Marques de distributeur en pharmacie : un potentiel à développer

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Marques de distributeur en pharmacie : un potentiel à développer

Publié le 1 avril 2024
Par Yves Rivoal
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Boostées par le contexte inflationniste, les marques de distributeur (MDD) ont vu leurs ventes augmenter de manière significative en 2023 dans le circuit officinal. Mais restant, en termes de parts de marché, très en deçà des standards observés en grandes et moyennes surfaces (GMS), elles conservent un fort potentiel de développement à exploiter.

De janvier 2023 à janvier 2024, les marques de distributeur, hors médicaments avec autorisation de mise sur le marché, ont vu leur chiffre d’affaires (CA) progresser de près de 13 % en officine, quand l’ensemble du marché se contentait d’une croissance de 1,6 % en CA, avec des volumes unitaires en recul de 3,9 %. Dans le même temps, ceux des MDD progressaient de 7,5 %, alors que le trafic dans les officines a reculé l’année dernière », confie Antoine Collet, responsable du panel Pharmacie Iqvia France. Même tendance du côté du Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques (Gers). « Avec un CA de 153 millions d’euros, les MDD ont enregistré en un an une progression de 13 %, la croissance unitaire étant de 9 % avec 25 millions de boîtes vendues », confirme David Syr, le directeur général adjoint du Gers Data.

Cette dynamique se retrouve mécaniquement au sein des groupements. « En 2023, nous avons vendu 600 000 unités parmi les 200 références disponibles au sein de notre marque enseigne Pharmascience, confie Alain Styl, le directeur général de Pharmabest. Cela représente une augmentation de 15 % en un an. Et aujourd’hui, dans la plupart des univers, nos MDD ont atteint leur objectif de départ : concentrer 15 à 20 % des ventes sur leur segment. » La croissance est encore plus impressionnante chez Laf Santé où les ventes ont bondi de 30 % l’année dernière pour atteindre 10 millions d’euros de CA. « En 2023, nous avons écoulé 1,4 million de produits, soit 5 000 unités jour dans notre réseau, se félicite Pascal Fontaine, le directeur commercial d’Hygie31. Les MDD représentent désormais en moyenne 5 % du CA de la parapharmacie des 280 officines du réseau. Dans certaines, cela va même jusqu’à 10 %. »

Bouclier anti-inflation

Pour David Syr, cette dynamique est intimement liée à la conjoncture. « Dans le contexte inflationniste de 2023, les MDD réunissaient le triptyque gagnant : un prix attractif, une promesse de qualité et d’efficience pour le client, et un niveau de marge confortable. » Antoine Collet partage le diagnostic de son confrère. « L’an passé, nous avons sondé 2 000 Français dans une étude consommateur en pharmacie, explique-t-il. Les MDD y étaient clairement perçues comme une réponse à l’inflation. Elles ont donc bénéficié de reports d’achat. » Ce mécanisme, Pascal Fontaine l’a observé dans les officines du réseau Pharmacie Lafayette. « En 2023, nous avons fait le choix, en accord avec nos partenaires fabricants, de ne pas augmenter le prix de nos MDD afin de continuer de proposer des produits à petits prix, confie-t-il. Dans le même temps, les marques nationales imposaient, elles, de fortes augmentations. Cette stratégie nous a permis de prendre des parts de marché, avec sur certaines gammes, des croissances allant jusqu’à 40 %. » Le modèle est aussi vertueux pour les pharmaciens, comme le rappelle François Douère, le directeur général d’EvoluPharm. « Avec nos MDD, ils ont l’opportunité de vendre des produits 30 à 40 % moins chers que les grands laboratoires nationaux, avec une marge oscillant entre 35 et 40 %, rappelle-t-il. Et contrairement aux marques nationales qui les poussent à constituer de gros stocks, nous n’imposons jamais de quantité minimum. »

En savoir plus

Cercle vertueux. Les logiques de pricing des MDD commencent à influencer les prix du marché. « Sur les vingt-quatre derniers mois, beaucoup de marques nationales ont vu leurs prix augmenter de 10 à 15 %, alors que ceux de nos MDD n’ont pas bougé, note Alain Styl, le directeur général de Pharmabest. Cela a peut-être contraint les laboratoires à accorder des remises supplémentaires et à animer leur marque pour faire baisser le prix facial. Les MDD instaurent donc une forme de cercle vertueux sur les prix qui bénéficie aux consommateurs. »

Des méthodes éprouvées. Pour maintenir des prix bas, les groupements s’inspirent des méthodes de la GMS. « Nous n’investissons pas sur des packs coûteux, du marketing ou de la publicité, confie Pascal Fontaine, le directeur commercial d’Hygie31. Et comme nous nous engageons auprès de nos fabricants sur des volumes d’achats importants, nous arrivons à sortir des références 20 à 30 % moins chères que les produits leaders, avec une marge qui tourne autour de 50 % pour nos pharmaciens. »

Le pari de la naturalité. Les groupements positionnent de plus en plus leurs MDD sur un axe de naturalité. Chez EvoluPharm, la moitié des références affichent le label Écocert. « 80 % de notre catalogue est aussi « Yuka compatible », ajoute François Douère, le directeur général du réseau. L ’objectif étant qu’en choisissant notre laboratoire, les clients puissent faire confiance à leur pharmacien, tout en obtenant un bon prix. »

Qualité pharmaceutique

L’autre ingrédient qui participe à la montée en puissance des marques de distributeur, c’est le pari de la qualité pharmaceutique fait par les groupements. « Pour asseoir l’image d’expertise et la crédibilité de nos MDD, nous avons toujours cherché à obtenir des formulations de qualité irréprochable sur l’ensemble de nos produits », souligne Grégory Dubois, le directeur marketing de PharmaVie. Les groupements commencent aussi à percevoir le retour sur investissement d’une stratégie qui les a conduits ces dernières années à étoffer leur offre. « Notre catalogue est aujourd’hui composé de 420 références dans tous les univers ou presque, note François Douère. Nous sommes aussi le seul laboratoire pharmaceutique à disposer avec EvoluGen de notre propre gamme de MDD sur les médicaments génériques. » Le réseau Pharmacie Lafayette s’appuie, lui, sur une offre de 700 produits répartis en 14 marques exclusives ciblant onze univers. « En 2023, nous avons lancé les marques Konfian et Cerin sur l’incontinence, le test de grossesse à 1 euro, la gamme capillaire Natlas, ainsi que Pierre Feuille Ciseaux, une marque pour les enfants avec du premier soin et de la cosmétique. » Pour alimenter la croissance, les groupements s’appuient enfin sur une distribution numérique qui progresse. Chez Pharmabest, à quelques exceptions près, 100 % du réseau référence l’ensemble des produits du catalogue MDD. Chez EvoluPharm, 83 % des 1 300 adhérents jouent pleinement le jeu des MDD. « Nos références étant aussi accessibles à toutes les officines, la moitié des pharmacies qui commercialisent aujourd’hui nos MDD ne sont pas de notre réseau, ajoute François Douère. Nous disposons donc d’une distribution numérique d’environ 1 800 officines. »

Une goutte d’eau

Si elle est encourageante, la dynamique des MDD à l’officine doit toutefois être relativisée. « Sur l’ensemble des produits en vente libre, les marques de distributeur ne pèsent que 0,53 % du total avec un CA de 51,5 millions d’euros. Cela reste donc une goutte d’eau dans un marché de 14,5 milliards d’euros, tempère Antoine Collet, en relativisant les données d’Iqvia. Nous travaillons sur un panel et sur des segments qui ne génèrent pas suffisamment de volumes. Nous n’avons probablement pas tous les chiffres et ne comptabilisons pas non plus les potentielles ventes directes sur Internet. Il y a donc des trous dans la raquette, mais les grandes tendances sont là… Les MDD en pharmacie d’officine ne sont pas du tout au même stade de maturité qu’en GMS. » En 2023, la part de marché des MDD était de 34,2 % dans les circuits de grande distribution, d’après LSA et NielsenIQ. Pour expliquer cette différence de maturité, David Syr avance plusieurs arguments. « Les groupements se sont d’abord positionnés sur ce marché bien après la GMS, rappelle-t-il. Ils ne peuvent pas non plus s’appuyer sur la même puissance de feu car leurs marques exclusives se limitent à leurs seuls points de vente. Et comme le réseau est éclaté entre plusieurs dizaines d’enseignes, contre une dizaine en GMS, vous obtenez une offre qui n’a pas la même visibilité. »

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Des catégories moteurs

Certaines catégories jouent un rôle plus moteur que d’autres dans la dynamique de croissance des MDD. « Dans nos statistiques, trois univers se détachent assez largement. Le système tégumentaire, qui a enregistré en 2023 un chiffre d’affaires de 57,2 millions d’euros, devance assez largement le maintien à domicile et le postopératoire (33,8 millions d’euros), et les soins (29,7 millions d’euros), confie David Syr, le directeur général adjoint du Gers Data. Chez EvoluPharm, la croissance a été essentiellement alimentée par des catégories comme le liniment, le lait, le shampooing et les couches pour le bébé, et les compléments alimentaires. Chez Pharmacie Lafayette, l’hygiène et les compléments alimentaires ressortent comme les gammes leaders. « Mais comme nous nous orientons de plus en plus vers les premiers soins et les dispositifs médicaux, la donne pourrait changer. Les lancements que nous venons d’effectuer sur le sérum physiologique ou l’incontinence donnent en effet des premiers résultats très encourageants », assure Pascal Fontaine, le directeur commercial d’Hygie31.

Des barrières à l’entrée

Pour François Douère, le développement des MDD se heurte à une autre limite. « Pour constituer un vrai portefeuille de MDD, vous devez jongler entre la réglementation des cosmétiques, des compléments alimentaires, de l’appareillage médical, et je ne vous parle pas des médicaments où les contraintes sont encore plus importantes. Pour beaucoup de groupements, le ticket d’entrée semble donc inaccessible », souligne le directeur général d’EvoluPharm. Ce constat est partagé par Pascal Fontaine. « Pour lancer une nouvelle gamme, il faut avoir les moyens d’investir entre huit mois et un an de travail, et disposer des bonnes expertises. Cela fait huit ans que nous structurons notre politique de marque exclusive. C’est ce travail de fond qui nous permet de disposer aujourd’hui d’un catalogue de 700 références. » Pour Grégory Dubois, ce manque de maturité se retrouve aussi dans le positionnement des MDD à l’officine. « Beaucoup d’acteurs se contentent de copier des produits existants, avec une proposition de prix agressive, observe-t-il. Cette stratégie ne permet pas de positionner la valeur des produits. C’est lorsque vous créez une nouvelle gamme, qui ne porte pas le nom de l’enseigne, et avec un positionnement premium sur des catégories impliquantes comme la dermocosmétique, que vous augmentez le niveau de confiance et de crédibilité des MDD. C’est ce qui s’est passé dans l’alimentaire. »

Des atouts à faire valoir

Pour combler ce déficit de maturité, les groupements ont toutefois des atouts à faire valoir. « Les démarches initiées se professionnalisent, avec de véritables stratégies de marque s’appuyant sur le nom de l’enseigne comme chez EvoluPharm ou PharmaVie, quand d’autres, comme Lafayette, Pharmabest ou Pharmodel ont fait le choix de marques propres. » David Syr est sur la même longueur d’onde. « C’est en continuant d’investir dans des stratégies de marque, avec des réseaux de plus en plus fédérés, que les MDD continueront de se développer à l’officine. » Chez PharmaVie, Grégory Dubois s’est fixé un objectif clair. « Mon premier combat, c’est que l’ensemble de notre catalogue de MDD soit référencé dans toutes nos officines. Ensuite, nous pourrons adresser des catégories que la pharmacie a perdu au profit de la GMS comme les protections féminines qui génèrent des volumes importants en grandes surfaces. » Pharmabest va, lui, continuer d’étoffer son offre, qui passera en 2024 de 200 à 250 références. « Nous allons sortir de nouveaux produits Pharmascience, dévoile Alain Styl. Nous lancerons également au printemps une nouvelle marque sur un territoire où nous ne sommes pas encore présents. L’objectif étant de couvrir à terme 100 % du potentiel de développement des MDD à l’officine. Aujourd’hui, je dirais que nous sommes à 30 % du chemin. » De son côté, le réseau Pharmacie Lafayette continuera de développer entre 80 et 100 nouveaux produits par an, en allant de plus en plus sur de nouveaux segments comme les premiers soins et l’appareillage médical. « En 2024, nous allons proposer de nouvelles références dans nos gammes de compléments alimentaires, d’aromathérapie, de dermo cosmétique et d’hygiène. Nous avons aussi des projets en cours sur le confort médical, les produits vétérinaires et les compléments alimentaires dédiés à la santé féminine pour soulager les règles douloureuses ou l’endométriose… Tous ces investissements doivent permettre à nos MDD d’atteindre 15 % de parts de marché dans leurs univers respectifs d’ici 2027 », conclut Pascal Fontaine.

Infos clés

  • En 2023, le CA des MDD à l’officine a progressé de 13 %, alors que les pharmacies ont vu leur trafic baisser.
  • Dans un contexte inflationniste, les MDD sont perçues par les consommateurs comme un bouclier anti-inflation.
  • Pour prendre des parts de marché aux grands laboratoires, les groupements misent sur des stratégies de marque, avec des produits de qualité pharmaceutique positionnés sur un axe de naturalité.
  • Malgré cette croissance, les MDD ne représentent que 0,53 % du total du marché des produits en vente libre à l’officine estimé par Iqvia à 14,5 milliards d’euros. Une goutte d’eau…