In silico presto !
Le marché pharmaceutique mondial devrait atteindre 1 300 milliards de dollars en 2 020 ! Le triple de ce qu’il est aujourd’hui. Seulement voilà, la recherche ne suit plus ! Pour réussir à répondre à la demande mondiale, il faudra raccourcir considérablement le temps de découverte et de développement des nouveaux médicaments grâce au « in silico ».
C’est écrit ! Le marché mondial pharmaceutique connaîtra dans un futur proche une croissance jamais vue jusque-là. Certaines raisons sont bien connues, comme le facteur « 3e âge », la chronicisation des pathologies auparavant mortelles, la demande de nouveaux anti-infectieux, l’apparition de nouvelles maladies mutantes qui se propagent très rapidement (SRAS, grippe aviaire…)… Il faudra aussi tenir compte du développement dans les pays en voie de développement de maladies chroniques qui ne touchaient jusqu’alors que les pays développés, sans oublier les conséquences, encore mal évaluées, du réchauffement climatique sur la santé…
Pénurie de nouvelles molécules
Pourtant l’industrie semble aujourd’hui incapable d’exploiter cette demande sans précédent. C’est en tout cas ce qu’affirmait en juin 2007 la société d’audit et de conseil PricewaterhouseCoopers (1). Pourquoi ? Parce que « les groupes pharmaceutiques doivent faire face à une pénurie de nouvelles molécules en cours de développement, des résultats financiers médiocres, un accroissement des dépenses commerciales et de marketing, une augmentation des contraintes et des défis réglementaires et enfin une réputation ternie ».
On le voit, tout découle ou presque des difficultés grandissantes des big pharmas à mettre à la disposition des malades des thérapeutiques chimiques ou biologiques réellement nouvelles, et non une énième copie à peine améliorée d’une molécule. Ce que confirmait Anne-Christine Marie, associée de PricewaterhouseCoopers en France : « L’industrie pharmaceutique ne sera pas en mesure de relever ces défis tant que la productivité de la R & D ne sera pas améliorée. […] Le secteur investit aujourd’hui deux fois plus en R & D qu’il y a 10 ans pour ne lancer que 40 % du nombre de nouveaux médicaments de l’époque. Ce business model n’est tout simplement pas viable. Au cours de la prochaine décennie, les priorités d’investissements devront être portées davantage sur la recherche et moins sur la vente et le marketing. La stratégie traditionnelle, qui consistait à investir des sommes énormes sur un petit nombre de molécules, à les commercialiser massivement dans la médecine de ville avec pour objectif d’en faire des blockbusters, n’est plus suffisante. Elle doit se concentrer sur le développement de médicaments préventifs, actifs ou curatifs […] et s’attaquer aux maladies actuellement sans réponse. Les gouvernements et les organes de remboursement doivent jouer leur rôle en garantissant aux groupes pharmaceutiques que leurs efforts seront récompensés. »
Investir dans des traitements spécifiques
Continuons à explorer le futur. PricewaterhouseCoopers a publié cette année une seconde étude qui cette fois se focalise sur la R & D. Le constat est simple : sans des remaniements fondamentaux dans leur façon de travailler, l’avenir s’annonce aussi sombre qu’un cul de tube à essai laissé trop longtemps au dessus d’un bec Bunsen…
Premier conseil : se concentrer sur la mise au point de traitements plus spécifiques car la plupart des maladies pour lesquelles des thérapeutiques n’existent pas ou sont insuffisamment efficaces ne répondent pas aux « traitements de masse ». Deuxième conseil : investir dans les soins préventifs (selon l’OMS, 80 % des pathologies cardiaques, des AVC, des diabètes et 40 % des cancers pourraient être évités…) et entrer dans une nouvelle ère dite du « management de la santé », composée de programmes de gestion du bien-être, de systèmes de gestion de la conformité, de vaccinations… afin de prévenir les pathologies au sein de populations bien portantes plutôt que de traiter des populations malades. Troisième conseil : réduire au maximum le temps de R & D afin de minimiser les coûts induits (voir ci-dessous), mettre sur le marché plus rapidement de nouvelles thérapeutiques, mais aussi et surtout s’assurer que la collectivité peut en supporter la charge.
Pour gagner la course de vitesse contre les maladies, la solution préconisée par la société internationale d’audit et de conseil est de se lancer dans la R & D… virtuelle, en misant sur le in silico (et plus seulement sur le in vivo) afin d’élaborer des modèles prédictifs. Le in silico désigne une recherche ou un test effectué au moyen de l’outil informatique, par analogie à l’utilisation massive de semi-conducteurs de silicium dans les ordinateurs ! Il est très utilisé en bio-informatique, par exemple pour la recherche de gènes (il est ensuite validé expérimentalement in situ). Cette voie suppose tout à la fois une meilleure compréhension du fonctionnement du corps humain dans son intimité moléculaire ainsi qu’une connaissance bien plus fine de la physiopathologie de chaque maladie.
L’homme virtuel au secours du tube à essai
Selon l’étude, « les experts de la bio-informatique visent à créer un modèle mathématique complet des composants moléculaires et cellulaires du corps humain (un homme « virtuel ») qui pourra être employé pour simuler les effets physiologiques d’interactions avec des cibles spécifiques, identifier quelles cibles ont une influence sur le déroulement de la maladie et déterminer quelle intervention est nécessaire (à savoir un agoniste, un antagoniste, un agoniste inverse, un ouvreur, un bloqueur…) ».
Cette « digitalisation » du corps humain autorisera un ajustement en fonction de variations génétiques ou des caractéristiques des pathologies les plus courantes (un système cardiovasculaire affaibli par exemple). Elle permettra également de montrer qu’un « candidat médicament » interagit ou non avec une cible non souhaitée, avec à la clé une prédiction de ses effets indésirables potentiels.
Continuons de rêver : cette analyse prédictive aidera notamment les chercheurs à comprendre à l’avance comment la molécule étudiée sera absorbée, distribuée, métabolisée et excrétée ! Elle leur permettra aussi de connaître plus précisément les formules et les dosages les plus efficaces ! Mais, évidemment, même mieux modélisés ces futurs médicaments devront toujours être testés in vivo. Cette recherche assistée par ordinateur ira de pair avec le développement de biomarqueurs. Ils permettront de tester les nouveaux médicaments sur les seuls patients atteints par une sous-catégorie spécifique de la maladie, ce qui conduira à limiter la taille et le nombre d’études nécessaires pour prouver leur efficacité.
On peut imaginer que le « candidat médicament » pourra être dans un premier temps administré à un seul patient très rigoureusement sélectionné, correspondant aux critères d’inclusion et d’exclusion et porteur des caractères génotypiques et phénotypiques spécifiques. Dans un second temps, et en l’absence d’effets indésirables, le principe actif étudié pourra être administré progressivement à d’autres patients.
Les licences pourraient devenir évolutives
Redescendons sur terre. Cet « homme virtuel » ne sera pas encore né en 2 020 mais certains organes ou fonctions auront été recréés sur ordinateur. Le Living Human Project travaille déjà sur un modèle d’appareil musculosquelettique totalement virtuel. De leur côté, l’Association américaine du diabète et le laboratoire biopharmaceutique Entelos ont conçu, après des années d’expérimentations sur de vraies souris, une souris virtuelle pour étudier les traitements contre le diabète de type 1. Selon PricewaterhouseCoopers, « n’importe quelle espèce animale virtuelle pourrait être créée dès lors que les données sont suffisantes ».
Autre changement majeur prévu : l’avènement de la « licence évolutive ». Le modèle actuel de R & D comprend en effet 4 phases d’essais cliniques débouchant, le cas échéant, sur la délivrance d’une AMM. Il devrait, selon les prévisions de PricewaterhouseCoopers, être remplacé par un modèle d’essais en continu accompagnés de licences évolutives. « Ces dernières évolueront dans le temps en fonction de l’efficacité du médicament et de son cycle de vie. Les laboratoires pharmaceutiques mèneront des essais cliniques moins importants, plus pointus, en collaboration permanente avec les instances de contrôle. Si les essais confirment l’efficacité et la sûreté du médicament, une licence évolutive sera délivrée permettant au laboratoire de commercialiser le médicament dans un périmètre limité. Les essais en continu ultérieurs permettront d’étendre la licence afin de couvrir soit un nombre plus large de patients, soit une population différente de patients. »
Mais attention, cette mue prévisible de l’industrie pharmaceutique dans le futur devrait conduire également à une mutation profonde de la distribution, avec la naissance de réseaux de distribution plus sophistiqués et directement destinés aux patients, au détriment des grossistes et des officinaux.
Pour accélérer à moindres frais la mise sur le marché de médicaments efficaces, les laboratoires devront condenser leurs processus de recherche et les organiser de telle sorte que les résultats soient disponibles bien plus tôt. Une solution consiste à déplacer la recherche d’in vitro à in silico, c’est-à-dire à remplacer l’éprouvette par l’ordinateur. Des équipes d’industriels, de scientifiques et techniciens créeront des modèles humains virtuels pour simuler à l’aide du modèle informatique les effets des médicaments et les évolutions physiologiques qui en découleront. Ainsi, le processus de recherche passera de sept à cinq étapes.
(1) « Pharma 2020 : La vision – Quelle voie prendrez-vous ? ».
(2) « Pharma 2020 : la R & D virtuelle – Quelle voie prendrez-vous ?
90 % de casse !
Selon l’étude 2008 de PricewaterhouseCoopers, seule une molécule sur les dix qui entrent en phase de développement préclinique est mise sur le marché. Ce qui explique que les coûts de R & D soient si élevés. Le coût moyen pour produire un nouveau médicament serait en effet de 868 millions de dollars (et au-delà du milliard pour un médicament destiné à la sphère respiratoire, neurologique ou musculosquelettique). Celui d’un projet de R & D, en tenant compte du taux d’abandon, coûte, lui, en moyenne 454 millions.
Anne-Christine Marie, PricewaterhouseCoopers
Au cours de la prochaine décennie, les priorités d’investissements devront être portées davantage sur la recherche et moins sur la vente et le marketing.
Comment éviter les fausses pistes
La recherche coûte très cher, qui plus est si elle ne mène à rien ! Pour limiter les fausses pistes, ICDD a mis au point un outil de « toxicologie prédictive ». Cette société propose en effet aux laboratoires pharmaceutiques de détecter et d’évaluer très en amont les risques potentiels d’effets secondaires ou toxiques sur l’être humain d’un candidat médicament.
Cet outil, baptisé Mitostream, analyse le comportement des mitochondries, là où ont lieu les réactions chimiques qui produisent l’énergie nécessaire à la vie cellulaire. Pour Nathalie Compagnone, dirigeante d’ICDD, « cette technologie, peu coûteuse, est totalement reproductible dans une grande diversité de domaines thérapeutiques comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, celles du système nerveux ou encore des muscles ». Selon elle, un tel outil pourrait permettre à un industriel de réduire les coûts de développement d’un médicament« jusqu’à 75 %.
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