La guerre des masques a bien eu lieu
Lorsque les groupements de pharmaciens ont pu acheter des masques chirurgicaux, ils ont été confrontés à de nombreuses difficultés d’importation. Explosion des prix, fret aérien réduit, surenchère par des entreprises étrangères… Retour sur une gestion qui a fini par coûter cher.
Le décret du 23 mars 2020 a permis à toute personne morale, et donc aux entreprises et aux groupements de pharmaciens, d’importer des masques, notamment chirurgicaux. Mais dans un contexte devenu extrêmement concurrentiel, les achats se sont parfois révélés difficiles et, dans tous les cas, relativement chers.
Un secteur sous tension
La production nationale en France était bien trop faible pour faire face à la demande. Seules quatre entreprises nationales en fabriquent. Avant la crise, la production hebdomadaire de masques chirurgicaux et FFP2 s’élevait à 3,5 millions d’unités. En avril, elle atteignait 10 millions par semaine. Le ministère de l’Economie estimait le 27 avril qu’elle s’établirait à 20 millions en mai et à 50 millions en octobre. Sur le plan international, la Chine est le premier producteur mondial de masques de protection mais, avec le confinement du pays, sa production s’est interrompue. Lorsque celle-ci a repris fin février et début mars, les Chinois ont d’abord répondu à la demande intérieure avant de vendre aux pays étrangers. Les fabricants asiatiques ont aussi imposé un minimum de 50 % en paiement comptant à la commande et un solde en départ usine, soit 10 à 15 jours après la fabrication.
Faux fabricants et vraies arnaques
Comme dans toutes les situations de crise, l’épidémie de Covid-19 et la pénurie d’équipements de protection ont généré vols, trafics et arnaques. « Nous recevions cinq à dix propositions par jour de gens qui s’improvisaient fabricants ou importateurs de masques. Certains proposaient des prix défiant toute concurrence et c’était louche, d’autres étaient très chers et, dans ce cas, il s’agissait de voyous », relate Eric Tabouelle, P.-D.G. d’Helpévia et à l’initiative de la création des plateformes Rhésus et isiHA, centrales d’achat et de distribution des établissements de santé privés et d’Ehpad. Certains grossistes-répartiteurs et pharmaciens ont d’ailleurs été victimes d’escrocs. D’où l’intérêt de bien sourcer ses approvisionnements. Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), a ainsi eu un sourcing en Chine car il avait des contacts. Helpévia, dont l’expertise est l’achat, a réussi à identifier en une semaine différents fournisseurs grâce à ses relations antérieures sur le marché chinois.
Des prix qui s’envolent
Quel que soit le type de masque, la forte demande a fait grimper les prix. Ils ont été multipliés par 5, 10 voire 20. Un masque chirurgical a pu coûter jusqu’à 0,99 € ! Les prix fluctuaient également en fonction du coût du fret aérien, les vols internationaux étant réduits. « Au plus fort de la crise, le transport par avion d’un conteneur de 66 m3 revenait à 60 000 ou 70 000 dollars. En moyenne, le coût de transport d’un kilo de marchandises s’élevait à 22 dollars à Roissy [aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle] contre trois ou quatre dollars avant la crise », explique Eric Tabouelle. Le coût du pont aérien entre la France et la Chine, mis en place par l’Etat, est ainsi estimé à 300 millions d’euros. De plus, le fret aérien a également exigé des paiements comptant à la réservation. Des compagnies ont aussi fait de la « surréservation ». « Elles nous appelaient la veille pour nous prévenir que, finalement, l’avion n’avait pas pu embarquer nos palettes faute de place », raconte Eric Tabouelle. De plus en plus d’acheteurs optent désormais pour le transport maritime, beaucoup moins cher.
A cette situation s’est ajoutée le comportement de certains acheteurs internationaux en Chine. Selon le P.-D.G. d’Helpévia, des acheteurs américains et australiens ont court-circuité les sites de transformation des produits en achetant « cash » les bobines de non-tissé directement sur les sites de fabrication pour les livrer ensuite aux transformateurs pour leurs propres clients. Sans compter « les achats sauvages de produits finis », comme le qualifie Eric Tabouelle, sur les tarmacs en surenchérissant de trois ou quatre fois sur le prix du contrat initial. Depuis plusieurs semaines, cependant, les prix pratiqués sur le marché international évoluent à la baisse. Une baisse qui est encore loin des trois centimes par masque chirurgical avant la crise, omme l’évoque la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la crise du Covid-19 dans son rapport du 3 juin.
Des douaniers zélés
Les douanes ont effectivement systématisé les contrôles physiques des marchandises, bloquant parfois des livraisons entières. Alain Grollaud, président de Federgy, a expliqué dans Le Moniteur des pharmacies (n° 3324 du 30 mai 2020) que deux avions avaient été bloqués à Roissy. Helpévia a aussi constaté des passages en douane d’une durée de 15 jours contre 48 heures auparavant. Excès de zèle ? Pour Eric Tabouelle, trois raisons expliquent ce phénomène : l’afflux inédit à Roissy de marchandises destinées au secteur de la santé, « la recrudescence de nombreux acteurs opportunistes et incompétents » et le manque de connaissances au départ des douaniers de Roissy, peu habitués à ce type de fret par rapport à leurs collègues exerçant dans les ports maritimes. Néanmoins, le 4 juin, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a assuré qu’à Roissy, 95 % des stocks de masques avaient été traités en moins de trois jours, sachant que les importations de masques avaient été multipliées par 3 000 % en 2020 par rapport à 2019.
L’addition salée pour l’Etat
L’Etat a bien entendu rencontré les mêmes difficultés que les autres acteurs. Selon le rapport de la mission d’information, il a passé des commandes massives de masques chirurgicaux et FPP2 via Santé publique France. Au 28 mai, ces commandes s’élevaient à 4,78 milliards de masques de protection dont plus de 3 milliards de masques chirurgicaux. A la même date, Santé publique France en avait acquis 3,42 milliards. Mais à la fin de la semaine du 21 mai, l’agence n’en avait reçu que 774,3 millions contre 1,153 milliard attendu.
L’Etat a également subi la forte augmentation des prix. Au 28 mai, il avait dépensé 2,8 milliards d’euros pour l’achat de 3,92 milliards de masques (dont près de 500 millions en cours de négociation). Les députés ont calculé que le coût unitaire moyen s’élève à 0,41 € pour les masques chirurgicaux et à 1,56 € pour les masques FFP2…
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