 %). Un nouvel ordre des pays est attendu en 2014 : l’Allemagne et la France resteront dans le top 5 des marchés pharmaceutiques, derrière la Chine, promise au troisième rang mondial. Quant au Royaume-Uni, il sortira du top 10, devancé par le Brésil, l’Inde et la Russie. « Il faut voir dans ce changement radical des sources de croissance la confirmation d’une tendance structurelle engagée depuis deux ou trois ans », observe Robert Chu. D’ailleurs, ce mouvement de fond explique certaines fusions récentes des laboratoires et impose des décisions stratégiques sur les investissements des multinationales.
Sur les marchés matures du top 5 européen, la croissance des médicaments de spécialistes continue à dépasser celle des médicaments de généralistes. Le segment « spécialiste » (Alzheimer, épilepsie, Parkinson, sclérose en plaques…) va croître de 4 % entre 2010 et 2015, alors que les médicaments généralistes n’augmentent qu’à un rythme de 2 %. Cette différence devrait encore se creuser sur la période 2015-2020. Certes, aujourd’hui, les deux segments sont de taille identique, mais la part des médicaments de spécialistes comptera en 2020 pour 56 % du marché total du top 5 Europe. Ces derniers médicaments investiront rapidement les marchés émergents.
La domination des marchés de niche
Aujourd’hui, dix aires thérapeutiques constituent 50 % environ du marché pharmaceutique total, mais IMS annonce une redistribution des cartes : l’oncologie et le diabète verront leur parts de marché augmenter de 12 % à 19 %, tandis que les médicaments du cholestérol et des troubles gastro-intestinaux quitteront le top 10 des aires thérapeutiques et seront remplacés par les produits de la douleur et du VIH. « Nous arrivons sur des marchés de niche, avec des populations cibles beaucoup plus étroites, des traitements plus complexes, administrés à l’hôpital par des spécialistes, selon des protocoles thérapeutiques élaborés, explique Robert Chu. Cela change fortement l’approche du marché pour les entreprises, qui devient plus ciblée, avec des médicaments qui ne sont pas tous nécessairement issus des biotechnologies. »
Les médicaments biologiques sont également un relais de croissance intéressant pour les firmes. A l’échelle mondiale, ils maintiennent une progression plus de deux fois supérieure (+ 8,5 %) à celle de l’industrie pharmaceutique classique (4 %). Ce marché (138,4 milliards de $) reste très concentré sur quelques « happy few » (70 % aux mains des dix premiers acteurs, les dix premiers produits biologiques représentant près de 35 % du marché).
Les génériques vont chambouler le top 10
Le marché pharmaceutique mondial est dominé par le générique, en particulier par des médicaments qui pourront être génériqués à faible échéance. L’impact des brevets dans les cinq ans à venir, est estimé à environ 90 milliards de dollars. « Aucun médicament prescrit par un spécialiste ne dépasse aujourd’hui la moitié du chiffre d’affaires du Tahor/Lipitor, l’un des premiers produits mondiaux génériqués », note Robert Chu. En effet, depuis 2007, les génériques dépassent, en unités, les princeps avec une croissance du chiffre d’affaires quatre fois supérieure à celle du marché global en valeur. « Cela est largement corrélé à la croissance des marchés émergents pour lesquels les grands domaines thérapeutiques ne sont pas couverts par les princeps et le paiement par l’utilisateur final (out-of pocket) est plus important », explique encore le directeur général d’IMS Health. Cette situation est favorable à la couverture des besoins essentiels par les médicaments génériques.
Sur les marchés matures, en revanche, les génériques arrivent à saturation, à l’image de la France où ils progressent, représentant 14 % du marché pharmaceutique total en valeur, mais avec un taux de pénétration qui stagne à 70 %. « La vitesse de pénétration des génériques s’est accentuée », observe pourtant Robert Chu, citant l’exemple de Plavix. « Le régime stationnaire est atteint en trois mois, contre six auparavant. » D’autres princeps leaders connaîtront bientôt le même sort (Tahor, Seretide, Inexium…) et quitteront le classement du top 10. « Nous allons assister à une accélération des effets dynamiques dans les années à venir. »
Dans ce contexte d’évolution mondiale, la situation de la France n’est pas fameuse (+ 0,1 % en ville). « Le marché français reflète la tendance observée à l’international sur les marchés matures », relève Robert Chu.
Pas de reprise en vue en France
Globalement, l’industrie pharmaceutique française est confrontée à plusieurs défis : les difficultés des Etats à financer les systèmes nationaux d’assurance maladie, une diminution mondiale du prix moyen des médicaments, un retour plus faible sur l’investissement en recherche et développement dû à un processus d’homologation plus strict et la concurrence accrue des génériques.
Au plan domestique, les réductions de coûts dans le secteur de la santé vont continuer à entraver les ventes de produits pharmaceutiques en France. « La croissance est quasi nulle en 2010 et le sera probablement en 2011 », livre sans détour Robert Chu. Les perspectives d’évolution, rapportées par le service d’études du cabinet Atradius, leader mondial de l’assurance-crédit, sont assez négatives : « Pendant les cinq prochaines années, la croissance du chiffre d’affaires des pharmacies va rester sous pression. Elles devront s’adapter aux défis que représentent les contrôles sévères exercés sur les dépenses de sécurité sociale, le développement des génériques, une concurrence accrue et des marges plus faibles », note un consultant du service.
En dehors des princeps et des génériques, les autres marchés de l’OTC, plutôt atone, et de l’hôpital (+ 2 %) ne sont guère florissants. Constatant le tarissement du marché hospitalier qui affichait encore une croissance à deux chiffres au début des années 2000, IMS souligne que les prescriptions hospitalières dispensées en ville restent un poste dynamique (+ 8 % en 2010) et qu’elles nourrissent aujourd’hui 22 % des prescriptions à l’officine (38 % en y ajoutant les prescriptions des spécialistes libéraux contre 35 % en 2009). Ainsi, en proportion, les ordonnances des médecins généralistes deviennent de moins en moins importantes (- 3 %).
Jusqu’en 2000, la croissance du marché pharmaceutique en France reposait sur les prix et les volumes. Les prix des médicaments remboursables ont commencé à décrocher à cette date, et le repli historique des volumes consommés par habitant a suivi cinq ans plus tard, en 2005. La tendance à la contraction des prix ne devrait pas fléchir sous la pression des payeurs et des agences d’évaluation, en France comme ailleurs. « En Europe, la pression est générale, rapporte Claude Le Pen, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et consultant IMS Health France. Des pays à tradition de prix libres comme l’Angleterre ou l’Allemagne n’échappent plus à la régulation. » Selon le cabinet Atradius, « le gouvernement allemand a approuvé plusieurs modifications de la réglementation en matière de soins de santé, y compris des réductions de prix obligatoires accrues de l’industrie pharmaceutique en faveur de l’assurance-santé, un gel des prix des médicaments et d’autres dispositions de réduction des prix dans le but d’économiser de 1,7 à 2 milliards d’euros par an dans les soins de santé ».
L’AMM remise en cause dans son importance
Pour Claude Le Pen, l’économie du médicament a basculé au début des années 2000, passant des étapes solennelles et mondiales de la mise sur le marché d’un médicament à une étape nationale, plus économique, avec des enjeux de marché. « Nous sommes, avec le médicament, en présence d’un moteur à deux temps, avec d’un côté l’AMM et de l’autre l’évaluation de l’accès au marché. La nouvelle doctrine consiste à surveiller les médicaments dans leur contexte naturel et économique. »
Partout en Europe, « l’évaluation réalisée en post-AMM devient dominante et détermine à la fois le prix et l’accès au marché, poursuit-il. La France a particulièrement développé cette approche via un système de prix réglementé et de remboursements effectués par une commission de la Haute Autorité de santé. L’AMM est remise en cause dans son importance, elle ne garantit plus un accès au marché économiquement intéressant. »
L’impact de l’évaluation sur les prix et l’accès au marché est très variable d’un pays à l’autre, celle-ci étant même une source de fragmentation en Europe. « Les initiatives pour l’harmonisation des évaluations européennes se précisent, mais les positions des différents acteurs ne sont pas encore alignées », relève Claude Le Pen. Pour l’économiste, le débat européen se concentre autour de deux axes, avec, d’abord, la question de l’intégration européenne : est-ce que l’évaluation post-AMM doit être réalisée, comme l’AMM, au niveau européen ou rester au niveau national ? « Les grands pays comme la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni militent plutôt en faveur d’une solution nationale, alors que les petits pays et l’Union européenne défendent une solution intégrée, qui leur économiserait des ressources. » Le deuxième axe concerne le type d’approche qui doit être privilégié dans l’évaluation post-AMM : doit-on être très clinique et médical ou au contraire médico-économique, davantage orienté vers la santé publique ? « Le Royaume-Uni est très axé vers la santé publique, alors que la France est plus clinique. On peut aussi imaginer une combinaison de ces approches. Si l’on se dirige vers une intégration européenne, le critère économique sera vraisemblablement prépondérant », continue l’économiste.
Mais rien ne dit que les Etats seront disposés à abandonner certaines de leurs prérogatives en matière de fixation des prix et de remboursements. Aussi, le compromis pourrait être une coordination qui laisserait une autonomie de décision aux grands pays.
Par ailleurs, la difficulté des payeurs à gérer l’incertitude sur la valeur thérapeutique des innovations se traduit par une augmentation des accords de « risk-sharing ». L’apparition de modèles de partage de risques soumet donc les laboratoires à une pression grandissante : si la promesse d’une amélioration n’est pas tenue, ils en subissent les conséquences sur le plan économique. « Il y a une indexation de la valeur du médicament sur le bénéfice thérapeutique mesuré du médicament à partir des données en vie réelle », explique Claude Le Pen. La recherche de schémas où le prix reflète la performance du produit se multiplie, mais cette pratique de partage des risques reste peu courante en France.
Entre croissance des dépenses et réduction des déficits
Quant aux perspectives du marché pharmaceutique français jusqu’en 2014, Claude Le Pen pronostique la traversée d’une conjoncture ambiguë, marquée à la fois par plus de croissance et de maîtrise. « Les dépenses de santé vont continuer à croître de 3 % par an, tandis que l’effort de réduction du déficit va porter sur les dépenses dans les limites de 3 % et sur les recettes appelées à croître au rythme de 3,5 %. Il y aura donc de l’argent consacré à la santé, mais les efforts demandés à la population vont être importants. » Les sacrifices vont se traduire en termes de salaires, de prix, de recours aux complémentaires santé… Cela n’augure rien de bon pour les grossistes et les officines, tandis que les laboratoires peuvent toujours s’appuyer sur leur savoir-faire pour maintenir leurs marges. « Des mesures ont été prises au cours des dernières années en vue de trouver des solutions de remplacement et de nouvelles sources de revenus, par exemple en investissant pour tirer parti de l’expansion des marchés de génériques, acquérir des entreprises de biotechnologies, développer des médicaments biologiques pour lesquels il existe une importante barrière à l’entrée pour la concurrence notamment générique, commercialiser de nouveaux brevets », constate Atradius.
Suite à l’affaire Mediator, il faut s’attendre à un accès au marché plus difficile et à une surrenchère des agences qui ne voudront prendre aucun risque. Dans cet environnement changeant du monde de la santé, les défis de l’innovation prennent une nouvelle tournure. « L’innovation doit amener un progrès, bien sûr médical, mais aussi économique et social », note Corinne Segalen, présidente d’IMS Health France. Rien de vraiment nouveau, sauf que la logique « produit » laisse place aujourd’hui à la logique « service » autour du médicament. « Le client s’est déplacé du médecin au patient, avec une approche davantage centrée sur les pathologies, qui amène à sortir du cadre direct du médicament pour aller vers la notion de service », explique-t-elle. En effet, ce nouveau client à satisfaire a besoin d’information, fait preuve à la fois d’exigence et de défiance et demande une prise en charge globale.
Cette évolution influence la façon dont le médicament est prescrit, mais aussi distribué, vendu, consommé et apprécié. L’ère de la croissance des volumes, à grands renforts d’investissements promotionnels fondés sur le recours massif à la visite médicale, est définitivement révolue. « Aujourd’hui, l’industrie se construit davantage sur un modèle de progrès médical, mais aussi économique et social, reposant sur une stratégie de valeur plus que de volume », conclut-elle, soulignant que les patients sont moins nombreux et davantage chez les spécialistes. « L’industrie s’emploie à développer des stratégies de services, de satisfaction et de fidélisation des patients, associées à un besoin de reconstruire une image dégradée », analyse-t-elle.
Proximité avec le patient, prise en charge globale de sa santé, services personnalisés… Tiens, tiens, tous les acteurs de la chaîne de la distribution partageraient-ils enfin les mêmes valeurs ?
Des exportations florissantes
A défaut de pouvoir se développer sur leur marché domestique, les laboratoires améliorent leurs recettes à l’export et tirent leur épingle du jeu en tant qu’acteurs internationaux. « L’industrie française du médicament est fortement exportatrice, le marché à l’exportation (47 %) dépasse celui de ville (42 %), » indique Robert Chu, directeur général d’IMS Health France. « Toutefois, ajoute le cabinet Atradius, le secteur pharmaceutique français doit rattraper la concurrence internationale en termes de parts de marché sur les marchés émergents. A l’exception de Sanofi-Aventis, les laboratoires pharma-ceutiques français exportent majoritairement vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Par conséquent, les recettes provenant des marchés émergents sont encore modestes, même si elles vont augmenter progressivement. »
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