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Cap sur la pharmacie sud-africaine

Publié le 13 octobre 2001
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Bien que d’influence anglo-saxonne, la pharmacie sud-africaine a, comme en France, réussi à préserver son capital et son monopole. Mais pour combien de temps encore ? Les drugstores font depuis plusieurs années le forcing pour pouvoir délivrer des médicaments et ils seraient sur le point de l’obtenir. Pour s’en défendre, les pharmaciens se regroupent en masse et communiquent vers le grand public.

Dans ce pays qui sort tout juste de l’apartheid, tout est à reconstruire, à imaginer, à organiser. A commencer par la santé. Car même si dans la loi il ne doit plus exister de territoires distincts entre les Afrikaners blancs (19 % des 43,5 millions d’habitants) et la population noire (67 %), certaines frontières demeurent. Et pas que dans les esprits. Par exemple, si l’ensemble de la population blanche a depuis longtemps organisé son propre système de protection sociale, il n’en est qu’à ses balbutiements pour la population noire. Sur une population active de 12 millions de travailleurs, on compte un million de domestiques effectivement recensés. Et tout comme les travailleurs agricoles, ils ne bénéficient pas de protection sociale. Certains employeurs blancs commencent cependant à cotiser pour eux.

Sur le plan sanitaire également, les différences sont criantes. Sur le continent africain, le sida a fait reculer le progrès médical de près de 30 ans et a déjà produit huit millions d’orphelins. En Afrique du Sud, 20 % de la population adulte est touché ! En très grande majorité il s’agit de Sud-Africains noirs dans l’incapacité d’acheter les traitements antirétroviraux.

Une catastrophe sanitaire qui a débouché sur le retentissant « procès de Pretoria ». En 1998, une loi donne pouvoir au ministère de la Santé de passer outre les brevets pour importer des génériques, beaucoup moins chers, ou faciliter leur production locale. Levée de boucliers de 39 laboratoires pharmaceutiques qui déposent plainte contre le gouvernement d’Afrique du Sud. Le procès, qui avait débuté en mars, a été finalement réglé à l’amiable (voir Le Moniteur n° 2397 du 5 mai 2001) et les laboratoires ont notamment accepté de baisser les prix de leurs médicaments.

En revanche, les autorités n’ont pas encore réussi à restaurer la confiance chez les professionnels de santé. En effet, devant les incertitudes d’un pays qui cherche sa voie, de nombreux médecins s’expatrient et les soins se dégradent.

Menaces sur le capital

La pharmacie n’échappe pas à la règle des contrastes absolus. Pour 45 millions d’habitants, on ne compte que 2 600 pharmacies, soit une pharmacie pour près de 18 000 habitants. Elles étaient 3 173 il y a quelques années. Rien qu’entre 1997 et 1998, 300 d’entre elles ont fermé à la suite notamment de fortes réductions des marges. 80 % des officines sont concentrées dans les grandes villes. En dehors de ces zones privilégiées, les pharmacies se font rares et notamment en zone rurale où vit la majorité de la population noire. Elle n’a alors à sa disposition que des boutiques plus ou moins organisées où se vendent les remèdes traditionnels africains.

En Afrique du Sud, comme en France, on ne peut posséder qu’une seule pharmacie par titulaire et celui-ci doit être présent dans son officine. Les pharmaciens peuvent aussi se regrouper, ce qu’ils font d’ailleurs de plus en plus, ne serait-ce que pour s’organiser face à la menace des Clicks (équivalents des drugstores Boots au Royaume-Uni mais en plus modernes) qui tentent d’acheter des pharmacies pour constituer leur propre réseau. Jusqu’ici le Pharmacy Council a réussi à s’y opposer, mais depuis trois ans l’univers pharmaceutique entend dire que c’est imminent. Conséquence, les pharmaciens se regroupent plus pour mettre en commun leur marketing et pour financer des campagnes communes de communication dans les journaux régionaux, que pour regrouper leurs achats. A l’image de la chaîne de franchise des pharmacies Links qui fait de la publicité nationale à la télévision mais dont chaque membre reste indépendant. Il existe également des groupements indépendants régionaux avec centrale d’achats.

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Pour Willie Kriel, de la Société des pharmaciens d’Afrique du Sud, empêcher les grandes surfaces de devenir propriétaires de pharmacies est une priorité. Mais ce n’est pas la seule : « Nous devons également nous mobiliser pour interdire aux médecins de délivrer des médicaments et introduire une nouvelle structure de prix pour les spécialités de prescription basée sur un forfait et non plus un pourcentage. »

1 200 mètres carrés de surface de vente !

Certains pharmaciens ont, eux, choisi d’aller sur le terrain des drugstores en proposant des surfaces de vente impressionnantes dépassant les 1 000 m2 ! C’est le cas de la pharmacie Manor, installée dans un centre commercial de Johannesburg, et qui voit défiler devant ses comptoirs et dans ses rayons de 800 à 1 300 personnes par jour. Les deux propriétaires, Iven Fisher et Julian Salomon, qui avaient chacun une officine dans une proche zone de chalandise, se sont associés pour ouvrir cet espace de 1 200 m2. plutôt surprenant pour ceux qui connaissent nos pharmacies ! Dès l’entrée, trois petites tables de jardin équipées d’un parasol vous invitent à vous asseoir. Elles annoncent le bar, très design, qui se trouve à l’intérieur de l’officine. Une petite terrasse-jardin est également à la disposition des fumeurs en mal de café. Outre les médicaments et les innombrables vitamines et compléments alimentaires (les Sud-Africains en sont très friands), vous pouvez aussi repartir avec un cadre photo, quelques superbes bougies ou un parfum Armani, Calvin Klein ou Jean-Paul Gaultier.

Lieu de bien-être avant toute chose, la pharmacie Manor propose aussi dix cabines de soins de beauté (qui génèrent environ 30 000 rands, soit 4 600 Euro(s) ou 31 000 F) et deux cabines de bronzage. Un peu déplacé dans une pharmacie, non ? « Oh non !, répond Mina Salomon qui les supervise. Bien entendu nous demandons aux personnes qui veulent bronzer d’utiliser les protecteurs solaires que nous vendons en pharmacie. »

Un engouement pour la cosmétique à la française

Pour Iven Fisher, « le plus important, c’est de faire fructifier votre business ». Il annonce officiellement (mais il est de notoriété publique que les chiffres sont très approximatifs dans toute l’Afrique du Sud) 2,5 millions de rands (2,7 millions de francs) de chiffre d’affaires par mois. Le médicament en constitue 55 %, les vitamines 10 %, les cosmétiques 9 %, la parfumerie 9 %, les divers 6 % et le reste en OTC.

Côté marques, la pharmacie sud-africaine a beaucoup erré et a connu les mêmes vicissitudes que la pharmacie en France. Plus libres que leur homologues français d’accueillir toutes sortes de marques au sein de leur officine, les pharmaciens se sont laissé convaincre par certaines marques de mass-market en mal de distribution. Leur puissance et leur capacité à investir dans des campagnes télévisées ont conduit les pharmaciens à jouer le jeu à fond, pensant que ces marques allaient rester exclusives en officine. On connaît la chanson : lorsque ces marques ont commencé à être connues, elles se sont bien entendu retrouvées en grande distribution, moins chères qu’en pharmacie.

Puis les pharmaciens se sont retournés vers l’autre extrémité : les marques de parfumerie comme Clarins, Lancôme et d’autres. Et bien sûr, ces marques-là aussi ont fini par se retrouver dans leur milieu naturel : les grands magasins. Aujourd’hui, le fléau de la balance est revenu vers le milieu. Les marques de mass-market et celles de grande parfumerie ont été souvent éliminées, en tout cas pour la plupart, et les marques « milieu de gamme », qui en Europe restent exclusives de la pharmacie, ont pris place sur les linéaires et on fait la part belle à Vichy, RoC, Galénic… Arnaud Déroulède, directeur de Cosmétiques de France, qui distribue les marques de L’Oréal, invite d’ailleurs chaque année une quarantaine de pharmaciens sud-africains à la station des Célestins à Vichy.

« Bonjour, ce serait pour un rééquilibrage de chakras ! »

Les pharmaciens, dans leur ensemble, ne s’intéressent guère aux « remèdes végétaux », alors que ce pays abrite le dixième de toutes les espèces botaniques recensées dans le monde avec plus de 25 000 espèces différentes. Cela permet à d’innombrables Herbal Shops ou à des Aromatic Apothecaries de tendre les bras à une large clientèle soucieuse de préserver sa santé, sa forme ou d’améliorer ses performances. L’aromathérapie y côtoie les vitamines et les compléments alimentaires ou les boissons promettant toutes sortes de bénéfices.

Dans le centre commercial Waterfront du Cap vous pouvez aussi déjeuner chez Vitamin System où soupes fraîches, jus de légumes et de fruits, salades et plats diététiques sont préparés devant vous et où vous pouvez, utilement conseillé, faire le shopping de vos complexes homéopathiques, d’huiles essentielles et de vitamines. On fait volontiers des cures de « detox » pour réapprendre à bien vous alimenter ou de « destress ». Il faut dire que cette dernière semble particulièrement indiquée dans un pays où tout le monde vit perpétuellement dans la hantise d’un vol, d’un cambriolage, d’une attaque à main armée

Parallèlement à son médecin traitant, on fréquente volontiers des « holistic health centers », comme celui de Vision Lodge situé dans un grand jardin en plein coeur de Johannesburg. Dans un magnifique cadre de verdure, on pratique des massages (shiatsu, thaï, reiki, hawaïen), de la réflexologie plantaire, du drainage lymphatique mais aussi un « rééquilibrage des chakras » ou des enveloppements anti-inflammatoires.

On peut aussi aller consulter le chaman Selby Gumbi qui a ouvert l’Indoni Healing Center, en plein quartier noir de Soweto, et qui s’est vu offrir par une banque sud-africaine un cabinet de consultation au centre-ville pour que la clientèle plus aisée – qui ne fréquente pas Soweto – puisse bénéficier de son savoir ancestral. « En fait, dit-il, beaucoup viennent lorsqu’ils ont un passé traumatique, qu’ils sont hyperstressés ou en recherche d’eux-mêmes. » Le tarif ? 30 rands (environ 35 F) à Soweto mais 150 rands (environ 155 F !) à Johannesburg même.

Les guides touristiques le disent tous : l’Afrique du Sud, c’est le monde en un seul pays. Il semble que cela soit aussi toutes les médecines et peut-être bientôt tous les modes de pharmacie en un seul pays !

Quand les pharmaciens prient

« Que la paix, la santé, la prospérité et le bonheur gagnent tous les peuples d’Afrique du Sud » est une des phrases extraites du texte de prière suggéré à tous les Sud-Africains pour la journée « Heal South Africa ». Le 21 juin dernier, jour de notre solstice d’été et jour aussi d’une éclipse solaire dans certaines régions de l’hémisphère Sud, des millions de Sud-Africains ont en effet allumé une bougie et respecté une minute de silence pour imaginer une nouvelle Afrique du Sud, idéale dans l’union de ses peuples.

Cette manifestation a notamment été organisée à l’initiative de Chamilla Sanua, responsable de la chaîne des Weleda Pharmacies. L’idée de cette campagne reposait sur la phrase célèbre du Président Kennedy : « Ne vous demandez pas ce que le pays peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire pour lui. »

Les leaders politiques (et notamment Nelson Mandela), sociaux et religieux se sont réunis pour une cérémonie officielle au City Hall de Johannesburg cependant que des centaines d’associations, en particulier celles qui tentent d’enrayer le sida, s’associaient à l’événement.

Chirurgie esthétique et safari

Il existe d’excellents chirurgiens esthétiques en Afrique du Sud et de plus le coût des interventions est nettement moins élevé qu’ailleurs (c’est par exemple trois fois moins cher qu’en France). Résultat, le pays est devenu une plaque tournante des interventions esthétiques. Cet engouement a donné l’idée à Lorraine Melvill de créer « Surgeon & Safari ». Ce service sur mesure fonctionne avec deux hôtels et six chirurgiens esthétiques sélectionnés en fonction de leur réputation. Les candidats à la chirurgie remplissent des questionnaires par Internet pour que le chirurgien ait une première approche de leur dossier médical. Puis ils sont accueillis à leur arrivée à l’aéroport, conduits à l’hôtel, accompagnés pour les visites chez le chirurgien, lors de l’hospitalisation et après celle-ci.

Ils sont médicalement suivis en ambulatoire pendant une douzaine de jours au total et ils peuvent choisir de faire un safari de deux jours soit avant, soit après l’opération. Il est vrai que ni les rhinocéros, ni les éléphants ne prêteront la moindre attention, dans la brousse, à leurs éventuelles ecchymoses. C’est formidable nous a assuré un couple venu des Etats-Unis. Le lifting plus l’hôtel plus le safari auront coûté au total à la jeune femme la modique somme de 10 000 dollars.

Une discrimination positive !

C’est l’un des paradoxes de l’Afrique du Sud que d’être à la fois un pays industrialisé (il représente 40 % de l’économie de l’Afrique subsaharienne) et à la limite des pays en voie de développement. Mais ses ressources naturelles ne suffisent plus à soutenir son économie. L’exploitation de l’or, en particulier, représentait il y a quelques années entre 30 et 40 % des exportations. Elle est tombée à 10 ou 15 % aujourd’hui.

Le chômage atteint un taux record de 40 % et le travail clandestin est généralisé. Quand aux grandes compagnies, elles ont pour la plupart migré vers d’autres pays comme la Suisse entre autres, redoutant de faire les frais d’une évolution incertaine. Dans un tel contexte, la fuite des capitaux et la fuite fiscale se multiplient, affaiblissant encore plus l’économie du pays.

Roland Lomme, directeur de la Maison française du Cap, prévoit tout de même une évolution favorable sur dix ans avec un fort développement dans les médias, les loisirs et le tourisme.

Un autre des paradoxes réside dans la… « discrimination positive », une politique économique de quotas raciaux. Les capitaux doivent dorénavant être partagés avec des Noirs à hauteur d’au moins 25 % afin d’intégrer cette population, majoritaire, à l’économie du pays. Jusqu’à ces quinze dernières années, les Noirs n’avaient pas le droit de créer de sociétés…