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La pharmacie, nouvelle sphère d’influence

Publié le 1 septembre 2024
Par Charlotte Nattier
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Alors que la pression sur le pouvoir d’achat, accentuée par la mise en application de la loi encadrant les promotions, pénalise les ventes d’hygiène-beauté en grande distribution, la French Pharmacy écrit sa propre success-story.

La beauté serait-elle en crise ? Selon Circana (spécialisé dans l’analyse des tendances de consommation), la grande distribution, qui représente la moitié des ventes de la catégorie, se porte de moins en moins bien. En 2023, sa croissance en valeur est dopée par l’inflation à + 5,7 % mais les résultats en unités ne mentent pas : ils régressent de 3,4 %. « Le marché de l’hygiène-beauté en grandes surfaces alimentaires est pénalisé par son environnement global de la grande distribution où les arbitrages, pour réduire le montant du panier, se font sur les produits moins indispensables que l’alimentation, analyse Valérie Locci, responsable grands comptes Circana . De plus, les leviers du rayon hygiène-beauté sont également dans le rouge : réduction de l’assortiment, perte de visibilité du rayon, de moins en moins d’innovations, et une promotion qui ne joue plus son rôle de moteur de croissance. » En mars dernier, la mise en application de la loi Descrozaille ou Egalim III a fortement impacté l’activité promotionnelle ; ainsi, le taux de générosité des promotions en avril 2024 est largement inférieur à celui d’avril 2023, en moyenne 28 % contre 43… alors même que les ménages français doivent déjà se serrer la ceinture. En témoigne la progression des solderies qui continuent de recruter sur l’hygiène-beauté : selon Kantar, entre mai 2023 et mai 2024, elles comptent 1,5 million de nouveaux acheteurs, dépassant même le duo parapharmacie et pharmacie en taux de pénétration.

Créateur de valeur

Selon Circana, les circuits de conseil tirent leur épingle du jeu : d’un côté les parfumeries sont soutenues par l’inflation, de l’autre elles maintiennent leurs volumes à + 0,2 %. « Sur la catégorie, les grandes et moyennes surfaces (GMS) sont attaquées par le bas à cause de la forte croissance de nouvelles enseignes accessibles et, par le haut, par les pharmacies. Ces dernières parviennent à augmenter leurs parts de marché alors qu’en parallèle, cette catégorie souffre en GMS », confirme Gabriel Aiach, CEO et fondateur d’Evoluderm. Ainsi, les pharmacies, redécouvertes par les Français lors de la crise sanitaire, sont les seules à enregistrer une franche progression des quantités achetées, gagnant des positions sur les grandes surfaces alimentaires. « La transformation de la pharmacie est indéniable, raconte Philippe Mottard, directeur général France L’Oréal Beauté Dermatologique (LBD). Elle s’est modernisée et les chiffres sont éloquents. La cosmétique y croît deux fois plus vite qu’ailleurs. » Quelle est la recette de ce succès que les autres leur envient ? « C’est un circuit riche en innovations et donc créateur de valeur, se félicite Isabelle Schang, directrice de Pharmacie France Eucerin (groupe Beiersdorf). Sa force est sa proximité, la sécurité et l’accompagnement personnalisé de chacun en fonction de son parcours de soins, venant améliorer l’impact sur la qualité de vie. » Et Mahault de Guibert, cofondatrice de La Rosée, d’ajouter : « Ce sont les professionnels de santé les plus accessibles. Une fois qu’une marque est vendue en pharmacie, elle peut être présente à tous les coins de rue ! C’est vraiment la force de ce réseau. » Offre sécuritaire, conseil et proximité : un triptyque à valoriser.

Le grand écart

L’offre est la pierre angulaire de cette success-story officinale qui, associée au conseil du personnel et à la proximité des points de vente, fait des émules. « L’officine a su développer une offre petits prix via des marques de distributeur (MDD) et le référencement de nouvelles marques plus accessibles et plus sensorielles. Elles ont également été novatrices en proposant une offre étoffée de formats familiaux généreux, ce qui les rend économiques à long terme et permet de diminuer la fréquence d’achat. Cela a permis aux officines de trouver une nouvelle clientèle et d’attaquer frontalement l’offre GMS sur le rapport qualité/prix », se félicite Gabriel Aiach. Désormais, l’avantage d’un prix bas ne suffit plus. « Le consommateur peut retrouver en pharmacie le même type d’offres qu’il trouvait hier en GMS mais avec, en plus, l’avantage d’un service personnalisé permettant de créer du lien avec lui, d’augmenter sa confiance via des conseils experts et adaptés pour toute la famille, ainsi que la perception de produits plus qualitatifs, voire plus innovants », ajoute-t-il. Pour preuve, le succès de CeraVe : simple et accessible, elle a fait son entrée cette année dans le top 10 des marques dermocosmétiques en France, selon LBD, après seulement cinq années de commercialisation.

En officine, le juste prix n’a jamais rimé avec manque d’innovation. Le circuit porte depuis toujours la R&D des grands laboratoires. En cette rentrée, le groupe Beiersdorf tape fort avec sa pépite Eucerin : « Notre innovation avant-gardiste issue de la science de l’épigénétique démontre les prouesses scientifiques et technologiques de la pharmacie, se félicite Isabelle Schang. Inspirée des réalités dermatologiques et esthétiques, la pharmacie reste le circuit privilégié de cette complémentarité médicale. » Le nouveau sérum Hyaluron-Filler s’appuie sur la technologie brevetée Age Lock, qui a permis d’identifier les gènes responsables de la jeunesse de la peau, et sur un cocktail d’actifs qui peut les réactiver. De même, chez Pierre Fabre qui relance la gamme Dermabsolu d’Avène : « Elle offre des formules exigeantes, concentrées et ultraperformantes grâce à un trio d’actifs dermatologiques puissant qui a fait ses preuves, raconte Paul Fabre, directeur marketing France Pierre Fabre Dermo-Cosmétique & Personal Care. Ses packs sont sophistiqués, avec des touches de doré ; la couleur bleue de la Crème nuit, notre produit star, émerge davantage dans les linéaires. »

De dermocosmétique à dermatologie

« La dermocosmétique évolue vers plus de médical, rappelle Philippe Mottard chez L’Oréal Beauté Dermatologique. 26 millions de Français souffrent de problèmes de peau et 7 millions ont consulté pour un acte esthétique. Ils sont autant de relais de croissance de la catégorie. » Ces « pat’sumer » – comprenez « patients-clients » – sont avant tout en attente d’une offre dermatologique. Le plan de lancement 2024 du laboratoire Pierre Fabre nous rappelle quels sont les piliers de cette dermocosmétique à la française : à l’image de Cleanance Comedomed Peeling d’Avène, un produit qui lutte contre l’acné à l’heure d’un désert médical où il faut attendre six mois en moyenne pour consulter un dermatologue ; avec Epitheliale AH Ultra Balm, A-Derma revisite un grand classique de la pharmacie, un patch réparateur comme une vaseline ; ou encore l’antichute de Furterer et sa nouvelle version du best-seller Triphasic Reactional en cours de lancement. « L’antichute est le premier segment du marché capillaire de la pharmacie, souligne Paul Fabre. C’est un marché qui obéit beaucoup à la nouveauté et à l’innovation avec la nécessité de proposer des solutions toujours plus efficaces pour nos consommateurs. » Bref, une offre qui sait aussi s’appuyer et se renouveler autour de ses fondamentaux.

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Simple, basique

Pour fidéliser et recruter, la pharmacie ne peut pas se reposer uniquement sur ses lauriers. Les Digital Native Vertical Brands (DNVB), ces marques « digital natives », qui se sont développées en ligne, ont rebattu les cartes avec une offre alléchante et qui parle directement aux consommateurs. Mais ne nous y trompons pas, elles font aussi de l’œil aux linéaires des pharmacies… « Nos soins sont efficaces, naturels, mais également colorés et simples à comprendre pour les patients d’une pharmacie, ce que nous véhiculons au maximum via nos PLV et les formations des équipes officinales », se félicite Pauline Raillard, directrice commerciale B2B chez Respire. La genèse de La Rosée offre un véritable éclairage sur les attentes des consommateurs : « Lorsque nous travaillions au comptoir avec mon associé, nous nous sommes rendu compte – il y a dix ans déjà – que les consommateurs commençaient à poser des questions un peu plus précises sur les produits, essayant de déchiffrer les listes d’ingrédients et se demandant si tous ces noms barbares étaient bons pour leur peau, bref devenant sceptiques aux discours très marketing des grandes sociétés de cosmétiques, se souvient Mahault de Guibert, cofondatrice de la marque. Nous étions au tout début d’un grand tournant, d’une révolution. Les consommateurs avaient besoin de revenir aux basiques, à la simplicité, à l’essentiel. Ils avaient envie de vérité et de transparence. » La suite, on la connaît. La Rosée a séduit grâce à ses formules courtes, claires, engagées et pour toute la famille.

Créateur de confiance

« La French Pharmacy est portée par l’émergence de la nouvelle génération de pharmaciens, précise Philippe Mottard. La digitalisation est un enjeu de taille quand on sait qu’un client capté activé en CRM [capté par un outil de relation client, type newsletter, NDLR] dépense deux fois plus [Étude Kantar CRM sur La Roche-Posay – 2023]. » Une donnée qui n’a pas échappé à ces pharmaciens qui digitalisent leurs points de vente mais aussi leur communication. Plus d’écrans digitaux dans les officines, c’est en effet une opportunité de déployer des campagnes novatrices et personnalisées prises en charge par des sociétés comme Cegedim-Media, qui compte un parc de plus de 3 500 pharmacies en France équipées de ses solutions digitales avec 11 000 écrans (environ 3 000 en outdoor et plus de 8 000 en indoor). Une digitalisation qui passe aussi par une montée en puissance des officines sur les réseaux sociaux. Dans certaines officines, le personnel se la joue influenceur d’un jour pour présenter coups de cœur et nouveautés. De quoi attirer de nouveaux clients et fidéliser. « Deux clients sur trois de la pharmacie n’achètent pas de dermocosmétique [Étude Kantar Référenseigne / Kantar Health – 2023], ce qui offre encore de belles perspectives, conclut Philippe Mottard. Le pharmacien est un créateur de confiance qui permet de recruter de nouveaux pat’sumer. »

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Pour aller plus loin :

lemoniteurdespharmacies.fr

27,4 %

C’est le taux de pénétration de la para + pharma sur l’hygiène-beauté en mai 2024, en légère baisse, se faisant doubler cette année par les solderies à 29,5 % (selon Kantar, entre mai 2023 et mai 2024).

Aux petits soins

Depuis quelques années déjà, le soin de la peau a le vent en poupe, quel que soit le circuit de distribution. En parfumeries sélectives, son chiffre d’affaires croît de 5,6 % (selon Circana en 2023) mais atteint + 13,3 % sur le soin visage et + 8,9 % sur le soin corps en officines (en cumul annuel mobile à fin mai selon le Gers). « Le premier contributeur à la croissance du marché est la catégorie visage avec plus de 40 %. Suivi par l’hygiène et le capillaire qui, cumulés au visage, pèsent pour trois quarts de la croissance du marché, détaille Paul Fabre, directeur marketing France Laboratoires Pierre Fabre. La saison solaire sera déterminante sur la dynamique annuelle du marché. »

Eugénie Simon

Directrice de la communication d’Evolupharm

3 questions à Eugénie Simon sur la mise en application de la loi Descrozaille, encadrant aussi la promotion, en pharmacie, des produits d’hygiène-beauté.

Quel est l’enjeu de cette loi ?

Cette loi a pour vocation de protéger les industriels dans leurs négociations avec la grande distribution et la dernière version [Egalim III, NDLR] inclut désormais aussi la droguerie et les produits de parfumerie et d’hygiène. Je pense que notre secteur de la pharmacie n’était pas nécessairement à intégrer.

Sa mise en œuvre est-elle contraignante à votre échelle ?

En tant que groupement, nous avons appliqué la loi sur les opérations de promotion que nous proposons aux pharmacies qui le souhaitent, principalement celles que nous réalisons une fois par mois dans le cadre de notre programme de fidélité et de nos opérations « Pouvoir d’Achat ». Il a fallu veiller à ne jamais dépasser la remise de 34 %. Les cosmétiques sont les plus touchés car ils gardaient une image qualitative en pharmacie et le consommateur appréciait de les acheter grâce aux promotions alléchantes.

Quelles conséquences pour le circuit ?

La GMS était déjà un concurrent redoutable pour la pharmacie. En appliquant les mêmes typologies de remises, elle se voit à nouveau pénalisée. Heureusement que l’alternative MDD permet de repositionner la pharmacie dans le circuit pour offrir à ses clients une alternative accessible.